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Cette femme droguée par son mari et violée par plus de 70 hommes a refusé que le procès se tienne à huis clos.
Gisèle a décidé de se tenir debout afin que «la honte change de camp». Cette femme droguée par son mari et violée à son insu par plus de 70 hommes a refusé que le procès se tienne à huis clos. Gisèle veut parler — et elle veut surtout lancer un cri d’alarme.
Gisèle Pélicot, 60 ans, incarne pour moi un exemple de courage ultime. Violée et violentée sur une période de dix ans alors qu’elle était assommée par les somnifères donnés par Dominique Pélicot (dont elle se divorce), salie dans son estime, son être, toutes ses fibres, Gisèle reste digne. Et droite.
J’ai lu les reportages entourant cette affaire et l’ouverture du procès, lundi, en France. J’ai vu les images, les vidéos. Et c’est vers elle que toutes mes pensées se tournent. Je la trouve immensément grande.
Elle a pensé mettre fin à ses jours lorsque les policiers l’ont interpellée, chez elle, un matin. Je ne peux qu’imaginer: «Madame, voici votre histoire…»
Gisèle croyait être atteinte d’une maladie neurologique. Elle n’expliquait pas ses absences répétées. Ni ses infections vaginales répétées. Elle a consulté des médecins à maintes reprises, elle a fait des tests, des examens. Et si elle commençait à faire de l’Alzheimer? Son corps était-il déréglé? Est-ce qu’elle devenait folle?
Les médecins n’ont rien vu. Ils lui ont parlé de stress et d’anxiété.
Et son bourreau de mari qui l’accompagnait à ses rendez-vous…
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Cette histoire est sordide, horrible, digne d’un film d’horreur. Mais c’est arrivé.
Le procès en Cour criminelle à Vaucluse va s’étirer jusqu’au 20 décembre. Les chiffres sont atroces: 51 accusés (une vingtaine d’hommes n’ont pu être officiellement identifiés), plus de 200 viols, des crimes commis entre 2013 et 2020.
Et une arrestation presque fortuite: son mari, Dominique Pélicot, aujourd’hui âgé de 71 ans, a été épinglé pour avoir filmé sous la jupe de femmes, dans une épicerie. C’est en fouillant son téléphone et son ordinateur que les policiers ont réalisé l’ampleur de l’affaire, une affaire immonde, jamais vue.
Non seulement Gisèle ne connaît pas ses violeurs, elle ne savait même pas qu’elle était violée. Elle se retrouve aujourd’hui avec un fort syndrome de stress post-traumatique et des infections transmises sexuellement.
Mais pas la honte. Gisèle est une victime.
Ceux qui sont au centre de l’affaire, ce sont les accusés, ces «messieurs tout le monde», ces monstres aux profils variés.
Âgés de 26 et 74 ans, certains des accusés ont répété leurs gestes, multipliant leurs visites.
C’est à vomir.
À vomir quand on sait qu’on a utilisé Gisèle et qu’on a abusé de son corps, comme d’un objet. Le consentement? Tous ces hommes ne semblent jamais avoir entendu parler du concept. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs bredouillé toutes sortes d’excuses ridicules en lieu de défense. L’un d’entre eux a stipulé qu’il considérait que le mari (ou plutôt l’ex-mari) avait donné son consentement. D’autres qu’ils ignoraient qu’elle était inconsciente, pensant à un jeu de couple.
Ils sont passibles de 20 ans de réclusion. Je leur en souhaite le double, le triple.
En permettant au monde entier d’avoir accès aux détails du procès, détails qui j’en conviens sont odieux et insupportables, Gisèle Pélicot souhaite braquer les projecteurs sur la soumission chimique. Elle veut qu’on en parle, qu’on sache que cela existe.
La soumission chimique se définit par les experts comme «l’administration à des fins criminelles (viols, agression, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace».
Au Québec, il y a un peu plus d’un an, des mesures ont été dévoilées par le ministère de la Sécurité publique pour prévenir et contrer les cas de soumissions chimiques. Et si on entend souvent parler de l’utilisation de GHB dans les bars (appelée la drogue du viol), on entend bien peu parler de médicaments prescrits et administrés dans la sphère privée, par des proches.
Dominique Pélicot s’est fait prescrire, pendant dix ans, des quantités colossales de somnifères…
Est-ce répandu? Dans quelle proportion? Est-ce que certaines femmes au Québec, au Canada, sont soumises chimiquement et sont victimes d’actes criminels ? Est-ce que les professionnels du milieu de la santé, ceux du domaine policier et judiciaire sont informés, avisés, sensibilisés, à l’affût?
L’affaire Pélicot (que je refuse d’appeler l’affaire Mazan, du nom du village où elle a eu lieu, puisque c’est bien de Dominique Pélicot dont il est question) n’est pas une affaire française. Elle met en lumière un enjeu de société, un enjeu de santé publique terrible, méconnu — et tabou.
Grâce à Gisèle, aujourd’hui, enfin, on en parle.
Quelle sera la suite?
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