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«Un criminel de Laval peut aller tirer des coups de feu à Montréal et vice versa. [...] On doit travailler en équipe; eux, ils n'ont pas de frontière, ils vont aller là où il y a des profits à faire.»
Montréal n’est pas la seule grande ville québécoise aux prises avec une augmentation de la violence armée. Juste au nord, à Laval, la police vient de publier les résultats de l’opération Paradoxe, son effort déployé pour le contrôle de la violence urbaine. Si certaines statistiques sont rassurantes, d’autres chiffres confirment que la violence par armes à feu est toujours bien présente sur le territoire.
Qui dit violence armée dit souvent crime organisé et désorganisé. Y a-t-il des gangs de rue à Laval? Oui, répond Joseph*, 17 ans et ancien membre d’un gang de rue, en énumérant les groupes lavallois d’allégeance rouge ou bleue.
*Le nom de Joseph est fictif, pour préserver l’identité de l’intervenant. Celui-ci craint des représailles de la part de certains groupes criminalisés.
Voyez le reportage de Marie-Michelle Lauzon dans la vidéo ci-dessus.
Le Service de police de Laval (SPL) dit avoir enregistré deux fois moins d’événements impliquant des coups de feu après le déploiement de l’opération Paradoxe à l’approche de la période estivale — un moment propice à une montée des crimes de violence selon les portraits des trois dernières années — qu’à pareille date l’année précédente. L'opération a ciblé, entre autres, les gangs dont parle Joseph.
Rapport Paradoxe: statistiques sur les événements impliquant des décharges d’arme à feu sur le territoire Lavallois
Source: Service de police de Laval
Si on se fie au témoignage de Joseph, la police de Laval a possiblement concentré ses efforts dans Chomedey et Saint-François, deux «quartiers chauds» de la ville, selon lui.
«Ce sur quoi on travaille beaucoup, c'est les décharges d'armes à feu, parce que les décharges d'arme à feu créent un sentiment d'insécurité énorme auprès de la population», souligne Pierre Brochet, directeur du SPL, en entrevue avec Noovo Info.
«On a une cinquantaine de personnes violentes, des bandits violents et sans scrupule qui ont des armes à feu et qui insécurisent 450 000 [citoyens]. Alors on se concentre sur ces individus-là: si tu es à Laval, que tu te promènes avec une arme à feu, que tu fais la fraude, de l'exploitation sexuelle, des vols d'auto, des maisons de jeux, on va être sur ton dos, et on va prioriser ces délits-là.» - Pierre Brochet, directeur du Service de police de Laval (SPL)
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Les événements impliquant des coups de feu concernent surtout les gangs de rue, répète Pierre Brochet, bien que les «autres types de criminels sont présents sur le terrain», comme la mafia, les motards criminalisés ou les groupes du Proche et Moyen Orient.
«En ce moment, c'est les gangs de rue et la source de ça, c'est les conflits, des gangs qui sont autant à Laval qu'à Montréal, explique le commandant. Leur façon de régler leurs conflits, c'est de se tirer dessus.»
Et ces échanges de tirs résonnent de part et d'autre de la rivière des Prairies, précise le directeur du SPL. «Un criminel de Laval peut aller tirer des coups de feu à Montréal et vice versa, à Longueuil ou dans toute ville ou la Sureté du Québec opère. Alors, on doit travailler en équipe. Eux, ils n'ont pas de frontière, ils vont aller là où il y a des profits à faire. Une arrestation à Montréal peut prévenir une fusillade ici et vice versa.»
En ce qui a trait aux conflits sans frontières, Joseph a la même vision des choses. «Montreal pis Laval, ça finit ensemble», et il va plus loin: malgré les efforts policiers, il est «facile» d’après lui de se trouver une arme à Laval quand on gravite dans le milieu criminel.
«Mais c'est pas juste à Laval, dit-il. C’est partout. Les vendeurs, il y en a qui sont discrets, d'autres qui s'en battent les couilles, solide.»
«Tu ouvres le coffre [de la voiture], tu payes, et tu pars, scénarise-t-il. La personne qui a les armes arrive, se stationne dans un endroit caché pour ne pas se faire voir. La personne regarde les armes qu'il y a, prend l'arme qu’elle veut, prend des munitions, paie, prend l'arme et s'en va.»
Joseph (nom fictif), 17 ans et ancien criminel de rue, s'est entretenu avec Marie-Michelle Lauzon pour Noovo Info.
