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«La politique de l'administration Trump augmente le risque de prolifération nucléaire chez les alliés.»
Les assauts de Donald Trump contre l'OTAN et l'ordre établi sapent la confiance de ses alliés dans le parapluie nucléaire américain, alimentant les craintes d'une prolifération à terme des armes nucléaires, selon des experts interrogés par l'AFP.
«La confiance dans le parapluie nucléaire américain a été profondément ébranlée par la rhétorique provocatrice et incohérente de Trump», explique Byong-Chul Lee de l'université Kyungnam à Séoul.
Critiques contre l'OTAN, rapprochement avec la Russie, propos flatteurs pour Kim Jong-Un... Les débuts du deuxième mandat de Donald Trump font trembler ses alliés qui, depuis des décennies, s'abritaient sous la dissuasion américaine.
Et si récemment, le risque de prolifération émanait d'États comme la Corée du Nord ou l'Iran, des alliés de Washington non dotés de l'arme nucléaire semblent aujourd'hui rouvrir le débat.
«On voit de plus en plus de discours de proliférateurs amicaux» qui ne sont pas des États parias, en Europe et en Asie, même si ces discours pourraient viser d'abord à faire pression sur Washington, relève Héloïse Fayet, responsable du programme dissuasion et prolifération au centre de recherche français Ifri.
«La politique de l'administration Trump augmente le risque de prolifération nucléaire chez les alliés», estime aussi Artur Kacprzyk, du centre de recherche polonais PISM.
Cette perte de confiance survient sur fond de «détérioration de l'environnement général de sécurité, avec des conflits en cours en Europe, au Moyen-Orient, et des tensions en Asie», rappelle Syed Ali Zia Jaffery, directeur adjoint du centre CSSPR de l'université pakistanaise de Lahore.
Outre la peur d'être abandonnés en rase campagne en cas d'attaque, les alliés de Washington peuvent aussi craindre les initiatives de Donald Trump, qui dit vouloir renouer un dialogue de contrôle des armements avec Moscou et Pékin.
«Les dindons de la farce d'un éventuel accord seront très certainement les Européens et les alliés des États-Unis en Asie», analyse Mme Fayet.
Pour Syed Ali Zia Jaffery, «si vous n'avez pas de garanties de votre protecteur, vous cherchez d'autres d'options, et le nucléaire en est une. Je n'imagine pas que des pays qui pourraient devoir faire face à une agression territoriale d'un pays nucléaire ne songent pas» à rejoindre le club des puissances nucléaires actuelles: États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Pakistan, Inde, Israël et Corée du Nord.
«La Corée du Sud est l'alliée des États-Unis le plus susceptible d'envisager l'acquisition de l'arme nucléaire, essentiellement parce qu'elle fait face à une Corée du Nord» nucléaire, explique Byong-Chul Lee.
L'idée bénéficie du soutien populaire, mais «les élites sud-coréennes restent méfiantes face à l'instabilité stratégique, aux réactions diplomatiques négatives et aux sanctions internationales potentielles», dit-il.
En Europe, où le président français Emmanuel Macron a proposé de débattre sur la dimension européenne de la dissuasion française, la Pologne est en première ligne.
Le premier ministre polonais Donald Tusk n'a «pas exclu de se doter d'armes nucléaires», même si le processus «était long et difficile», souligne M. Kacprzyk.
De fait, une telle prolifération n'est pas pour demain, soulignent ces analystes.
Les alliés des États-Unis sont liés par le Traité de non-prolifération (TNP), pierre angulaire de l'architecture nucléaire mondiale. Il est possible d'en sortir, mais seule la Corée du Nord l'a fait.
«Il faut faire face à des contraintes normatives, financières, techniques», explique Mme Fayet, soulignant que les pays non-nucléaires européens sont moins avancés que la Corée du Sud ou le Japon.
Des pays rivaux pourraient aussi vouloir entraver le développement de programmes nucléaires militaires.
En Europe, estime M. Kacprzyk, la Russie pourrait «essayer de faire échouer un programme, y compris en attaquant des installations», comme Israël a frappé le réacteur nucléaire irakien Osirak dans les années 1980.
Malgré les obstacles, beaucoup de ces pays «ont une capacité nucléaire latente. Lorsque vous avez la capacité et le besoin stratégique, vous avez de bonnes chances de succès. Le Pakistan a démontré qu'il est difficile d'arrêter un pays déterminé», souligne Syed Ali Zia Jaffery.
Autre incertitude: l'attitude que le gouvernement Trump adopterait face au revirement de ses alliés.
«La Corée du Sud ne pourrait pas devenir nucléaire sans l'approbation tacite de Washington», estime Byong-Chul Lee.
Les États-Unis, qui avaient ouvert le parapluie nucléaire en partie pour éviter une prolifération parmi ses alliés, ont jusqu'ici «géré ce risque en exerçant des pressions et en offrant des garanties supplémentaires. Ils ont abandonné leur projet de réduction de leurs troupes conventionnelles en Corée du Sud dans les années 1970», rappelle M. Kacprzyk.
Soutenir la non-prolifération était jusqu'ici «un pilier bipartisan de la politique étrangère américaine», écrivaient début mars les chercheurs américains Ankit Panda, Vipin Narang et Pranay Vaddi, dans un article sur le site War on the Rocks, consacré aux questions de défense.
Si cela changeait, la prolifération nucléaire pourrait venir «hanter» la politique «America First» du président américain, alertent-ils.