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Société

Le Bureau du Principe de Joyce sermonne le ministre Lafrenière et s'en va

Le ministre Ian Lafrenière a encaissé une nouvelle rebuffade mercredi matin quand les représentants du Bureau du Principe de Joyce ont claqué la porte des consultations particulières sur le projet de loi 32.

Le ministre des Affaires autochtones du Québec, Ian Lafrenière, dépose un projet de loi sur la santé des peuples autochtones, à l'Assemblée législative de Québec, le vendredi 9 juin 2023.
Le ministre des Affaires autochtones du Québec, Ian Lafrenière, dépose un projet de loi sur la santé des peuples autochtones, à l'Assemblée législative de Québec, le vendredi 9 juin 2023.
Ugo Giguère
Ugo Giguère

Le ministre Ian Lafrenière a encaissé une nouvelle gifle mercredi matin quand les représentants du Bureau du Principe de Joyce ont claqué la porte des consultations particulières sur le projet de loi 32. 

Le projet de « Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux » que tente d’imposer le ministre Lafrenière et, surtout, la manière dont il s’y prend continuent de soulever l’indignation des représentants des Premières Nations.

Mercredi matin, c’est le Bureau du Principe de Joyce qui a sermonné le ministre et le gouvernement de François Legault. Selon la directrice générale Jennifer Petiquay-Dufresne, Québec perpétue encore aujourd’hui des pratiques coloniales que l’organisme ne peut pas cautionner.

« La sécurité culturelle ne pourra s’actualiser dans un réseau de santé et de services sociaux (…) sans la reconnaissance de l’évidence. Le réseau tel qu’il a été conçu contient des politiques, programmes et services qui discriminent les personnes autochtones de par leur manque de considération des réalités autochtones », a déclaré la femme d’origine atikamekw.

« La législation, l’offre de services et les manières de travailler ensemble doivent être transformées et revues de manière co-construite avec une représentation effective des autorités autochtones compétentes », a-t-elle poursuivi en se disant « plus fière des Québécois que de leur gouvernement » pour leur appui envers le Principe de Joyce et la reconnaissance de la discrimination systémique.

Jennifer Petiquay-Dufresne a par la suite réitéré la nécessité pour le gouvernement québécois de revoir sa manière d’aborder les relations avec les Premières Nations et les Inuit, puis elle a quitté la salle avec son équipe.

Aux critiques concernant l’absence de consultations en amont auprès des représentants des Premières Nations et des Inuit, le ministre répond avoir rencontré 13 groupes. Or, selon la liste fournie par son cabinet, on n’y retrouve aucun gouvernement autochtone élu, mais plutôt des groupes communautaires.

L’invité suivant, le Dr Stanley Vollant, est venu rappeler aux élus que « le racisme systémique, c’est invisible. C’est insidieux ». À ses yeux, le véritable premier pas serait de reconnaître son existence et ses conséquences.

« Ce n’est pas une question d’individus, mais une question de passé qui est encore présent », a-t-il expliqué en parlant des effets résiduels de la colonisation, du système des pensionnats et des réserves sur les relations entre Autochtones et allochtones.

Puis, alors qu’il répète depuis le début du processus des auditions publiques qu’il tient à entendre les divers intervenants, le ministre Lafrenière a quitté la salle pendant le témoignage du Dr Vollant afin de se rendre au conseil des ministres.

La veille, à l’occasion de la première journée de consultations particulières, mardi, les épithètes « colonialiste », « paternaliste », « irrespectueux » et « insuffisant » avaient été mentionnées pour décrire le projet de loi 32 intitulé « Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ».

Dans son projet de loi, le gouvernement ne reconnaît toujours pas l’existence de la discrimination systémique et refuse d’adopter le Principe de Joyce proposé par les Premières Nations. Il se contente de demander aux établissements de santé d’« adopter une approche de sécurisation culturelle envers les Autochtones » en tenant compte « de leurs réalités culturelles et historiques dans toute interaction avec eux ».

Très peu contraignant, le projet de loi demande aux établissements de santé d’agir « lorsque possible » en procédant par exemple à l’embauche de personnel autochtone, en offrant des ressources d’accompagnement, en offrant des formations à son personnel ou par « la prise en compte des réalités propres aux femmes et aux filles autochtones ».

« Des fondations chambranlantes »

La directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL), Marjolaine Siouï, devait témoigner à son tour en fin de journée mercredi.

En entrevue à La Presse canadienne, elle s’en est pris elle aussi au travail du ministre Lafrenière.

Pour Mme Siouï, les fondations sur lesquelles repose la version de la sécurisation culturelle proposée par le ministre « sont chambranlantes ».

« Il faut qu’on soit capable de prendre le temps de co-développer en s’appuyant sur des principes fondamentaux qui veulent dire quelque chose pour nous », explique-t-elle en faisant référence à la vision bien différente du concept de consultation au sein des communautés autochtones.

« Pour nous, le principe de consultation veut dire retourner auprès de nos populations pour qu’elles puissent nous dire ce qu’elles attendent de la sécurisation culturelle », développe la femme d’origine wendate en entrevue à La Presse canadienne.

« Ce n’est pas un travail vite fait, c’est un travail qui demande du temps, de la réflexion et c’est par la suite qu’on va bâtir sur une fondation solide », renchérit-elle.

Malgré cette lassitude palpable envers les autorités politiques qui continuent d’imposer des lois en empiétant dans le champ de compétence des nations autochtones, Mme Siouï n’avait pas l’intention de boycotter les consultations publiques.

« Si le Québec décide d’adopter le projet de loi, ça va avoir des impacts, donc on doit quand même aller partager les préoccupations qu’on a sur les limites du projet de loi actuel et sur ce qu’on souhaiterait voir. Sur ce qu’on aurait besoin de voir », partage la DG.

« Il faut répéter et un jour, ça va être compris. Il faut être résilient, il faut croire. Et ça, on en a beaucoup de résilience », ajoute-t-elle en refusant de baisser les bras.

Pour ce qui est du contenu du projet de loi, c’est-à-dire cinq articles étalés sur quatre pages, Marjolaine Siouï ne s’en cache pas, elle s’attendait à beaucoup plus. Elle aimerait notamment que la sécurisation culturelle soit étendue au-delà du domaine de la santé et qu’elle s’applique notamment au domaine du travail.

Ugo Giguère
Ugo Giguère