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«Je n'ai jamais eu aussi peur.»
Voici la première partie de l'enquête de CTV News Montréal sur une influenceuse devenue investisseuse immobilière.
Une Montréalaise poursuit son ancienne propriétaire devant le tribunal du logement du Québec et réclame plus de 60 000 $ de dommages et intérêts, alléguant avoir été victime d'une expulsion déguisée orchestrée par une influenceuse devenue investisseuse immobilière.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Comme la locataire qui partage son histoire craignait que le fait de se rendre publique nuise à ses chances de trouver un logement à l’avenir, elle a demandé à rester anonyme. CTV News l’identifie donc sous le nom «Michelle».
«Je n'ai jamais eu aussi peur que lorsque j'ai dû faire face à cela.»
Michelle, qui payait un loyer de 842$ par mois, a accepté de quitter son appartement et de mettre toutes ses affaires en garde-meubles pendant trois mois, le temps des travaux de rénovation.
Elle a découvert par la suite que sa propriétaire, Magali Cuvillier, avait signé un nouveau bail avec un autre locataire une fois les travaux de rénovation de son appartement terminés et avait fixé le loyer à 1 400$ par mois.
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Mme Cuvillier a attribué la série d’événements à un «malentendu» par courriel, qui a finalement forcé Michelle à chercher un nouveau logement.
Dans la demande déposée auprès du Tribunal administratif du logement (TAL), Michelle allègue qu'elle a subi «la violation de ses droits garantis par la Charte à la jouissance de ses biens» en raison de la «mauvaise foi» de sa propriétaire.
Michelle a emménagé dans un appartement d'une chambre à coucher à Hochelaga-Maisonneuve en juillet 2023.
Selon les registres fonciers obtenus par CTV News, l'immeuble a été vendu à une société à numéro en février 2024. Grâce aux jugements du TAL et aux documents fournis par les locataires, CTV News a établi un lien entre cette société à numéro et Mme Cuvillier et son partenaire, Edouard Martin.
L’avocat de Michelle, Me Manuel Johnson, affirme que le recours à des compagnies à numéro permet aux propriétaires de se protéger en dissimulant leur identité. Cette stratégie crée également une barrière juridique entre la personne et l’immeuble, ce qui complique la tâche lorsqu’il s’agit de retrouver le véritable propriétaire.
«Il est très difficile de lever le voile de l'entreprise. Mais les administrateurs des sociétés sont très familiers avec les comités de logement», a-t-il ajouté.
Me Johnson a ajouté que l'augmentation du loyer des appartements après l'acquisition d'un immeuble est une stratégie rentable à deux niveaux.
«Évidemment, cela augmente les revenus mensuels, mais surtout cela augmente la valeur de l'immeuble. C'est le moyen le plus rapide d'ajouter de la valeur à l'immeuble sans trop d'investissement et nous l'avons constaté à maintes reprises», a-t-il mentionné.
Selon Michelle, les locataires ont rapidement soupçonné qu'il y aurait des changements après la vente de l'immeuble.
«Mon voisin m'a dit: "Il va y avoir une rénovation. Parce que ce n'est pas un endroit chic. Ces nouveaux locataires vont essayer de le rendre chic"», a raconté Michelle.
Magali Cuvillier, une jeune femme de 33 ans originaire de Morin-Heights, s'est fait connaître en ligne après avoir déménagé en Colombie, où elle a appris à parler couramment l'espagnol et a publié des vidéos de ses expériences d'immersion dans la culture colombienne.
En 2019, elle a été invitée à animer le festival Expo Latino de Calgary, surnommé le plus grand festival latin de l'Ouest canadien.
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Dans le matériel promotionnel de l'événement, Mme Cuvillier était décrite comme une «influenceuse franco-canadienne» et une «icône des médias sociaux dans la culture colombienne et dans le monde entier» qui «transmet toujours le bonheur et des ondes positives, élève les autres, ajoute un peu de saveur partout où elle va».
