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Les données montrent aussi que 98 des décès sont survenus par suicide, ce qui représente 38 % de l'ensemble des décès recensés.
Les taux de décès dans les prisons du Québec ont augmenté de 87% en 13 ans, , révèle un rapport de recherche publié mercredi par une équipe de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).
Les recherches dirigées par Catherine Chesnay, professeure à l'École de travail social de l'UQAM, ont permis d'analyser les données du ministère de la Sécurité publique de 2009 à 2022. Celles-ci ont montré que 256 détenus ont perdu la vie dans les établissements provinciaux durant cette période.
Voyez l'entrevue complète de Catherine Chesnay au bulletin Noovo Info 17 dans la vidéo liée au texte.
Le rapport de recherche énumère des conditions qui mettent à risque les détenus: la vétusté des établissements, la surpopulation, les nombreux transferts, un usage abusif de l’isolement, l’effritement des liens sociaux et la difficulté de garder des contacts avec ses proches, ainsi que la qualité moindre des soins de santé physique et mentale.
Les données indiquent que 98 décès sont survenus par suicide, ce qui représente 38 % de l'ensemble des décès recensés. On observe une augmentation importante durant la période de la pandémie de la COVID-19, alors que les conditions de détention étaient particulièrement restrictives. Le rapport fait aussi état de 411 tentatives de suicide.
En entrevue, la professeure Chesnay a dit qu'elle n'était pas étonnée de la hausse des taux de suicide dans les prisons au début de la crise de la COVID-19, considérant les données d'autres juridictions et l’état des prisons provinciales lors des premières vagues de confinement. «Par contre, l’intensité c’est quand même quelque chose qui m’a surprise et choquée, je pense comme beaucoup de monde.»
Les décès classés comme morts naturelles représentent 33% des données comptabilisées et 28% des prisonniers sont décédés de cause indéterminée.
«C'est préoccupant parce qu'il y a des décès qui ont lieu dans un environnement aussi surveillé qu'une prison et ces causes ne sont pas compilées», a lancé Mme Chesnay au bulletin Noovo Info 17. «À la suite de chaque décès, il y a une enquête du coroner, mais ensuite cette investigation n'est pas enregistrée par les services correctionnels. On ne peut pas comprendre ou expliquer pourquoi il y autant de décès de cause indéterminée.»
Les morts naturelles sont causées par des maladies ou une complication de maladie, explique la chercheuse. Ces maladies ne mènent pas nécessairement à un décès habituellement. Surtout, dit-elle, considérant que les jeunes hommes, âgés environ de 25 à 40 ans, constituent le groupe de personnes incarcérées le plus nombreux. «Donc ce n’est pas une population pour laquelle on s’attendrait à ce qu’il y ait des taux de décès importants, que ce soit des morts naturelles ou des suicides», a déclaré Mme Chesnay.
Le Bureau du coroner ontarien a publié en 2023 une recherche pour mieux comprendre l’augmentation des décès en détention, et un des enjeux qui est ressorti concerne la crise des opioïdes, a mentionné Mme Chesnay. On constatait une augmentation des surdoses d'opioïde qui causaient la mort dans les prisons de l'Ontario. Comme la crise des opioïdes frappe aussi au Québec, la chercheuse se demande si les cas de surdoses ne sont pas masqués dans la catégorie des morts indéterminées.
«S’il y a une crise de surdoses dans les prisons, pourquoi on ne se donne pas les outils pour la rendre visible?» a demandé la chercheuse.
Il existe des difficultés d’accès aux soins de santé à l'intérieur des prisons, mais aussi à l'extérieur, par exemple pour avoir accès à un service d'oncologie.
«Les rapports du Protecteur du citoyen et aussi ce qui est rapporté par les personnes qui ont des expériences d’incarcération (indiquent) qu'il est vraiment difficile d’accéder à des soins de santé adéquats dans la prison, mais aussi à l’extérieur des murs de la prison», a affirmé Mme Chesnay, ajoutant qu'il faut se doter des outils pour éviter ces décès.
Depuis 2006, le Protecteur du citoyen du Québec soulève le manque de balises lors des transferts de détenus, notamment par rapport à la poursuite de traitements médicaux. Lors de chaque admission, l’accès à la médication est interrompu et les personnes doivent attendre 48 heures après leur arrivée pour y avoir accès à nouveau.
La professeure Chesnay indique que le contexte de vie, d’hygiène et les enjeux de surpopulation dans les prisons provinciales font partie d'un ensemble de causes pouvant mener aux décès. «Il y a des enjeux très concrets d’inconfort, de manque de soins et de soulagement de la douleur. Les chiffres, ce qu’ils nous amènent, c’est aussi la question: mourir en prison ça veut dire quoi et c’est quoi cette expérience-là?»
Mme Chesnay souligne dans un communiqué que peu importe la nature du décès, «chaque décès en prison est un décès de trop». Elle soutient que chaque mort «devrait être systématiquement consignée et prise en considération par l'institution carcérale» afin d'éviter que d'autres détenus meurent.
«Or, le manque de transparence et de surveillance du phénomène des décès en prison, en dépit de la hausse du nombre de décès, en dit long sur le positionnement politique et l'absence de rigueur avec lesquels ces événements sont pris en compte», fait valoir la professeure Chesnay.
La Ligue des droits et libertés dénonce l’opacité et l’absence d’actions du ministère de la Sécurité publique. Dans un communiqué, elle affirme qu'il est aberrant que le ministère ne fournisse aucune information pour expliquer la classification «mort de cause indéterminée», qui concerne 71 des décès répertoriés. «Il est aussi nécessaire de comprendre ce qui mène autant de personnes à faire des tentatives de suicide durant leur incarcération», ajoute l'organisme.
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