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Plus de 32 ans après qu’un homme, motivé par la haine des féministes, a ouvert le feu à l’École polytechnique, tuant 14 femmes et en blessant d’autres, en 1989, Nathalie Provost a enfin assisté à sa collation des grades.
Plus de 32 ans après qu’un homme, motivé par la haine des féministes, a ouvert le feu à l’École polytechnique, tuant 14 femmes et en blessant d’autres, en 1989, Nathalie Provost a enfin assisté à sa collation des grades.
La survivante de ce féminicide, qui est devenue par la suite une infatigable militante pour le contrôle des armes à feu, a reçu jeudi un doctorat honorifique de son alma mater, lors d’une cérémonie à Montréal.
Bien qu’elle ait déjà obtenu deux diplômes de « Poly », Mme Provost expliquait avant l’événement qu’il n’y avait pas de cérémonies traditionnelles de collation des grades lorsqu’elle était étudiante _ il y avait une « cérémonie du jonc » d’ingénieur. Il s’agissait donc de sa première, jeudi.
Sur scène lors de la cérémonie, vêtue de la toge et du mortier, elle a déclaré que la tragédie l’avait profondément marquée, mais lui avait également permis d’apprendre sa propre force et de « prendre la mesure de la femme que je pouvais devenir ».
Elle a également lu les noms des 14 femmes mortes dans la tragédie.
Dans une entrevue avant la cérémonie, elle a dit qu’elle songerait alors à la forte empreinte que l’école a laissée sur sa vie _ non seulement par la terrible tragédie de 1989, mais aussi par les amis qu’elle s’est faits pour la vie, et l’enseignement qu’elle y a reçu.
« La personne adulte que je suis devenue est une ingénieure au fond des tripes, dans l’âme, a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique. Même si je ne pratique pas l’ingénierie classique aujourd’hui, j’ai une pensée d’ingénieure _ et je ne suis même pas membres de l’Ordre. »
Mme Provost a déclaré qu’elle était retournée en classe moins d’un mois après avoir été atteinte par quatre balles, lors de la tuerie du 6 décembre 1989, qui est largement considérée comme la pire fusillade de masse au Canada ciblant spécifiquement les femmes.
Elle a obtenu son baccalauréat en génie mécanique quelques mois plus tard, en mai 1990, et elle a ensuite obtenu une maîtrise en génie industriel de la même école en 1993.
Rétrospectivement, elle estime qu’en décidant de retourner en classe si tôt après le drame, elle sentait qu’elle avait quelque chose à prouver. « Je pense que c’était une sorte de façon de dire au monde et à Marc Lépine: “Vous ne m’arrêterez pas. Vous avez essayé, mais vous ne réussirez pas.”»
Le doctorat honorifique remis à Mme Provost arrive à un moment très différent de sa vie. Ses quatre enfants, dont plusieurs étaient présents jeudi, ont le même âge que certains jeunes diplômés actuels. À 55 ans, elle a connu une belle carrière en tant que fonctionnaire et a gravi les échelons. « J’arrive à l’âge de la sagesse, où j’ai du recul face à ce que je vis », a-t-elle déclaré.
Dans un communiqué, Polytechnique a dit vouloir honorer cette femme qui « est une porte-parole incontournable et une militante engagée sur la question du contrôle des armes à feu au Canada, notamment à travers l’organisation PolySeSouvient ».
Pierre Baptiste, directeur par intérim des affaires académiques et de l’expérience étudiante, a souligné que Nathalie Provost est restée impliquée à Polytechnique Montréal et a toujours encouragé les jeunes en génie, en particulier les femmes.
Il a dit qu’aujourd’hui, 30 pour cent des étudiants en génie de l’école sont des femmes - une progression qu’il attribue en partie à des femmes comme Nathalie Provost qui servent de modèles à la prochaine génération.
Mme Provost, qui est effectivement devenue une militante acharnée pour le contrôle des armes à feu après la tuerie, a déclaré qu’elle se sentait encouragée par le nouveau projet de loi fédérale sur les armes à feu, qui prévoit un gel de l’importation, de l’achat, de la vente ou du transfert d’armes de poing au Canada. Un projet de loi imparfait, mais perfectible, dit-elle, une tâche à laquelle elle a bien l’intention de s’atteler.
« L’ingénieure en moi vous dirait que c’est beaucoup plus lourd de combattre la force d’inertie que de créer du mouvement et d’être dans la force cinétique. »
Elle croit qu’il y a encore beaucoup à faire _ sur le contrôle des armes à feu, mais aussi sur d’autres enjeux, y compris la discrimination sexuelle et la violence genrée. « L’équité entre les hommes et les femmes est quelque chose pour laquelle on doit continuer de se battre. Ce n’est pas une cause fermée », dit-elle, en citant par exemple le débat sur l’avortement aux États-Unis.
Nathalie Provost estime que les jeunes femmes ingénieures qui obtiennent leur diplôme cette année seront probablement confrontées à moins de difficultés professionnelles qu’elle, mais qu’elles devront affronter aussi des défis complexes. « Chaque génération a ses défis, mais je pense que la génération qui grandit en ce moment a des défis immenses », croit-elle.
Après des décennies de militantisme, Mme Provost ne ressent pas encore le besoin d’arrêter de raconter son histoire _ tant que son témoignage pourra contribuer à de meilleures lois pour encadrer les armes à feu et à des changements concrets.
« Quand je ne croirai pas en ma contribution, je n’arriverai plus à prendre la parole et probablement que je me tairai, dit-elle. Mais pour l’instant, je pense que je peux apporter quelque chose à ma vie et à mon monde, pris au sens large.»