Finalement, Mme Cuvillier a choisi de s'installer à Montréal et de se réinventer en tant qu’investisseuse immobilière.
Michelle affirme avoir demandé à Magali Cuvillier et Edouard Martin d’intervenir pour un problème d’électricité en juin 2024. Elle soutient qu’ils ont utilisé cette demande comme prétexte pour lui demander de quitter son logement afin d’y effectuer d’autres travaux.
«Ils m’ont dit que l’électricité n’était qu’un des problèmes, qu’il y en avait plusieurs autres. Qu’il fallait tout refaire, que les murs étaient en mauvais état, le toit aussi», a-t-elle confié à CTV News, ajoutant que Cuvillier lui aurait demandé de libérer le logement pendant trois mois, avec un retour prévu en janvier 2025.
Michelle a accepté de déménager temporairement avec toutes ses affaires, et Magali Cuvillier a accepté de couvrir les frais de déménagement connexes, plus l'équivalent de la différence de loyer pour trois mois.
En novembre 2024, alors qu’elle vivait temporairement chez une amie, Michelle a communiqué avec Cuvillier pour s’informer de son retour prévu dans le logement. Elle raconte à CTV News avoir été stupéfaite lorsque Cuvillier lui a remis une liste des travaux effectués et l’a informée que son loyer allait augmenter de près de 600 $.
«C'était insensé. Tout d'un coup, j'ai évidemment paniqué, parce qu'on ne sait pas si c'est légal. On ne sait pas ce qui se passe.»
Selon Michelle, lorsqu'elle a rencontré Cuvillier et Martin en personne, sa propriétaire a affirmé qu'elle avait essayé de les contacter à plusieurs reprises par courriel, mais qu'elle avait utilisé par erreur la mauvaise adresse.
«Et puis, elle a ajouté : "Parce que je n'ai pas eu de nouvelles de ta part, j'ai trouvé un autre locataire pour le 1er janvier. Donc, j'ai quelqu'un qui est prêt à emménager le 1er janvier, si tu décides que 1 400 $ est trop pour toi."»
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Michelle a donné à CTV News accès à ses échanges de courriels avec Magali Cuvillier.
Dans un courriel daté du 29 novembre 2024, Michelle avait informé sa propriétaire: «Je resterai dans mon appartement au moins jusqu'en juillet, car j'ai un bail en cours». Elle avait ajouté: «Lorsque je recevrai l'avis d'augmentation de loyer normal, je vous contacterai pour les prochaines étapes».
Plus tard dans la soirée, Mme Cuvillier avait répondu : «D'accord, compris».
Mais dix jours plus tard, c'était une autre histoire lorsque Michelle l'a relancée. «Elle explique qu'elle avait mal compris mon courriel et qu'elle avait déjà loué l'appartement à quelqu'un d'autre. La façon dont elle a dit qu'elle l'avait mal compris, c'est que ce n'était pas clair», a indiqué Michelle. «Puisque j'avais utilisé le verbe "rester" dans mon appartement, cela signifiait que je voulais rester ici, dans cet appartement [temporaire].»
Selon Me Manuel Johnson, sa cliente s'est fait piéger.
«Dans ce genre de situation, si le propriétaire signe un bail avec un tiers - et que ce tiers est de bonne foi - et que ce tiers emménage alors que le locataire initial est évacué, le tribunal n'obligera pas les nouveaux locataires à déménager, ce qui signifie que vous avez perdu votre logement», a-t-il précisé.
CTV News a contacté Mme Cuvillier pour connaître sa version des faits. Elle a décliné la demande d'entrevue, mais a fourni une déclaration par l'intermédiaire de son avocat. «Cette affaire est actuellement devant les tribunaux (...) Il appartiendra au tribunal de rendre un jugement. Notre seul commentaire est qu'il y a eu une certaine confusion dans les échanges de courriels», a-t-on écrit.