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«Dans 30 % des interpellations, la personne croit que son identité ou son apparence est l'une des raisons pour lesquelles elle a été interpellée. C'est assez marquant», affirme l'une des chercheuses, Carolyn Côté-Lussier, professeure à l'INRS.
Environ le tiers des personnes interpellées par les forces de l'ordre à Montréal estiment que l'intervention était en lien avec leur apparence ou leur identité, selon une nouvelle recherche venant ainsi soutenir les perceptions d'un profilage racial et social dans la pratique policière, et qui montre aussi une surreprésentation des personnes LGBTQ+.
Le projet de cartographie participative STOPMTL.ca, visant à fournir un portrait plus précis des interpellations policières dans la métropole québécoise, a dévoilé, mardi, ses premiers résultats. Ceux-ci correspondent dans leur ensemble aux données du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), mentionne le groupe de chercheurs.
Mais à la grande différence des analyses du SPVM, l'étude met en lumière pour «la première fois des données quantitatives suggérant que les personnes interpellées perçoivent leur interpellation comme discriminatoire», indique la chercheuse principale du projet, Carolyn Côté-Lussier, professeure en études urbaines à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS).
«Dans 30 % des interpellations, la personne croit que son identité ou son apparence est l'une des raisons pour lesquelles elle a été interpellée. C'est assez marquant», dit-elle en entrevue.
Les résultats rejoignent les préoccupations sur le profilage social et racial exprimées par plusieurs organismes communautaires depuis les années 1980 et suggérées par une analyse indépendante des données du SPVM en 2019, soutient Mme Côté-Lussier, aussi chercheuse au Centre international de criminologie comparée.
L'enquête, qui a recensé des centaines de cas en 2021, relève toutefois qu'une bonne partie des répondants (41 %) ont perçu leur interpellation comme étant justifiée.
«Quand le projet a été lancé, il y avait une crainte qu'il attire seulement ceux qui ont eu une expérience négative, ceux qui veulent dénoncer les agissements de la police», relate Mme Côté-Lussier.
Néanmoins, il reste que 43 % des participants croient que leur interaction avec les policiers était injustifiée, ce qui appelle à une amélioration des pratiques, d'après le groupe de recherche.
«Lorsque les individus ont une interaction avec un membre policier, même si ça mène à une accusation, une arrestation ou une amende, ils peuvent être satisfaits avec cette interaction dans la mesure où ils pensent que c'était un bon rapport; la personne était respectée, on a expliqué le processus, pourquoi on l'avait arrêtée», soutient la professeure.
«Quand on ne pense pas que les agissements du membre policier sont justifiés, ça peut mener à une perte de confiance dans l'institution policière, et aussi dans la confiance qu'on avait face à l'État et notre sentiment d'inclusion dans la société», poursuit-elle.
Les chercheurs envisagent une autre mobilisation de collecte de données l'automne prochain ou en 2024 afin de mesurer l'impact de la nouvelle politique d'interpellations policières du SPVM. La majorité des expériences rapportées dans le projet STOPMTL.ca ont eu lieu entre 2016 et 2021, soit, dans bien des cas, avant la mise en oeuvre de la politique en 2020.
Sans surprise, les interpellations auraient eu lieu dans une plus grande proportion dans les arrondissements Côte-des-Neiges (13 %) et Ville-Marie (12 %), selon l'enquête. Un résultat comparable aux chiffres du SPVM, bien que la police enregistre une proportion beaucoup plus élevée dans le secteur du centre-ville.
Les résultats de la recherche rejoignent aussi les données du corps policier montréalais quant à une surreprésentation des personnes noires dans les interpellations. Elles représentaient environ le quart des expériences signalées alors qu'elles forment près de 10 % de la population selon le recensement de 2016.
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Cependant, contrairement aux analyses du SPVM, la recherche de l'INRS — réalisée aussi avec la collaboration des universités McGill, Concordia et College London — comporte des données sur les membres de la communauté LGBTQ+.
L'enquête affiche une surreprésentation de ce groupe. Près d’une personne sur cinq ayant déclaré avoir été interpellée s’est identifiée comme étant gaie, lesbienne ou bisexuelle, alors que Statistique Canada a estimé que les personnes LGBTQ2+ représentaient 4 % de la population canadienne en 2018.
Cette tendance est loin d'être unique à Montréal. D'autres études suggèrent que «les minorités sexuelles ont tendance à être affectées de manière disproportionnée par les pratiques d’interpellation policière», peut-on lire dans le rapport de STOPMTL.ca.
La littérature tend à montrer que les interpellations policières à l'endroit de ces communautés sont liées à des comportements considérés comme des «incivilités» ou au travail du sexe, ciblant particulièrement les femmes transgenres qui sont fréquemment perçues comme des travailleuses du sexe par la police.
Le groupe de chercheurs reconnaît que leur enquête comporte certaines limites, notamment en raison d'un échantillon relativement petit, soit 516 répondants. Il faut dire que la participation au projet STOPMTL.ca était sur une base volontaire, les gens étant invités à faire part de leur expérience en remplissant un formulaire via un site web.
Dans une prochaine vague de collecte de données, l'équipe de recherche voudrait, par exemple, mieux rejoindre les membres des communautés arabes et autochtones qui seraient aussi interpellés de manière disproportionnée, précise Mme Côté-Lussier.
Néanmoins, certaines analyses supplémentaires suggèrent que les premières données sont représentatives, affirme la professeure. D'autres aspects de l'étude seront également approfondis, comme l'emplacement des interpellations au cours des prochains mois.
Mme Côté-Lussier croit que d'autres villes autour de Montréal pourraient s'inspirer de l'initiative STOPMTL.ca afin de documenter les interpellations policières sur leur territoire. Elle pense que les conclusions peuvent aussi servir d'outil au gouvernement du Québec, qui planche actuellement sur un meilleur encadrement des interactions de la police, incluant les interceptions aléatoires en lien avec l'article 636 du Code de la sécurité routière.
D'ailleurs, le rapport préliminaire de STOPMTL.ca souligne qu'environ 40 % des interpellations rapportées sont survenues alors que les personnes disaient être dans un véhicule en tant que conducteur ou passager.
Un deuxième rapport sur la validité des données du projet est attendu au cours de cette année.