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Économie

Les hausses des taux d'intérêt ont alimenté le débat sur les causes de l'inflation

Les banques centrales ont fait de leur mieux pour convaincre le public que leurs hausses de taux d’intérêt serviraient éventuellement le bien commun.

L'intersection de l'avenue Spadina et de la rue Dundas à Toronto, le 17 août 2023.
L'intersection de l'avenue Spadina et de la rue Dundas à Toronto, le 17 août 2023.
Nojoud Al Mallees
Nojoud Al Mallees / La Presse canadienne

Les banques centrales ont fait de leur mieux pour convaincre le public que leurs hausses de taux d’intérêt serviraient éventuellement le bien commun.

Mais tous n'en sont pas convaincus.

Une coalition informelle de groupes syndicaux, de dirigeants politiques et d’économistes s’est formée au cours de la dernière année et demie, pour remettre en question les concepts économiques mêmes qui sous-tendent la politique monétaire.

En particulier, ces voix se sont élevées contre l'accent mis par les banques centrales sur le refroidissement du marché du travail, qui devrait se traduire à terme par un taux de chômage plus élevé et une croissance des salaires plus faible.

Les économistes considèrent traditionnellement qu'un marché du travail en forte hausse témoigne d’une économie en surchauffe et constitue l’un des indicateurs que les banques centrales doivent surveiller en matière d’inflation.

Au Royaume-Uni, l'économiste Ann Pettifor soutient que les banques centrales sont obsédées par leur volonté d'écraser la demande et de «discipliner» les travailleurs. Pendant ce temps, Jeremy Siegel, professeur émérite de finance à la Wharton School, qualifie de «malavisée» l'importance accordée par la Réserve fédérale des États-Unis au marché du travail.

Ces réticences surviennent alors que les travailleurs se sentent déjà coincés par des problèmes d’accessibilité financière et que des politiciens choisissent de plus en plus de contester publiquement les décisions en matière de taux d'intérêt.

Au Canada, l'économiste Jim Stanford a été une des principales voix à s'opposer aux fortes augmentations des taux d'intérêt de la Banque du Canada. Dans de nombreuses chroniques de journaux et entrevues avec les médias, M. Stanford a soutenu que la Banque du Canada faisait des travailleurs le bouc émissaire de la forte inflation.

«L'inflation que nous avons connue à partir de 2021 n'a rien à voir avec le marché du travail. Mais la Banque du Canada a, dès le départ, jeté le blâme sur une économie en surchauffe et un chômage trop bas», a affirmé M. Stanford dans une entrevue.

M. Stanford, directeur du Center for Future Work, a cité en exemple un discours prononcé par le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, en novembre 2022, sur la relation entre l'emploi et l'inflation.

Alors qu'il s'exprimait à l'Université métropolitaine de Toronto, M. Macklem a expliqué pourquoi la faiblesse du taux de chômage préoccupait la banque centrale.

«Le taux de chômage a touché un creux record en juin et – même si cela peut sembler positif – ce n’est pas viable, a déclaré M. Macklem. Les tensions sur le marché du travail sont un signe du déséquilibre généralisé entre l’offre et la demande qui alimente l’inflation et nuit à toute la population canadienne.»

 

«Faire souffrir les gens»

Du point de vue de M. Stanford, l’argument de M. Macklem est erroné à la fois sur le plan moral et économique.

«Imaginez si Tiff Macklem se rendait dans le stationnement à l'extérieur d'une épicerie Loblaws et disait à des gens qui viennent de payer 200 $ pour leur panier d'épicerie: "Vous savez pourquoi vous avez payé autant pour votre nourriture? C'est parce que le taux de chômage est trop bas et que les salaires augmentent trop vite"», a illustré M. Stanford.

«Il se ferait chasser du stationnement. Parce que les gens ordinaires comprennent qu'ils ne sont pas à l'origine de ce problème.»

Stephen Williamson, professeur d'économie à l'Université Western, souligne que les critiques auxquelles les banques centrales sont confrontées aujourd'hui ne sont pas nouvelles.

«On aurait pu constater cela lors d'autres épisodes inflationnistes, ce genre d'idée que "vous faites baisser l'inflation, mais vous faites souffrir les gens"», a-t-il affirmé.

Bien que M. Williamson ne se positionne dans aucun des deux camps du débat actuel sur les hausses de taux d’intérêt, le chercheur universitaire a quelques doutes quant à la sagesse conventionnelle qui sous-tend la politique monétaire. Il est particulièrement sceptique quant au lien supposé entre emploi et inflation.

«Nous avons vu l'inflation ralentir aux États-Unis sans pratiquement aucun changement dans le taux de chômage. Ici, nous avons eu une légère remontée du taux de chômage, mais pas tellement», a souligné M. Williamson.

«Donc, si quelqu'un essaie de dire maintenant: "Oh, nous avons besoin, nous avons vraiment besoin d'introduire un certain ralentissement sur le marché du travail, nous avons besoin de plus de chômeurs pour faire baisser l'inflation", on peut lui opposer l'expérience réalisée jusqu'à maintenant, et comment (l'inflation) a diminué.»

