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«C'est un événement historique».
L'Ukraine a suspendu mercredi les livraisons de gaz russe à ses clients européens via son réseau de gazoducs après l'expiration, avec la fin de 2024, d'un accord de transit conclu avant la guerre.
Le ministre ukrainien de l'Énergie, Herman Halouchtchenko, a confirmé mercredi matin que Kyiv avait interrompu le transit «dans l'intérêt de la sécurité nationale».
«C'est un événement historique. La Russie perd des marchés et subira des pertes financières. L'Europe a déjà décidé de se débarrasser progressivement du gaz russe, et cela correspond à ce que l'Ukraine a fait aujourd'hui», a déclaré M. Halouchtchenko dans une mise à jour sur l'application de messagerie Telegram.
Lors d'un sommet à Bruxelles le mois dernier, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a juré que Kyiv ne permettrait pas à Moscou d'utiliser son système de transit pour gagner «des milliards supplémentaires (...) sur notre sang, sur la vie de nos citoyens». Il avait cependant laissé ouverte la possibilité que les flux de gaz continuent si les paiements à la Russie étaient suspendus jusqu'à la fin de la guerre.
La compagnie russe Gazprom a indiqué mercredi matin dans un communiqué qu'elle n'avait maintenant «aucune possibilité technique et légale» d'envoyer du gaz via l'Ukraine, en raison du refus de Kyiv de prolonger l'accord.
Alors que les troupes et les chars russes pénétraient en Ukraine en 2022, le gaz russe continuait de circuler vers l'Europe par le réseau de gazoducs du pays, mis en place lorsque l’Ukraine et la Russie faisaient toutes deux partie de l’Union soviétique, en vertu d’un accord de cinq ans. Gazprom gagnait de l’argent grâce au gaz et l’Ukraine percevait des frais de transit.
Avant la guerre, la Russie fournissait près de 40 % du gaz naturel des gazoducs de l’Union européenne. Le gaz circulait via quatre systèmes de gazoducs, un sous la mer Baltique, un autre à travers la Biélorussie et la Pologne, un à travers l’Ukraine et un dernier sous la mer Noire via la Turquie et la Bulgarie.
Après le début de la guerre, la Russie a coupé la plupart des approvisionnements via les gazoducs de la Baltique et de la Biélorussie-Pologne, invoquant des différends concernant une demande de paiement en roubles. Le gazoduc de la Baltique a finalement explosé lors d’un acte de sabotage, mais les détails de l’attaque restent obscurs.
La coupure russe a provoqué une crise énergétique en Europe. L’Allemagne a dû débourser des milliards d’euros pour installer des terminaux flottants afin d’importer du gaz naturel liquéfié par voie maritime. Les utilisateurs ont fini par réduire leur consommation à mesure que les prix ont grimpé. La Norvège et les États-Unis ont comblé le vide, devenant les deux plus gros fournisseurs d'énergie du pays.
L'Europe considère la coupure russe comme du chantage énergétique. Elle a présenté des plans pour éliminer complètement les importations de gaz russe d'ici 2027.
La part de la Russie sur le marché du gaz naturel par gazoduc de l'UE a chuté jusqu'à environ 8 % en 2023, selon les données de la Commission européenne. La route de transit ukrainienne dessert deux membres de l'UE, l'Autriche et la Slovaquie, qui ont longtemps obtenu la majeure partie de leur gaz naturel de Russie, mais qui ont récemment dû se démener pour diversifier leurs approvisionnements.
L'un des pays les plus touchés sera la Moldavie, candidat à l'UE, qui recevait du gaz russe depuis l'Ukraine et a mis en place des mesures d'urgence alors que ses habitants se préparent à un hiver rigoureux accompagné de coupures imminentes.
Indépendamment de la décision de Kyiv de laisser expirer l'accord de transit, Gazprom a déclaré le mois dernier qu'il arrêterait ses livraisons à la Moldavie à partir du 1er janvier, invoquant une dette impayée. L'entreprise a affirmé que le pays devait près de 709 millions $ US pour des livraisons de gaz passés, un chiffre que le pays a farouchement contesté en citant des audits internationaux.
L'approvisionnement en eau chaude et en chauffage a été brutalement interrompu mercredi dans les foyers de Transnistrie, une région séparatiste de Moldavie qui abrite depuis des décennies des troupes russes, a déclaré l'opérateur de transport local Tiraspoltransgaz-Transnistria. L'opérateur nomme l'arrêt du flux russe comme raison à l'interruption.
Le 13 décembre, le parlement moldave a voté en faveur de l'imposition d'un état d'urgence dans le secteur de l'énergie, alors que les craintes grandissaient que les pénuries de gaz puissent déclencher une crise humanitaire en Transnistrie, région dépendante depuis des décennies des approvisionnements énergétiques russes.
La Moldavie, l'Ukraine et les responsables politiques de l'UE ont accusé à plusieurs reprises Moscou d'utiliser l'approvisionnement énergétique comme une arme.
Mercredi, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radek Sikorski, a qualifié la décision de l'Ukraine de suspendre l'approvisionnement de victoire pour ceux qui s'opposent à la politique du Kremlin. Dans une publication sur X, M. Sikorski a accusé Moscou de tentatives systématiques de «chantage à l’Europe de l’Est avec la menace de couper les approvisionnements en gaz».
Le premier ministre slovaque, Robert Fico, a déclaré mercredi que la fin des flux de gaz via l’Ukraine «nous affectera tous considérablement dans l’UE, mais pas la Russie».
M. Fico, dont les opinions sur la Russie diffèrent fortement de celles du courant dominant européen, a déjà dénoncé le refus de Kyiv de prolonger l’accord de transit et a menacé de mettre fin aux livraisons d’électricité à l’Ukraine en réponse.
Moscou peut toujours envoyer du gaz à la Hongrie, ainsi qu’à la Turquie et à la Serbie, des États non membres de l’UE, via le gazoduc TurkStream qui traverse la mer Noire.