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Pouvoir se demander si l’on souhaite avoir des enfants constitue un privilège.
Il y a une dizaine d'années, je participais à une cérémonie de remise de bourses d’études. Je figurais parmi les lauréats.
Plusieurs invités politiques de divers horizons ont pris la parole en amont, comme il est coutume de le faire dans un tel contexte. Parmi eux se trouvait notre députée au palier fédéral de l’époque.
Dans sa brève allocution, elle a parlé de la maternité et de sa vie en politique active, deux sphères qui sont d’ailleurs toutes deux entrées dans sa vie pour la première fois de façon simultanée.
Elle nous a expliqué qu’avant d’être mère, elle était convaincue qu’elle allait exceller dans les deux sphères. Elle a rapidement compris que c’était impossible. Qu’il y a des moments de sa vie de famille qu’elle devait sacrifier. Tout comme il y a des occasions professionnelles auxquelles elle devait renoncer, avec une certaine ambivalence.
Cette femme n’est plus députée aujourd’hui. Elle devait être âgée au début de la trentaine. Or, malgré ce passage éclair en politique active, elle m’a légué quelque chose de précieux ce jour-là.
J’ai réalisé en l’écoutant que j’avais exactement la même conviction qu’elle quant à ma capacité à gérer une carrière – peu importe soit-elle – et la maternité. Je n’avais jamais entendu ce qu’elle avait exprimé ce jour-là auparavant. Son partage a ébranlé cette conviction naïve que je portais en moi.
Plusieurs années auparavant, j’écoutais une émission télévisée d’affaires publiques sur le deuil périnatal. Plusieurs femmes témoignaient. L’une d’entre elles racontait avoir vécu une fausse couche. Le choc émotionnel avait été grand pour elle. Si grand qu’elle estimait que c’est en raison de ce choc qu’elle a perdu la capacité physique de pouvoir se reproduire, malgré des tentatives de retomber enceinte par la suite.
Je ne suis pas médecin et je ne sais pas si ce qu'elle dit se tient, «scientifiquement parlant».
Ceci étant dit, je connaissais plusieurs femmes qui avaient vécu des fausses couches. Je ne savais pas que ce deuil pouvait être si grand. C’était la première fois – encore une fois – que j’entendais cela.
En vieillissant, j’ai compris que bien des femmes ayant vécu un deuil périnatal étaient aussi tristes d'avoir perdu leur enfant. Plusieurs ne parlaient jamais de cette peine. Non pas parce qu’elles n’en étaient pas bouleversées, mais parce qu’elles n’avaient «pas le temps» de l’être.
Depuis quelques années, on voit aussi émerger des témoignages courageux portant sur le regret maternel. Toutes les fois que des femmes s’expriment là-dessus, elles se font répondre que leur enfant va vieillir et risque de lire ce qu’elles ont dit à ce sujet.
Or, ce qui frappe, c’est qu’elles répondent sensiblement la même chose à cela, en France, au Canada ou aux États-Unis : «J’aime mon enfant plus que tout au monde. C’est le rôle de mère que je trouve lourd.»
Et encore une fois, c’était quelque chose que je n’avais jamais entendu par le passé.
Ces derniers jours, une déclaration du président Emmanuel Macron a fait bondir des associations de femmes en France. S’alarmant de la baisse de natalité dans le pays, il a annoncé un grand plan de lutte contre l’infertilité. Son emploi de l’expression «réarmement démographique» en a inquiété plusieurs, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, historiquement parlant.
Elle fait écho à la pseudo-théorie du «grand remplacement», soit celle voulant que des étrangers cherchent à se substituer aux «vrais» Français.
L’expression m’a aussi fait penser à ce reportage troublant d’Enquête sorti en 2021 dans lequel plusieurs femmes autochtones et noires ont témoigné des stérilisations forcées qu’elles ont subies au Québec. Une situation décriée depuis plusieurs décennies.
Parallèlement, j’ai songé à ces femmes (blanches, il faut le dire) qui, lorsqu’elles souhaitent se faire stériliser, se heurtent à des refus affirmés de plusieurs médecins, ces derniers craignant qu’elles puissent regretter cette opération irréversible.
De quoi et de qui parle-t-on, au juste, lorsqu’on utilise un vocabulaire guerrier pour instaurer des politiques natalistes?
Pouvoir se demander si l’on souhaite avoir des enfants constitue un privilège. À d’autres époques et même encore aujourd’hui, plusieurs n’ont pas ce luxe. Le cadre hétéronormatif de la famille nucléaire mérite également d’être questionné, notamment pour les personnes queers qui souhaitent « faire famille autrement », comme l’explique la sociologue du genre Gabrielle Richard.
Or, ce que ces lignées de femmes ont fait en levant le voile sur les difficultés qu’elles vivent est important. Leurs témoignages permettent – pour celles qui ont ce privilège – de faire un choix plus éclairé, en dehors des pressions sociétales. La maternité demeure idéalisée. Pour les millénariaux et les Z, l’effondrement climatique influence aussi la réflexion.
Le fameux proverbe africain voulant qu’il faille tout un village pour élever un enfant demeure ardu à mettre en pratique par chez nous. Même qu’il y a des acquis qui s’effritent comme démontré par la naissance du mouvement québécois Ma place au travail ou le renversement de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis.
Peu importe la décision prise, être soutenue fait toute la différence et plusieurs le nomment à voix haute. Encore faut-il que nos établissements et nos collectivités se décident à prendre ces doléances au sérieux. L’explication de cette baisse démographique se trouve sans doute en partie là.
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