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J’ai accouché à la maison avec des sages-femmes. Deux fois. Et si le nouveau projet de loi 15 de Christian Dubé, qui propose une restructuration du système de santé, avait été en place à ce moment-là, je n’aurais peut-être pas pu le faire.
J’ai accouché à la maison avec des sages-femmes. Deux fois. Et si le nouveau projet de loi 15 de Christian Dubé, qui propose une restructuration du système de santé, avait été en place à ce moment-là, je n’aurais peut-être pas pu le faire.
Que la pratique sage-femme change, qu’il y ait un pas en arrière et qu’il existe une impossibilité pour les femmes de choisir, c’est ce que craignent en ce moment les 12 000 personnes qui ont signé une lettre ouverte dénonçant les possibles répercussions du projet de loi. C’est aussi ce qui fait peur aux centaines de personnes qui ont manifesté partout au Québec ce dimanche.
C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de me tourner vers un suivi sage-femme lors de mon deuxième accouchement. J’avais expérimenté, deux ans auparavant, un premier accouchement tout ce qu’il y a de plus «classique» dans un hôpital montréalais. Ça ne s’était pas mal passé. Ça ne s’était pas bien passé non plus. J’étais sortie de là avec un goût amer et l’impression de n’avoir pas été entendue. Je voulais autre chose, une autre approche. Je voulais choisir.
Pas que j’aie quoi que ce soit contre les médecins ou les infirmières. Ils sont essentiels pour le bon déroulement de certains accouchements. C’est juste que j’étais en santé et que j’avais une grossesse normale, ce qui représente 85 % des grossesses, quand on y pense. Considérant tout ça, et considérant que j’avais envie d’un suivi personnalisé qui impliquerait réellement mon conjoint à chacune des étapes, je me suis tournée vers la pratique sage-femme. Je ne l’ai jamais regretté.
Comme beaucoup de gens, au départ, j’avais des préjugés. Je m’imaginais la sage-femme, dans sa robe en terre cuite, faire des incantations à la lune pendant qu’elle ferait bouillir de l’eau chaude. J’ai vite compris que la sage-femme est une vraie professionnelle de l’accouchement, une professionnelle avec quatre ans et demi d’études universitaires dans la tête et dans le corps. On était loin d’Émilie Pronovost qui accouche dans un banc de neige.
J’ai tout aimé de mes accouchements à la maison (sauf peut-être l’impression que le corps allait me fendre en deux à chacune de mes contractions). Pouvoir donner la vie dans ma chambre à coucher, dans une position qui allait de soi, dans la lumière qui me convenait. Savoir que la sage-femme, à chaque moment du travail, se trouvait à mes côtés et me consultait pour la suite des choses. Pouvoir me reposer, après la naissance de mes enfants, sans être régie par des horaires de garde. Me faire préparer deux œufs bacon, quelques heures après l’accouchement, par l’aide à la naissance. Je vous jure. C’était pour me remettre de la mine dans le crayon, elle m’avait dit.
Accoucher à la maison, comme je le voulais et en me sentant en sécurité, m’a en quelque sort réconcilié avec mon premier accouchement. J’ai donc de la misère à concevoir qu’à cause d’un projet de loi qui peine à voir les angles morts, d’autres femmes n’auront peut-être pas cette liberté-là.
Jointe au téléphone, Sarah Landry, co-coordonnatrice au Mouvement pour l’autonomie dans l’enfantement, m’explique l’angoisse dans laquelle les familles sont plongées depuis l’annonce. «Même si, de l’extérieur, le mécanisme a l’air d’avoir ben de l’allure, le diable est dans les détails.»
Sarah a raison. C’est vrai que si l’on regarde ça froidement, on pourrait être tenté de penser que ce n’est pas bien grave si l’on fusionne le comité sage-femme avec le conseil des médecins, des dentistes et des pharmaciens.
Mais avec cette nouvelle formule, ce ne serait plus les sages-femmes qui seraient maîtres de leurs décisions. Ce seraient les médecins, qui se retrouveraient en plus grand nombre sur le comité. «Les sages-femmes ont peur de perdre leur autonomie professionnelle et que le processus soit une fois de plus médicalisé. Elles ont peur de perdre le contrôle et que soit rendue caduque la lutte qu’elles ont menée», une lutte qui les a menées à la constitution d’un ordre professionnel, en 1999.
Toute la pratique sage-femme a été pensée pour qu’elles puissent accompagner les femmes qui accouchent en respectant leur choix et leur capacité à prendre des décisions. Or le projet de loi 15 met en péril ces fondements.
«Est-ce qu’on aura des contrats uniquement en centre hospitalier? Est-ce que dans chaque nouvel aménagement, les sages-femmes vont devoir se battre lorsqu’elles auront des demandes, car la loi 15 leur aura fait perdre leur autonomie? Ce sont des questions qui se posent», m’explique Sarah Landry.
Revenons aux familles dont elle s’occupe. «En enlevant des garanties, est-ce qu’il y aura encore moins d’accès aux services? Beaucoup de femmes craignent de ne plus pouvoir accoucher à la maison ou en maison de naissance et que l’hôpital devienne la seule option. Et pour les nouveaux services, sur la Côte-Nord par exemple, où il n’y a pas encore de service de sage-femme, la peur de n’avoir pas accès aux mêmes services que dans le Québec d’avant la loi 15, est bien réelle.»
Je regarde ça aller, et je ne comprends pas. M. Dubé, en tout respect, n’a pas l’air d’accorder trop d’importance aux répercussions malheureuses qui découleront indubitablement du projet de loi 15. Est-ce parce qu’il ne trouve pas ce dossier assez important qu’il a préféré laisser à son sous-ministre adjoint le Dr Stéphane Bergeron, un ancien médecin, le soin de répondre aux doléances des sages-femmes? À ce jour, il n’a pas rencontré les instances concernées.
Je crois qu’on est rendu au moment de la discussion où le ministre de la Santé devrait tendre l’oreille plus sérieusement. Christian Dubé se targue de vouloir rendre le système de santé plus efficace, il a la volonté de le dépoussiérer. Il serait temps qu’il se penche, ainsi que son sous-ministre, sur ce qui pourrait être fait pour aider les sages-femmes. C’est de ça qu’on devrait parler. Là, on se bat pour maintenir des choses qui étaient acquises. On recule.