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«Le nombre de circonscriptions touchées est relativement peu élevé et les conséquences ultimes demeurent incertaines.»
Les activités d’ingérence étrangère menées par la Chine n’ont pas eu d’incidence sur le parti qui a formé le gouvernement au lendemain des deux dernières élections générales au Canada, conclut la commissaire Marie-Josée Hogue dans son rapport préliminaire, mais elle ne peut «exclure la possibilité» que cela ait eu un effet sur le résultat dans quelques circonscriptions.
«Que ce soit le cas ou non, la seule possibilité que de la désinformation menée ou encouragée par une autorité étrangère ait pu avoir un impact déterminant sur le résultat dans une circonscription est sérieuse», a dit la juge qui préside la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère se penchant sur les scrutins de 2019 et 2021.
Voyez le récapitulatif de Jean-François Poudrier au bulletin Noovo Info 17 dans la vidéo liée au texte.
Dans son rapport présenté vendredi, elle a souligné que les éléments de preuve font état d'«informations au sujet d’événements troublants survenus dans une poignée de circonscriptions».
«Cependant, compte tenu des multiples facteurs qui peuvent influencer la façon dont une personne vote et le caractère secret de son vote, il m’est impossible de déterminer si ces événements ont eu un impact quant aux résultats des élections dans ces circonscriptions», a-t-elle écrit dès le début du document de plus de 200 pages.
Plus loin, elle résume, en d'autres mots, qu'elle ne peut «exclure la possibilité» que ce soit le cas.
Mme Hogue a constaté «à quel point les courses à l’investiture peuvent être des portes d’entrée pour les États étrangers qui veulent s’ingérer dans notre processus démocratique».
Elle s'est penchée sur des questions soulevées quant à l'investiture du Parti libéral du Canada (PLC) pour la circonscription torontoise de Don-Valley-Nord en 2019, qui a fait l'objet de nombreux reportages médiatiques à compter de 2022.
Mme Hogue estime avoir «de sérieuses raisons de croire» que des étudiants étrangers, «vraisemblablement chinois», aient été conduits en autobus pour appuyer, durant la course «très serrée», l'aspirant candidat Han Dong.
Selon les services de renseignement, le consulat chinois a laissé entendre aux étudiants que leur visa était en jeu et que leur famille pourrait subir des conséquences s'ils ne votaient pas pour Han Dong. Des documents falsifiés leur ont aussi été fournis pour leur permettre de voter.
À VOIR | Un équilibre entre confidentialité et transparence à la commission sur l'ingérence
Au terme de la course à l'investiture, Han Dong a été officialisé candidat libéral dans la circonscription. Puis, il a remporté le siège de Don-Valley-Nord et est devenu député à la Chambre des communes.
Malgré cela, la juge croit «peu probable» que cela ait eu une incidence sur le parti qui a gagné l'élection de 2019 puisqu'il s'agit d'un bastion libéral.
Néanmoins, le député a été exclu du caucus libéral après que les allégations à son sujet eurent fait surface publiquement. Il siège depuis comme indépendant et nie toute implication dans l'affaire.
Aux yeux du porte-parole conservateur en matière d'affaires étrangères, Michael Chong, il est clair qu'il y a «des problèmes majeurs» dans la façon dont les libéraux administrent leurs investitures et qu'ils doivent resserrer leurs règles.
À l'inverse, le processus pour devenir membre du Parti conservateur est «très serré», a affirmé M. Chong.
Questionné à ce sujet, le ministre des Institutions démocratiques, Dominic LeBlanc, a soutenu que cela ne concerne pas que le PLC, qui est au pouvoir depuis trois élections consécutives, soit depuis 2015.
«Dans une démocratie, les investitures, dans le cas de tous les partis politiques, c'est souvent la porte d'entrée pour des candidats et pour des gens qui veulent participer, a-t-il répondu. Les investitures doivent être nécessairement des processus ouverts.»
Quant aux changements que pourrait apporter le PLC, M. LeBlanc est demeuré vague. «Je sais que le Parti libéral est toujours intéressé à s'assurer que les règles appropriées sont en place. C'est le cas actuellement, mais si des gens ont des suggestions, on va sûrement les considérer», a-t-il dit. Le ministre a ajouté avoir compris que Mme Hogue formulera des recommandations à ce chapitre d'ici la fin de son mandat venant à échéance à la fin 2024.
Dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne, le PLC défend son processus permettant de devenir candidat, présentant ses règles comme étant «les plus solides de la politique canadienne».
Par ailleurs, le parti se félicite d'être «le premier grand parti fédéral à inviter des sympathisants de la base à se joindre à (eux) sans frais et en augmentant la participation à (leur) processus d’investiture, tant au chapitre de l’âge que de la citoyenneté».
La commissaire a aussi constaté que les activités d'ingérence étrangère de la Chine et d'autres États ont réussi à «miner la confiance dans la démocratie et le gouvernement».
«C'est peut-être là le plus grand préjudice que le Canada ait subi du fait de l’ingérence étrangère, peut-on lire. Le gouvernement doit rétablir cette confiance en informant le public de la menace d’ingérence étrangère et en prenant des mesures réelles et concrètes pour la détecter, la prévenir et la contrer.»
Dans un communiqué, le Bloc québécois a fait référence à cette conclusion de la juge Hogue, affirmant du même coup que «le gouvernement libéral a manqué à son devoir de vigilance».
«Si l’ingérence étrangère empêche une seule personne de voter, elle fonctionne. C’est une responsabilité sacrée de faire tout en notre pouvoir pour protéger le système électoral et clairement, nous n’en faisons pas suffisamment», y a déclaré le porte-parole bloquiste en matière d'éthique, René Villemure.
Pékin est «de loin» la plus grande menace, selon les autorités canadiennes.
De son côté, M. LeBlanc, aussi ministre de la Sécurité publique, a défendu le bilan du gouvernement de Justin Trudeau. «Quand nous sommes arrivés au gouvernement, il n'y avait pas du tout de mesures en place», a-t-il dit.
Bien que le travail de la juge ne soit pas terminé, celle-ci estime peu probable que les principales conclusions de son rapport déposé vendredi changent, à terme.
Mme Hogue a déjà remarqué «des problèmes de communication» au sein de l’appareil gouvernemental.
Au Nouveau Parti démocratique, le leader parlementaire Peter Julian a déclaré qu'il est urgent que le gouvernement agisse pour établir un registre des agents étrangers, ce que le gouvernement de Justin Trudeau a promis de faire.
«Ce n’est pas un sujet sur lequel nous devrions tourner en rond, a-t-il insisté. Il y a un besoin critique.»
M. Julian a aussi appelé au développement de protocoles pour pallier le «manque de communication».
Le ministre LeBlanc a fait savoir vendredi qu'il s'apprêtait à déposer un projet de loi «pour renforcer notre capacité en ce qui a trait à l'ingérence étrangère».
Mme Hogue a accompagné son rapport d’un «complément classifié», expliquant qu'il ne peut être rendu public pour des raisons de sécurité nationale. Or, cela «n’altère en rien» les principales conclusions, a-t-elle écrit. «Au contraire, il les renforce», a-t-elle insisté.
La commissaire a jusqu'au 31 décembre pour remettre son rapport final.