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«La plupart des gens ne comprennent pas comment le système fonctionne et à quel point il est complexe.»
En 2015, la crise des réfugiés syriens a dominé la dernière ligne droite des élections fédérales alors que les chefs de parti débattaient de l'approche du Canada à l'égard des demandeurs d'asile. Pas cette année.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Avec les élections fédérales de 2025 rongées par l'angoisse économique suscitée par les droits de douane américains, la politique canadienne en matière de réfugiés a largement disparu des projecteurs. Mais l'augmentation récente du nombre de demandeurs d'asile à un poste frontalier du Québec pourrait remettre la question au centre des préoccupations, et ce bien au-delà de la campagne électorale.
Quel que soit le prochain premier ministre, il héritera d'un monde en pleine tourmente, de l'Ukraine à Gaza, et d'un pays aux communautés diasporiques tentaculaires ayant des liens avec des populations déplacées à l'étranger. Même la guerre commerciale actuelle trouve son origine dans la rhétorique exagérée du président américain Donald Trump au sujet d'une frontière poreuse et de la migration.
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Les deux favoris de la course se sont prononcés sur la question des demandeurs d'asile.
Lors d'une récente étape de la campagne, le chef du Parti libéral, Mark Carney, a accusé les États-Unis d'être responsables de la récente vague de demandeurs d'asile au Québec.
«Il est inacceptable que les États-Unis nous envoient tous leurs demandeurs d'asile.»
M. Carney avait ajouté que le Canada pourrait renvoyer les demandeurs d'asile aux États-Unis en vertu d'un pacte frontalier bilatéral.
Le même jour, le chef conservateur Poilievre a condamné ce qu'il a qualifié de fausses demandes d'asile et a accusé les libéraux de permettre une «fraude massive» dans un «système d'immigration défaillant».
«Je suis en faveur de l'immigration légale. Lorsque des personnes arrivent au Canada, si elles sont demandeuses d'asile, elles doivent prouver qu'elles sont de véritables demandeuses d'asile», a-t-il avancé en réponse à la question d'un journaliste en Alberta. «Si ce sont des fraudeurs, ils devront partir.»
Le ton sombre des dirigeants reflète les tendances changeantes au Canada — et dans le monde.
D'ici la mi-2024, plus de 122 millions de personnes — soit environ trois fois la population du Canada — auront été déplacées dans le monde en raison de conflits régionaux et de guerres, selon les données de l'ONU. Près de sept millions étaient des demandeurs d'asile.
Beaucoup ont trouvé refuge au Canada. L'année dernière, Ottawa a approuvé le statut de réfugié à 46 480 demandeurs, soit une augmentation de plus de 200% par rapport à 2018, année où le Canada a accueilli plus de réfugiés que tout autre pays.
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Bien que le nombre total de demandes d'asile au Canada a diminué jusqu'à présent en 2025 par rapport à la même période l'année dernière, un poste frontalier au Québec a récemment connu une augmentation du nombre de demandeurs d'asile. Cette situation fait suite à la décision prise en mars par l'administration Trump de révoquer le statut juridique temporaire de dizaines de milliers de Vénézuéliens et d'Haïtiens. Le ministre de l'Immigration du Québec a récemment averti que la province n'avait plus de capacité d'accueil pour les demandeurs d'asile.
L'ambiance est bien différente de celle d'il y a près de dix ans, lorsqu'un Justin Trudeau rayonnant a accueilli les réfugiés nouvellement arrivés à l'aéroport Pearson de Toronto - un moment qui est devenu le symbole de l'ouverture du Canada. Deux ans plus tard, il a fait écho à ce sentiment dans un tweet largement partagé, publié le jour même de l'entrée en vigueur d'une interdiction de voyager pour les musulmans aux États-Unis.
Aujourd'hui, des fissures commencent à apparaître dans ce discours rassurant.
