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Société
Opinion |

Yara El-Soueidi | Montréal: déménager ou rester là?

«Je ne vais pas m’en cacher. J’ai déjà songé à déménager. Pourquoi pas?»

Ville de Montréal pendant la nuit.
Ville de Montréal pendant la nuit.

Cette semaine, quelqu’un m’a demandé une simple question : «Toi, milléniale, tu vois comment, ta vie à Montréal? Et crois-tu que tu y seras encore dans quelques années?»

Ça m’a pris de court un peu. J’ai vraiment ri. Normal, c’est une drôle de question. Mon réflexe aurait été de dire: «Ben ça va. Elle est belle, on s’amuse!»

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Mais en fait, je pense que c’est une réponse simpliste qui ne reflète nullement la réalité de la chose.

Si vous êtes un millénial (ou pas) et que vous lisez ceci, laissez-moi vous rafraîchir la mémoire. Les milléniaux, ou la génération Y, sont nés entre 1980 et 1995/1996. Ça veut dire que nous avons la fin vingtaine, la trentaine et les plus vieux ont 42 ans ! Nous travaillons et certains ont des familles. Bref, si vous pensez encore que nous avons 22 ans et qu’on est immatures, c’est le moment de changer votre perception. Vos collègues sont des milléniaux aujourd’hui.

Revenons rapidement à Montréal. Je suis Montréalaise, born and raised. Je connais la ville presque par cœur. Et je dis presque parce que je m’aventure rarement dans Rivière-des-Prairies ou le West Island. Les gens qui peuplent ma vie viennent de partout. Plusieurs sont des born and raised, comme moi. D’autres sont d’ailleurs, mais vivent à Montréal depuis déjà des années. Ils ont décidé d’en faire leur ville. Tout le monde est francophone, anglophone, allophone. Tout le monde a des jobs différentes (prof à McGill, journaliste culturel, concepteur-rédacteur, directrice marketing, analyste, ingénieur, chargée de projets, publiciste…), mais surtout, tout le monde aime Montréal.

Ceci dit, depuis quelque temps, il y a une tendance qui s’installe. Une tendance selon laquelle certaines personnes quittent la ville et/ou la traitent de laideron, de ville sale. «Montréal a changé!», ai-je lu dans plusieurs chroniques hostiles prétextant que jamais Montréal n’a été de même. Mais est-ce que Montréal est vraiment laide? Ont-ils raison?

Les gens mentionnent la propreté des rues (qui sont plus propres que d’habitude), des plates-bandes qui ne fleurissent pas (normal, on a eu un épisode de chaleur intense en mai), du bruit, de la poussière, la liste est longue.

Autour d’une bière, un ami me confie qu’à chaque fois qu’il entend ces commentaires par rapport à Montréal et comment elle a changé pour le pire, il a l’impression que c’est une analogie par rapport aux communautés culturelles qui sont nombreuses en ville. De quoi décourager le Montréalais moyen, celui qui aime sa ville et qui la trouve pimpante.

Parce que ma ville est belle, oui. Il n’y a pas un endroit où je vais où il n’y a pas quelque chose qui détonne, qui marque mon imaginaire. Si vous trouvez Montréal sale, je vous invite fortement à aller à Toronto ou New York. Des villes que je ne trouve pas sales moi-même, mais qui le sont clairement plus que Montréal. Non, là où Montréal souffre, c’est bien à d’autres endroits.

Les milléniaux ne peuvent pas s’acheter une propriété à Montréal. Nos salaires sont trop bas pour suivre l’inflation, le prix des loyers, le prix de la nourriture. Puis, je ne pense pas que j’ai à mentionner encore l’état lamentable des quartiers, appauvris par un embourgeoisement qui a bénéficié du laisser-aller de la ville.

On annonce 60 000 logements abordables en 10 ans alors que le besoin pour des logements et des législations sur le prix des loyers, c’est maintenant dont nous en avons besoin.

Parallèlement, nous vivons dans une province avec un gouvernement qui, présentement, a décidé de faire la guerre à l’immigration, aux anglophones, bref… à tout ce qui n’est pas «de souche», rendant la vie un peu plus compliquée dans notre belle ville. Sans oublier que ce même gouvernement ne reconnaît pas la crise du logement, qui ne reconnaît pas le racisme systémique et qui nous offre 500$ pour combattre l’inflation. Un montant qui, clairement, n’est pas assez. Les partis politiques sont peu inspirants, on ne reconnaît pas la diversité et la richesse que les mélanges culturels inspirent. Et surtout, on se retrouve dans une ville épuisée.

Ceux qui font le cœur de la ville, les jeunes et les familles, sont épuisés. Nous sommes épuisés de voir nos institutions culturelles qui ferment, de voir les locaux commerciaux qui dépérissent, de voir nos amis qui quittent la ville contre leur gré parce que c’est rendu trop cher.

Nous sommes épuisés de dormir la nuit avec une épée de Damoclès par-dessus la tête en ne sachant pas si nous allons être rénovictés de nos appartements par un entrepreneur, qui veut le flipper pour le vendre au plus offrant.

Nous sommes épuisés de ne pas être capables de nous acheter une maison dans notre ville. On entend tous les jours des remontrances contre nos amis, les communautés culturelles de la ville et on décroche. On décroche complètement.

Je ne vais pas m’en cacher. J’ai déjà songé à déménager. Pourquoi pas? New York est intéressante, Londres semble être excitante, Berlin est foisonnante, Toronto? Toronto est Toronto. Mais en creusant, chaque ville vient avec sa crise du logement, sa politique aggravante, son coût de la vie exorbitant… et ça ne finit jamais.

Donc pour répondre à la question posée en début de chronique, je ne sais pas trop comment je vois Montréal. Tu vois, cher inconnu, quand tu m’as posé la question, j’ai écrit au populaire compte Instagram FNoMTL qui recense le meilleur du pire de la ville en lui disant que c’était la question que j’explorais cette semaine. La réponse?

«Hahahaha that is a very big topic»

Je me suis amusée à regarder le compte, d’ailleurs. Le meilleur du pire de Montréal est répertorié comme une lettre d’amour à la ville. Une relation amour-haine qui fait rire et qui nous accompagne partout dans le monde. Ce compte est le reflet des milléniaux qui vivent dans cette ville: on rit, on pleure, on critique, mais on aime férocement Montréal. Nous sommes prêts à la défendre et à reconnaître ses mauvais coups.

L’herbe semble plus verte chez le voisin, mais chez nous, à Montréal, l’herbe est déjà un peu plus verte qu’ailleurs. Et moi, j’ai envie d’y rester juste pour en prendre soin et de la rendre si verte que je n’ai plus jamais envie de la quitter.

Et je sais que je ne suis pas la seule.

** Merci à Réjean Ducharme et Pauline Julien pour l’inspiration et le titre**