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Depuis mars 2022, la Banque du Canada a fait passer son taux directeur de près de 0 % à 5 %, le portant à son niveau le plus élevé depuis 2001.

Même si l'inflation n'est pas encore revenue à l'objectif de la banque centrale, elle est passée d'un sommet de 8,1 % à 4,0 % en août.

À la surprise de plusieurs, le marché du travail est resté relativement résilient malgré la hausse des taux d’intérêt.

Toutefois, plus récemment, le taux de chômage au Canada a progressé jusqu'à 5,5 %, et les prévisionnistes s'attendent à ce qu'il continue d'augmenter.

La hausse des taux d’intérêt commence à ralentir l’économie, ce qui, selon la banque centrale, est nécessaire pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.

Un ralentissement aurait cependant des conséquences.

«Un ralentissement de la croissance économique entraînera probablement une hausse du chômage», avait concédé M. Macklem dans son discours de novembre dernier.

Pendant ce temps, M. Stanford soutient que la cause de la forte inflation ne vient pas du fait que les gens dépensent trop ou que les travailleurs gagnent plus d’argent. Il l'attribue plutôt en grande partie aux circonstances mondiales post-pandémiques, ainsi qu’aux profits élevés.

La part de responsabilité des entreprises

La Banque du Canada considère généralement que les profits élevés sont le symptôme d’une demande excessive dans l’économie. Mais un récent discours du sous-gouverneur Nicolas Vincent suggère que la banque centrale prête plus d'attention à la manière dont les prix des entreprises ont changé depuis la pandémie, et à la question de savoir si des hausses de prix plus importantes et plus fréquentes pourraient «s'alimenter d'elles-mêmes».

S'adressant à des chefs d'entreprise à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, M. Vincent a expliqué que la banque centrale estimait que des hausses de prix plus importantes et plus fréquentes de la part des entreprises contribuaient à une inflation persistante.

«On pense que cette réaction des entreprises – ici et à l’étranger – est intimement liée à la forte inflation durant cette période», a affirmé M. Vincent.

Même si les commentaires de M. Vincent étaient nouveaux pour la Banque du Canada, on ne sait pas exactement comment ils pourraient influencer les décisions en matière de taux à l'avenir.

Le fait que le chômage soit susceptible d’augmenter est une vérité inconfortable pour les banques centrales confrontées aux réactions négatives liées aux hausses des taux d’intérêt.

Mais l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, a fait valoir qu'augmenter le taux de chômage lorsque l'inflation est élevée est exactement ce que les banques centrales devraient faire. Il a également rejeté l’idée voulant que des taux d’intérêt plus élevés puissent finir par nuire aux travailleurs.

«C'est absolument faux. Ce qui nuit vraiment aux travailleurs, c'est l'inflation. Nous avons, nous avons un siècle d'histoire dans ce domaine», a affirmé M. Dodge.

L’ancien gouverneur et fonctionnaire fédéral de longue date a admis que des taux d’intérêt plus élevés affecteraient différemment les gens. Mais il a ajouté qu’il appartenait aux gouvernements de remédier à ces effets inégaux.

«L'effet distributif est entre les mains du gouvernement. Il n'est pas entre les mains de la banque centrale», a estimé M. Dodge.

Les politiciens s'en mêlent

Même si la vision de M. Stanford en matière de politique monétaire n'est pas la plus courante, le débat sur la hausse des taux d'intérêt s'est infiltré dans le domaine politique. Le mois dernier, plusieurs premiers ministres ont demandé à la Banque du Canada de cesser d'augmenter les taux d'intérêt, tandis que le Nouveau Parti démocratique (NPD) a suggéré que le gouvernement fédéral devrait demander la même chose à la banque centrale.

Même la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a été critiquée pour avoir qualifié la décision de la Banque du Canada de maintenir les taux d'intérêt de «soulagement bienvenu pour les Canadiens».

Après dix hausses de taux consécutives, et alors que la banque centrale n'exclut pas encore une autre hausse des taux, il est clair que la Banque du Canada a pour l'essentiel ignoré les appels à cesser de relever les taux.

Le gouvernement fédéral a également laissé la tâche de lutter contre l’inflation à la Banque du Canada, ignorant les appels à introduire des taxes exceptionnelles à grande échelle ou à imposer une réglementation des prix, des politiques soutenues par M. Stanford.

Pourtant, ce dernier est heureux de voir des voix non conventionnelles obtenir une plus grande place dans le débat sur la politique monétaire. Ce phénomène reflète l'appétit des gens pour un système économique qui fonctionne mieux pour eux, a-t-il fait valoir.

«Les gens ordinaires comprennent qu’ils ne sont pas à l’origine de ce problème. Et à cet égard, je pense qu'il y aura un environnement populaire très fertile pour discuter de solutions de rechange au statu quo.»

Nojoud Al Mallees
Nojoud Al Mallees / La Presse canadienne