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«Les gens ont perdu l'esprit de Noël à cause de la guerre, ils croient que l'esprit de Noël va revenir quand la guerre sera finie.»
«Les gens ont perdu l'esprit de Noël à cause de la guerre, ils croient que l'esprit de Noël va revenir quand la guerre sera finie.»
Veronika, une jeune caissière, résume la situation dans son grand magasin de vêtements, presque vide. Tout comme le centre commercial où il se trouve d'ailleurs, en banlieue de Kyiv.
Un centre commercial comme il y en a plusieurs au Canada ou aux États-Unis, à la différence qu'ici, tout ferme lorsque les sirènes annoncent des raids aériens, et il y a encore des chevaux de frise dans les rues environnantes, pour bloquer les véhicules blindés.
À quelques semaines du temps des fêtes, les rues de Kyiv n'arborent pas ou peu de décorations et il n'y a pas de jeux de lumières pour égayer la morne grisaille de ce début d'hiver, sous la faible neige et dans la gadoue.
Le pays est paralysé quotidiennement par des pannes de courant en raison des frappes russes, ce n'est donc pas le temps de gaspiller l'électricité.
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Ce sont autant de coups durs pour l'économie et la vente au détail. En novembre, on apprenait que la récession allait frapper plus douloureusement que prévu dans le pays ravagé par la guerre: le produit intérieur brut allait se contracter de 39 % en 2022, plutôt que les 35 % prévu, selon la ministre de l'Économie.
Dans certaines régions du pays la conjoncture peut être différente. Par exemple, au sud-est de Kyiv, à Poltava, une ville un peu moins touchée par la guerre, un petit centre commercial sur deux étages jouissait d'une forte affluence en un samedi après-midi neigeux.
À l'opposé, au centre-ville de Kyiv, les commerces tournent au ralenti. Même dans un vaste centre commercial sous la place Maidan, en pleine ville, l'achalandage est plutôt faible dans toutes les boutiques, sauf au petit supermarché où la clientèle afflue et les rayons sont bien garnis.
À l'entrée du Tsum, un grand magasin emblématique de style Art déco au coeur de la capitale, un peu comme autrefois un Eaton ou un La Baie au Canada, un panneau indique que le commerce ferme en cas d'alerte.
«C'est plus difficile que l'an dernier. Tous les jours il y a des raids aériens», a expliqué Veronika en ce matin de semaine plutôt tranquille dans son centre commercial de banlieue.
Rares sont les acheteurs dans ce vaste magasin où on vend pourtant de tout, des chaussettes aux chemises en passant par les manteaux.
«Les consommateurs n'ont que 500 hrivna (18 $ CAN) pour tout acheter», dit Veronika, sous l'oeil de ses collègues moins loquaces en anglais.
«L'an dernier, ils achetaient de tout, cette année, ils se procurent seulement un article, des vêtements chauds», à cause des pannes de chauffage et d'électricité, déplore-t-elle.
Dans ce pays en guerre, la plupart des clients et commerçants préfèrent ne pas donner leur nom de famille, par prudence, réserve ou méfiance. Quelques commerçants, un vendeur d'appareils électroniques, une emballeuse de cadeaux dans un kiosque, un responsable d'un café et le gestionnaire d'un restaurant, ont aussi refusé d'accorder des entrevues.
Beaucoup des clients habituels de ce centre commercial provenaient d'Irpin, Hostomel et Boutcha, où ont eu lieu des combats féroces dans les premières semaines de la guerre pour stopper les envahisseurs russes.
Neonila, qui gère une autre boutique de lingerie, confirme la situation économique éprouvante.
«C'est trop difficile de travailler sans éclairage, avec les frappes aériennes. Il n'y a pas de clients, pas d'argent», a-t-elle relaté. Mais elle garde espoir.
«Après la victoire, nous allons reprendre notre vie normale, mais en attendant, il nous faut resserrer les cordons de la bourse.»
«Ce n'est pas un Noël normal», renchérit Ihor, un papa en séance de magasinage dans ce centre commercial, avec sa conjointe Anastasia et leur fille Solomia, âgée de moins de deux ans, qui court partout près de l'arbre de Noël.
Patriote, Ihor dit à l'interprète qu'il tient à faire l'entrevue en ukrainien et non en russe, ce qui n'est quand même pas si courant en Ukraine malgré le conflit actuel et le fort ressentiment à l'égard des Russes.
«Nous devons survivre, ce n'est pas le temps de célébrer, nous allons rester forts et positifs. Noël nous aide à rester positifs», a-t-il commenté en ajoutant qu'«on ne pense pas aux cadeaux et aux festivités comme les années d'avant».
Anastasia tente néanmoins de se faire rassurante: la famille fêtera Noël et achètera des cadeaux.
«Nous avons deux enfants, nous tentons de leur donner une atmosphère plus réjouissante, trouver des choses joyeuses, normales.»
Ihor reste tout de même chanceux puisqu'il a pu garder son emploi, contrairement à beaucoup d'Ukrainiens affectés par le chômage et qui peinent à joindre les deux bouts.
La veille, la petite famille avait perdu l'électricité pendant une dizaine d'heures, mais quelques jours avant, la panne avait duré pas moins de 37 heures.
«C'est un problème, si on n'a pas d'électricité, on n'a pas de chauffage», explique-t-il, puisqu'il faut du courant pour faire fonctionner les pompes qui font circuler l'eau chaude des radiateurs.
«Tout va geler» cet hiver, craint-il, et le couple songe à acheter une génératrice.
Comment on se débrouille avec une petite famille sans électricité?
«C'est possible de survivre, ce n'est pas la fin du monde si on a une connexion internet», assure Ihor.
Non loin de là, dans sa petite boutique de montres et de sacs à main suréclairée au néon, Ludmilla attend les clients qui se font très rares.
Et pourtant, assure-t-elle, les Ukrainiens aiment porter des montres de luxe et acheter des articles chics.
«On va se rendre à la fin de l'année et après on va fermer, ce sera terminé», dit-elle avec flegme.