Pourtant, le SPL assure avoir serré la vis à ceux qui font circuler les armes à feu dans sa juridiction. Dans le rapport, on souligne que «le nombre de personnes arrêtées en lien avec des événements impliquant des armes à feu est légèrement plus élevé cette année avec un total de 29 individus, comparativement à 27 arrestations en 2021 à pareille date», ce qui a «contribué au bilan actuel».
«Le nombre d’armes saisies est également à la hausse, avec 39 armes saisies depuis le début de l’année, comparativement à 31 armes en 2021 pour la même période», ajoute-t-on.
Les armes saisies à Laval sont majoritairement des Glock 9 mm. Récemment, une arme à feu fantôme, le Polymer80 ou ghost gun, a été saisie. Des rumeurs circulent que certains criminels modifieraient leurs armes à feu en ajoutant un interrupteur et ainsi en faire des armes entièrement automatiques, mais le service de police affirme que ce n'est pas un fléau sur son territoire.
Extrait du rapport Paradoxe du Service de police de Laval
Dans son rapport, le SPL indique qu’en 2021, «dans les fusillades où les parties impliquées étaient connues, 74% impliquaient des sujets reliés à des gangs de rue et 26% à d’autre organisation criminelles».
Le document stipule aussi que «87% des victimes lors de fusillades étaient associés à des organisations criminelles».
Le rapport fait aussi mention qu’en 2021, «la majorité des armes à feu sont saisies lors des interventions de routine et que 45% des armes saisies l’ont été à la suite d’une interception/interpellation et 36% lors de la réponse à un appel au 911». Les autres armes à feu ont été saisies lors de perquisitions (6%) et à la suite d’un signalement (6%).»
Déclarations du témoignage de Joseph, 17 ans ancien criminel de rue
«Veut, veut pas, le soir, on s'est pas ce qui se peut se passer, une personne peut t'attaquer par derrière.»
«C'est triste, mais on ne peut rien n'y faire, c'est des trucs de gangs, des règlements de compte. […] La personne visée, c'est à cause des dettes ou pour envoyer un message.»
«Tu sais jamais si c'est toi qui va se faire shoot.»
«Dans la rue, le soir, mes parents ne veulent pas que je me promène parce que c'est dangereux, pis on sait pas ce qui peut se passer.»
Le message que j'aimerais [passer à d’autres jeunes] c'est de quitter cette merde. Qu’ils s'occupent de leur vie, qu'ils s'entrainent, qu’ils se concentrent à l'école. Fuck la game. Peut-être que tu fais de l'argent rapide, mais c'est de l'argent sale, pis c'est de la merde, c'est juste des ennuisavec la police. Moi, j'ai eu la chance de ne pas en avoir car j'ai quitté avant. Ceux qui veulent rester, c'est sûr qu'ils vont être dans le tort. Qu'ils quittent avant que ça devienne trop tard.
«Avoir un casier judiciaire à 16 ans, c'est pas nice. Une chance que je n’en ai pas eu parce que j'ai eu des parents en or qui m'ont aidé à me démerder dans tout.»
Des Lavallois inquiets d'entendre un témoignage comme celui de Joseph retrouveraient-ils un peu de sérénité en lisant le rapport Paradoxe, qui indique que les agents de la police de Laval demeurent «vigilants, visibles et présents dans les rues pour assurer la sécurité [des citoyens]»?
Selon Pierre Brochet, une partie de la solution réside dans la prévention et le travail auprès des jeunes, dont le profil a fait son apparition dans les statistiques - un fait alarmant à ses yeux.
«Ce qui nous a frappé au cours des deux, trois dernières années, c'est la jeunesse des personnes [impliquées]. On ne voyait pas ça avant, un jeune de 16, 17 ans qui se promenait avec une arme à feu. On voyait ça chez les plus vieux: 25, 30 ans», dit le policier.
«Ça nous préoccupe. Ça veut dire qu'on a des jeunes qui sont amenés dans la délinquance par des plus vieux, qui sont contrôlés par des plus vieux, qui glorifient un peu ce type d'activité-là. [...] Ce n'est pas normal qu'à 16 ans, on t'arrête avec une arme à feu.»
Voyez le reportage complet de Marie-Michelle Lauzon ce soir au bulletin Noovo Le Fil 17.
Avec la collaboration de Guillaume Théroux, Noovo Info