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«Cette idée qu’on "droguerait" toute une génération, ça fait tellement de mal aux parents. Et ça fait mal aussi aux ados qui auraient besoin d’antidépresseurs...»
«Des petits zombies», «Des enfants sous sédation», «Une enfance passée ben gelé». Les préjugés ont la couenne dure quand vient le temps de parler des enfants ou des adolescents qui, pour des raisons qui leur appartiennent ainsi qu’à leur famille, reçoivent un traitement médicamenteux pour contrôler et/ou traiter un TDAH, une dépression et l’anxiété qui vient souvent avec ces deux conditions.
C’est pourquoi lundi, lorsqu’il fut rapporté que les jeunes Québécois consomment plus d’antidépresseurs qu’auparavant (10 % de plus que l’an dernier) et qu’on a enchaîné en disant que les pédiatres déploraient le manque de ressources en santé mentale, je savais ce qui s’en venait.
Voyez l'intervention de Geneviève Pettersen diffusée au bulletin Noovo Info 17 animé par Marie-Christine Bergeron jeudi dans la vidéo liée à l'article.
Ce n’est pas la première fois que les pédiatres lèvent un drapeau rouge quant à la consommation grandissante d’antidépresseurs et de prescriptions de traitements «contre» le TDAH. Et cette chronique ne se veut pas une charge envers eux. Ils sont préoccupés par la santé de leurs petits patients et il est vrai que des ressources en santé mentale, il en manque cruellement. C’est aussi vrai que médicamenter un enfant, ce n’est pas un miracle. Le traitement doit s’accompagner d’un suivi en santé mentale et de nombreuses autres mesures, le cas échéant.
J’ai envie de dire que de se servir de ce fait (on prescrit de plus en plus d’antidépresseurs aux ados et aux enfants) pour interpeller le ministre Lionel Carmant est une excellente chose. On martèle (une fois de plus) qu’on a besoin de plus de ressources en santé mentale et que l’argent doit être à l’écran. Autrement dit, l’argent doit se rendre sur le terrain.
Revenons aux préjugés qui incombent aux parents qui font le choix de médicamenter leurs enfants. Justement, ce type de sortie encourage les préjugés au sein de la population qui, bien souvent, n’ira pas plus loin que cette sortie et qui se dira «Ben kin! On drogue les enfants! Tu parles d’une affaire.»
Cette idée qu’on «droguerait» toute une génération, ça fait tellement de mal aux parents. Et ça fait mal aussi aux ados qui auraient besoin d’antidépresseurs, mais qui n’en veulent pas à cause de tout ce qu’on raconte et du stigmate qui accompagne souvent la prise de médicaments.
Isabelle (nom fictif), mère de trois enfants TDAH, sent le doute dans les yeux de ses interlocuteurs lorsqu’elle parle de leur médication. Elle témoigne: «c’est comme si c’était moi qui voulais que mes enfants aient ce trouble et que je cherche des bébittes. J’ai vécu l’enfer pendant un bout. Mon fils faisait de grosses crises plusieurs fois par jour et je devais en minimiser l’impact sur mes deux filles qui étaient bien tristes et perdues dans tout cela. J’ai tout essayé avant de leur donner des molécules. Cependant, je peux dire qu’après plusieurs années d’essais et erreurs, la médication permet à mes enfants d’être bien.
Isabelle utilise souvent, avec son entourage, une image amusante pour essayer d’expliquer sa situation. «Pour aider chacun de mes enfants, je dois leur donner une tarte. Ils ont chacun une saveur différente. La médication est une pointe de tarte, le tiers temps en est une autre, le sport en est une autre, etc. Tout cela leur permet d’avoir un équilibre.» Mais elle enchaîne en revenant sur les biais qu’on entretient sur les enfants médicamentés.
«Le jugement est très grand dans la société en général, et ça fait mal. Je me sens souvent, bien malgré moi, comme une mauvaise maman. Pourtant je me consacre à mes trois enfants depuis 13 ans. Je les aime et je veux le meilleur pour eux.»
Mélanie (nom fictif) aussi se sent jugée, et ce, même si les médicaments ont été utilisés en dernier recours.
«J’ai un enfant de 11 ans dans cette situation. Malgré les rendez-vous et les thérapies (le tout au privé, bien sûr), les livres lus par nous les parents, il a besoin de médication.»
En dernier recours. C’est-à-dire quand les parents, bien souvent, ont tout essayé. Le médecin de famille aussi. Faute de ressource et bien souvent parce que le jeune est en crise et n’est plus capable de fonctionner, on prescrit.Je ne pense sincèrement pas me tromper en prétendant qu’il n’y a pas un médecin, pas un pédiatre ni un pédopsychiatre qui prescrivent à la légère ce type de molécule.
Je le sais, car j’ai vécu personnellement ce qu’ont vécu Isabelle et Mélanie. J’ai accompagné un de mes enfants dans les abîmes de la dépression. Et je peux vous dire que pour les équipes soignantes (quand on y a enfin accès), la médication n’est pas prise à la légère.
C’est la dernière solution envisagée, quand on a essayé d’agir sur le milieu et les saines habitudes de vie et quand la psychothérapie n’est pas suffisante.
Les médicaments ont sauvé la vie d’un de mes enfants. Littéralement. Nous étions arrivés au bout de la route. Malgré ça, je me sentais quand même coupable d’en être rendue là. J’avais l’impression d’avoir raté quelque chose, d’avoir failli à mon rôle de mère. De l’avoir laissé tomber.
Je me rappelle en avoir parlé au psychiatre qui nous suivait et qui nous suit toujours. Il m’a dit un truc qui a changé pour toujours ma façon de voir les antidépresseurs. Il m’a expliqué que mon enfant était en train de se noyer et qu’il ne savait pas nager. Il m’a dit qu’il allait lui lancer une bouée de sauvetage pour qu’il puisse survivre et qu’après, on lui apprendrait à nager.
Traduction: la médication ne fait pas tout et n’arrangera pas tout. C’est une life line en attendant. Les pédiatres ont raison, ça prend plus de ressources.
M. Carmant, il faut apprendre à tous nos enfants à nager. Ce n’est pas normal que plusieurs coulent à pic sous nos yeux impuissants.