Un sondage de l'Environics Institute mené en 2024 a révélé un changement dans l'opinion publique, 43% des personnes interrogées, en particulier en Ontario et dans les Prairies, exprimant leur scepticisme quant à la légitimité des demandes d'asile. Cela représente une augmentation de 7 points par rapport à l'année précédente. Ce changement a coïncidé avec une plus grande attention médiatique sur la forte augmentation des demandes d'asile déposées par des étudiants étrangers l'année dernière, que le ministre de l'Immigration de l'époque, Marc Miller, a qualifiée de «tendance alarmante».
Mais aux yeux d'Yvonne Su, directrice du Centre d'études sur les réfugiés de l'Université York, le soutien décroissant aux demandeurs d'asile pourrait facilement se transformer en réaction excessive.
«Nous voulons seulement entendre des histoires positives de réfugiés. D'un autre côté, lorsque nous sommes contrariés, nous disons que nous accueillons trop de réfugiés», a-t-elle expliqué dans une entrevue avec CTVNews.ca.
Elle a souligné le rôle des médias dans la formation de la perception du public, notant que leur représentation des demandeurs d'asile dépasse parfois les bornes. Mme Su a cité deux titres récents qu'elle a trouvés particulièrement troublants. L'un mettait en garde contre un possible «tsunami de migrants illégaux»,et l'autre décrivait les villes frontalières canadiennes «débordant de monde».
Pour Mme Su, un tel langage n'est pas seulement exagéré, il est profondément irrespectueux.
Selon les experts, il n'est pas facile de comprendre le processus d'asile, un labyrinthe de procédures juridiques et de bureaucratie.
«La plupart des gens ne comprennent pas comment le système fonctionne et à quel point il est complexe», a indiqué Nicholas Fraser, chercheur associé principal à l'Université métropolitaine de Toronto, qui étudie les questions d'immigration et de réfugiés depuis des années.
Cette complexité est accentuée par le nombre même d'acteurs impliqués.
«Les réfugiés sont des personnes vulnérables, et la politique d'asile est fondamentalement conçue pour garantir que ces personnes aient un endroit où aller afin qu'elles puissent échapper à des situations dangereuses.»
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), par exemple, établit les règles relatives aux réfugiés. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), un tribunal indépendant, statue sur les demandes et entend les appels des décisions relatives aux demandes. Certains demandeurs d'asile sont réinstallés ici dans le cadre d'un programme gouvernemental ; d'autres sont parrainés par des citoyens canadiens privés. Les organisations d'aide juridique et les ONG interviennent également pour offrir des services essentiels et des programmes de soutien.
«Imaginez que vous soyez un réfugié qui ne parle pas la langue et ne comprend pas la loi sur l'immigration. Vous êtes dans un nouvel endroit tout en essayant de naviguer dans le processus et votre traumatisme psychologique», a souligné M. Fraser.
L'histoire du Canada en matière d'accueil de réfugiés remonte avant la Confédération.
À la fin des années 1700, les Loyalistes de l'Empire-Uni ont cherché refuge face aux bouleversements de la Révolution américaine, s'établissant dans ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Ontario.
Au fil des siècles, le Canada a accueilli des vagues successives de réfugiés, mais la sélection était souvent influencée par des considérations raciales, selon Robert Vineberg, ancien directeur général de Citoyenneté et Immigration Canada pour les Prairies et les Territoires du Nord.
«Le gouvernement pensait qu'il était facile d'assimiler les Hongrois ou les Tchèques», a-t-il avancé, faisant référence à l'acceptation par le Canada de réfugiés d'Europe de l'Est.
«Ce n'est que dans les années 1970, avec l'expulsion des Asiatiques d'Ouganda, que le Canada a accepté un nombre important de réfugiés non blancs», a expliqué M. Vineberg. Peu après, le Canada a réinstallé des milliers de réfugiés vietnamiens après la chute de Saigon.
De nombreux réfugiés ont contribué à façonner le tissu social du Canada, favorisant la société mosaïque qui définit la nation aujourd'hui, affirme Robert Vineberg.
«Cela fait partie de qui nous sommes. Nous sommes une société généreuse», a-t-il dit. «Et quand il y a une crise dans le monde, nous voulons intervenir.»