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«Les plus grandes entreprises trouveront un moyen de s’en sortir. [...] Ce sont les petites entreprises qui ont presque l’impression d’être des pions.»
Chaque matin, quand Nina Kharey se réveille, la première chose qu’elle fait est une recherche en ligne sur le président américain Donald Trump, espérant que la guerre commerciale mondiale qu’il a déclenchée se dissipe.
La plupart du temps, sa recherche se solde par une déception.
«L’incertitude est grande en ce moment», explique Mme Kharey, une créatrice de Calgary qui dirige la ligne de vêtements de luxe pour femmes Nonie et la marque de vêtements de travail Folds. «Je me réveille chaque jour avec anxiété.»
Le refrain est le même dans toute l’industrie de la mode en raison de sa nature mondiale: les matériaux, les boutons, les fermetures à glissière zigzaguent à travers l’Asie, visée par les droits de douane, avant d’être transformés en vêtements là-bas ou expédiés en Amérique du Nord. La nature enchevêtrée des chaînes d’approvisionnement du secteur de l’habillement peut exposer les marques canadiennes aux droits de douane si elles expédient des marchandises de partenaires étrangers directement aux États-Unis pour y être fabriquées ou distribuées.
Outre le Canada, le président Trump a imposé des droits de douane à des centaines de pays, dont les hauts lieux de la mode européenne que sont la France et l’Italie, ainsi qu’à des pays où les coûts de main-d’œuvre sont faibles et l’accès aux textiles facile, comme le Bangladesh, le Cambodge, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Pakistan, la Turquie et le Vietnam.
La plupart de ces pays ont été frappés de droits de douane à deux chiffres avant de bénéficier récemment d’un sursis de 90 jours, puis d’être frappés d’un droit de 10 %, du moins temporairement.
La Chine, puissance de la production de vêtements, a été soumise à un droit de douane de 145 % de la part des États-Unis, qui n’a pas été levé, et a imposé une taxe de 125 %.
«J’ai beaucoup de collègues dans l’industrie de la mode, et beaucoup d’entre eux font fabriquer leurs produits en Chine, et c’est vraiment difficile d’entendre leurs difficultés», ajoute Mme Kharey.
«Les plus grandes entreprises trouveront un moyen de s’en sortir. Ce sera difficile pour elles, mais ce sont les petites entreprises qui, en ce moment, ont presque l’impression d’être des pions.»
Daniel Baer, associé du cabinet de conseil EY Canada spécialisé dans le commerce de détail, indique que les entreprises de vêtements de toutes tailles dont les produits transitent par des pays touchés par les droits de douane font tout ce qu’elles peuvent pour y faire face.
Pour beaucoup, cela signifie repenser l’origine de leurs composants, le lieu de fabrication des vêtements et le chemin emprunté par les produits pour arriver jusqu’aux consommateurs.
«Mais ce genre de changements ne se fait pas du jour au lendemain», avertit-il.
Mme Kharey sait que la réorientation de la production prend du temps, car Folds a récemment délocalisé sa production du Canada vers la Tunisie, pays qui était soumis à un droits de douane de 28 % imposé par les États-Unis jusqu’à ce que M. Trump le suspende pendant 90 jours et le remplace par un 10 %.
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Même si les expéditions de la Tunisie vers le Canada ne sont pas affectées, Mme Kharey imagine que Folds ne sera pas épargnée.
«Les coûts en Tunisie vont probablement augmenter, d’autant plus que l’une de leurs principales exportations est le textile, et c’est là que nous en sommes, explique Mme Kharey. Nous devons jongler: devons-nous laisser nos prix tels qu’ils sont et voir comment cela évolue, ou les augmenter?»
Pour l’instant, elle ne hausse pas ses prix.
Hayley Elsaesser, créatrice de mode canadienne à la tête d’une marque éponyme, non plus.
L’entreprise «fait tout son possible pour éviter» d’augmenter les prix, car «l’inflation et la hausse du coût de la vie affectent profondément nos clients, et nous en sommes toujours conscients», écrit-elle dans un courriel.
M. Baer pense que les marques de vêtements confrontées aux tensions commerciales devront éventuellement répercuter le coût de la guerre douanière sur les consommateurs, surtout si M. Trump tient sa promesse de supprimer l’exemption de minimis le 2 mai. Ce mécanisme légal permet à de nombreux produits d’une valeur inférieure ou égale à 800 $ d’entrer aux États-Unis sans payer de droits de douane.
De nombreux fabricants de vêtements ont évité les augmentations immédiates, car leurs marchandises de printemps et d’été sont déjà en stock et ils passent des commandes pour l’automne. Cela pourrait signifier que les prix augmenteront juste à temps pour la rentrée scolaire, affirme M. Baer.
D’ici là, la capacité d’achat des consommateurs pourrait être encore plus faible qu’aujourd’hui.
Ce niveau actuel, déjà bas, inquiète Mme Elsaesser, qui le qualifie de «plus grand impact» pour son entreprise.
«Nous avons des clients partout dans le monde, et l’évolution de la situation suscite beaucoup d’inquiétude et d’incertitude», confie-t-elle.
Lorsque la confiance des consommateurs baisse, M. Baer explique que les acheteurs ont tendance à se tourner vers des marques plus abordables, à rechercher davantage de réductions ou à renoncer complètement à leurs achats discrétionnaires.
Si les parents n’ont pas la possibilité d’éviter les achats pour les enfants qui grandissent, les adultes pourraient décider de conserver ce qu’ils ont déjà dans leur garde-robe pendant plusieurs saisons encore, ce qui pèse sur les détaillants.
«Puis-je porter cette veste deux, trois ou quatre saisons de plus? Bien sûr que oui, donne M. Baer en exemple. Est-ce que j’aimerais porter ce vêtement pendant deux, trois ou quatre saisons de plus? Non, car il sera démodé… mais rien ne m’en empêchera, car c’est une option.»