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Société
Chronique |

Haïti et le Québec: accueillir toute la richesse du monde

Haïti revient dans l’actualité québécoise avec un discours déshumanisant, où l’on parle de nous sans nous.

J’ai vu le jour sur une terre autochtone non cédée qui fait tout pour que je déteste chaque parcelle de mon être. Née à Montréal de parents haïtiens, je ne connais que trop bien l’indignation que portent celles et ceux que l’on méprise, ridiculise, écrase et piétine. C’est donc sans concession aucune que je me range du côté des vaincus et des opprimés.

Je viens d’une lignée de combattantes. J’ai passé ma jeunesse à me faire regarder avec mépris, alors que je me savais entière. Semblerait-il que je vienne d’un pays pauvre, miséreux ou maudit ? On n’attendait rien de moi, mais je savais que je pouvais tout faire. Ma place ne m’a jamais été donnée et je n’ai pas pu la prendre, non plus. Je me suis battue à feu et à sang pour avoir ce que j’ai. Ma place, j’ai dû l’arracher. C’est que, vous savez, certaines personnes n’ont pas le luxe de jouer la carte de la modestie.

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Ma révolte, je la canalise par l’écriture. Je sais lancer de la brique avec mes mots et construire des forteresses littéraires avec celles qui sont lancées en ma direction. J’ai les épaules solides. Je marche la tête haute, le dos droit, et j’ai une colonne vertébrale. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une conscience intrinsèque de ma valeur. Le malheur des autres ne me fait pas sourire, tout comme la réussite de mes pairs n’a jamais représenté une menace à mes yeux. On a souvent essayé de me faire peur, de m’intimider et de me faire douter de ce que je sais être vrai. Or, même lorsqu’on me rejette pour mes convictions, je ne courbe jamais l’échine.

Ces jours-ci, je relis les mots que j’écrivais dans mon enfance et je demeure perplexe. Comment est-ce possible d’être aussi optimiste en ayant autant de bâtons dans les roues ? Cela reste une énigme pour la femme que je suis, mais je me dis que ça doit sans doute venir de mes racines haïtiennes. Il est clair que je n’ai jamais été une égarée.

Encore une fois, Haïti revient dans l’actualité québécoise avec un discours déshumanisant, où l’on parle de nous sans nous. Alors que l’administration Trump mène une nouvelle valse violente contre les membres de ma communauté, plusieurs cherchent refuge en sol québécois dans l’espoir d’avoir un peu de dignité. J’entends sur les plateaux de télévision qu’on ne peut pas « accueillir toute la misère du monde », que nous sommes « à pleine capacité », la même rengaine que j’entends depuis mon enfance, quoi.

Pourtant, Haïti et le Québec, c’est une histoire ancienne. On me dit que je viens d’un pays pauvre, mais nous sommes nombreux à savoir que mon pays a été appauvri. Combien d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes et enseignants ont fui la dictature duvaliériste pour contribuer à l’édification du Québec moderne au cours de la Révolution tranquille ? À vrai dire, sans cet exode des cerveaux au cours des années 1960, le Québec ne serait pas grand-chose. Cette richesse dont le peuple haïtien a été dépossédé a été le socle de notre compréhension contemporaine de l’universalité des droits de la personne. Haïti a été une inspiration pour tous les vaincus, les opprimés et autres damnés de la terre. Son histoire a forgé le Québec dans son identité.

C’est Haïti qui m’a appris qu’on peut se sentir exister sans dominer autrui. Le peuple haïtien et sa diaspora ne doivent rien à la société québécoise. Plutôt, c’est le Québec (et le monde entier) qui devrait nous dire merci.

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