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Le débat sur les drag queens est arrivé au Québec. Après une manifestation qui a forcé le déplacement de l’heure du conte de Barbada, c’est au tour d’Éric Duhaime de s’en mêler.
Le débat sur les drag queens est arrivé au Québec. Après une manifestation qui a forcé le déplacement de l’heure du conte de Barbada, c’est au tour d’Éric Duhaime de s’en mêler. Mercredi, le chef conservateur a lancé une pétition «pour protéger les enfants des drag queens». Comment expliquer cette levée de boucliers?
Pour le professeur à l'Université de Sherbrooke et cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent, David Morin, on assiste à «la structuration d'un écosystème de droite réactionnaire» qui a débuté lors de la pandémie de COVID-19.
«C'est un peu les mêmes leaders complotistes de la pandémie qui tout d'un coup réagissent aux drag queens», explique-t-il en entrevue à La Presse canadienne.
François Amalega, qui a été très actif dans le mouvement d'opposition aux mesures sanitaires durant la pandémie, a participé à la manifestation pour faire annuler l’heure du conte de la drag queen Barbada à Sainte-Catherine, en Montérégie, il y a deux semaines.
«Toutes les sociétés humaines ont pour fondement la famille et l’amour, les enfants sont appelés à être protégés!», a-t-il lancé durant la manifestation, selon Radio-Canada.
Un discours que Frédérick Nadeau, chercheur au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) du cégep Édouard-Montpetit, associe à une forme de «conservatisme assez classique».
«On va considérer la famille comme l'unité de base des sociétés occidentales et on va affirmer que les mouvements progressistes cherchent à détruire la famille, les repères culturels, à travers des enjeux comme l'avortement, le rôle des femmes, les droits des minorités sexuelles, etc.», soutient-il.
Une partie de ce mouvement complotiste de la pandémie est désormais très active au niveau du discours anti-drag.
Une réalité qui ne surprend pas le politologue Frédéric Boily., de l'Université de l'Alberta.
«C'est un peu comme un phénomène d'écho. On passe d'un sujet à l'autre assez facilement, surtout avec les réseaux sociaux qui participent au développement d'écosystèmes complotistes beaucoup plus facilement qu'auparavant», indique-t-il.
À VOIR | Pétition contre les drag queens: Éric Duhaime accusé d’attiser la haine
David Morin explique comment s’articule le logiciel complotiste par rapport aux drag queens: «C’est perçu comme l’effort de certaines élites malveillantes de briser ce qu’on appelle la “famille traditionnelle” ou la “sexualité normale”.»
Il affirme du même souffle qu’on doit toutefois faire preuve de nuance sur la question. «Il faut faire attention, lorsque des gens ont une vision réactionnaire, de ne pas leur accoler tout de suite l’étiquette de complotiste pour essayer de délégitimer leur voix», dit-il.
Le chef du Parti conservateur du Québec s’est aussi jeté dans la mêlée mercredi.
Dans sa pétition où il demande que cesse le financement public des activités des drag queens pour les enfants, Éric Duhaime indique «que certaines drag queens tentent depuis quelques années d’entrer dans les garderies, les écoles et les bibliothèques publiques afin de lire des contes sur la diversité sexuelle ou expliquer la théorie des genres d’un point de vue woke».
Selon Frédérick Nadeau, l’utilisation des enfants est un bon moyen pour obtenir des appuis. «Ça devient un levier émotionnel assez puissant pour rallier à une cause, quelle qu’elle soit. [...] Essentiellement les enfants représentent l'innocence qui n'a pas été pervertie par le système», explique-t-il
«La crainte dans les milieux conservateurs, c’est l’idée que d'aller entendre une drag queen raconter une histoire quelconque aurait pour effet de ‘‘convertir’’ les enfants à l'idéologie du genre», ajoute-t-il.
Au moment d'écrire ces lignes, la pétition avait recueilli plus de 20 000 signatures.
La mouvance anti-drag provient des États-Unis. Plusieurs États américains – comme l’Arizona, le Tennessee, l'Arkansas, l’Iowa ou encore le Texas – ont légiféré contre les spectacles de drag queens.
Des groupes d’extrême-droite aux États-Unis – parfois armés –, comme les Proud Boys, ont fait annuler des événements avec des drag queens.
«Il y a clairement une influence par rapport à ce qui s’est passé sur la question des drag queens, notamment au Tennessee, et ç’a eu un impact ici au Canada», soutient David Morin.
Frédéric Boily abonde dans le même sens. «Les courants idéologiques traversent très facilement les frontières. [...] La droite québécoise est assez alerte à tout ce qui se passe à l’extérieur», affirme-t-il.
M. Morin croit que ce discours a des conséquences bien réelles au Canada.
«Je mettrais quand même ça en lien avec l'augmentation des crimes haineux à l'encontre des minorités sexuelles depuis quelques années. [...] Statistique Canada a montré que c’était le cas ici», soutient-il.