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C’est une histoire qui fait énormément jaser en France depuis quelques jours.
C’est une histoire qui fait énormément jaser en France depuis quelques jours.
Jeudi dernier, l’émission Complément d’enquête, diffusée sur les ondes de la télévision nationale France 2 a révélé au grand public des images inédites et profondément troublantes de Gérard Depardieu. L’acteur de renom, aujourd’hui âgé de 74 ans et dont la carrière s’échelonne sur près de soixante ans, était alors en voyage en Corée du Nord en 2018.
Dans ce reportage, Depardieu multiplie les commentaires à connotation sexuelle envers pratiquement toutes les femmes qu’il croise sur son chemin. Ces remarques sont dites, sans aucune honte, avec un sans-gêne, alors qu’il est filmé et en public, aux yeux et au su de tous ceux qui sont autour de lui. Dans l’un des extraits, il va même jusqu’à sexualiser une fillette d’une dizaine d’années qui faisait de l’équitation.
Malgré l’onde de choc des derniers jours, Depardieu avait déjà été mis en cause, notamment par l’actrice Charlotte Arnould, en 2018, elle qui avait porté plainte à la police. En réaction à Depardieu qui s’était défendu de l’avoir violée dans Le Figaro, elle avait affirmé ceci au magazine ELLE: «J’ai 22 ans, je pèse 37 kilos, car je souffre d’anorexie et c’est un ami de mon père. [...] À aucun moment, je n’étais consentante. [...] Il m’a souillée en 2018 et d’une certaine façon, il continue de le faire par les mots. [...].» Une seconde plainte a été logée par la comédienne Hélène Darras, dans les jours ayant suivi la diffusion de Complément d’enquête.
Rappelons qu’en avril 2023, Médiapart publie une enquête journalistique de plusieurs mois à propos de Gérard Depardieu. Dans celle-ci, 13 femmes l’accusent de violences sexuelles, notamment lors de tournage de films, entre 2004 et 2022. Depardieu persiste alors à tout nier en bloc.
S’il a fallu – encore une fois – une preuve vidéo pour briser un tout petit peu l’omerta qui a entouré Gérard Depardieu, moins de gens prennent responsabilité – qu’elle soit individuelle ou institutionnelle – pour la protection qu’il a bénéficié. Car ce qui frappe dans les images de Complément d’enquête, c’est l’aisance avec laquelle Depardieu lance ces propos dénigrants et sexualisants.
C’est là le signe d’un homme qui a visiblement surfé sur l’impunité et l’aura de sa notoriété et qui à plusieurs égards se croit intouchable. Soulignons aussi que devant les réactions que suscite actuellement la diffusion de Complément d’enquête, peu de gens font mention de la dimension profondément raciste et fétichiste de ces commentaires dégradants, qui, dans ce contexte, étaient adressés à des femmes asiatiques.
Dans son plus récent essai, la militante et autrice française Rose Lamy, dissèque l’archétype du «bon père de famille». Au cœur de cet ouvrage, elle insiste sur le fait que les auteurs d’agressions sexuelles ne sont pas des monstres, mais le plus souvent, des hommes qui entrent dans les barèmes de la respectabilité.
Considérant que la vaste majorité des agressions sexuelles sont commises par une personne connue de la victime, il s’agit, entre autres, de nos amis, pères, frères, patrons, partenaires intimes et ex-partenaires intimes. Dans bien des cas, il s’agit d’individus pour lesquels l’on peut même vouer une certaine admiration, voire même attachement.
Lamy dénonce également l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes, car les «bons pères de famille» sont des hommes blancs. Lorsque ces violences sont commises par des hommes racisés, ils prennent malgré eux le rôle d’un repoussoir, une manière pour les sociétés soi-disant «civilisées» d’éviter de faire de l’introspection face aux ravages de la culture du viol dans leur propre cour.
Se déploie alors toute une rhétorique – dont plusieurs féministes s’enorgueillissent – dont le corollaire est l’adoption de lois et de politiques visant à «protéger» les femmes. Pour paraphraser la chercheuse indienne Gayatri Spivak, qui a notamment écrit Les subalternes peuvent-ils parler? en 1985, plusieurs hommes blancs et femmes blanches cherchent à «sauver» les femmes racisées des hommes de leurs communautés.
C’est d’ailleurs une dynamique à laquelle la société canadienne n’échappe pas. Les meurtres des femmes et filles de la famille Shafia à Kingston en Ontario en 2009 en sont un éloquent exemple. L’affaire Shafia avait dominé l’actualité lors de cette période et (re)lancé tout un débat sur les «valeurs canadiennes», les crimes d’honneur et les violences faites aux femmes au sein des communautés musulmanes; débat dont plusieurs angles morts ont été déterrés, et à juste titre, par des intellectuelles universitaires racisées basées au Québec et au Canada.
Si la France semble être en train de traverser sa version des scandales Weinstein, Rozon ou Salvail, soit les affaires ayant propulsé le mot-clic #metoo aux États-Unis et #moiaussi au Québec en octobre 2017, il n’en demeure pas moins que le tour de la question n’a pas été fait.
Nous n’en voyons toujours que la pointe de l’iceberg. Malheureusement, il y a beaucoup de Depardieu – nous en connaissons tous au moins un, qu’on en ait conscience ou pas – Depardieu n’étant qu’un arbre au sein d'une forêt.
Les violences sexuelles, dont les proportions sont pandémiques, sont rarement l’apanage de monstres. Lorsque l’on aura véritablement compris cela, un début de solutions innovantes et pérennes pour détruire les racines de ce mal sociétal pourra être mis de l’avant. Une stratégie qui s’avérerait beaucoup plus efficace que de feindre la surprise toutes les fois qu’un nouveau «monstre» se retrouvera à être ainsi «exposé» et que l’on cherchera à s’en dissocier.
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