Passer au contenu principal
À voir:

Début du contenu principal.

Politique

Affaires mondiales informe les diplomates étrangers sur «ingérence» et «influence»

L'enquête en cours sur l'ingérence étrangère et la vaste couverture médiatique sur cet enjeu pourraient avoir créé de l'incertitude.

David Morrison comparaît à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux, à Ottawa le jeudi 4 avril 2024.
David Morrison comparaît à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux, à Ottawa le jeudi 4 avril 2024.
Dylan Robertson
Dylan Robertson / La Presse canadienne

Le grand responsable des services diplomatiques canadiens a récemment informé les diplomates étrangers en poste au Canada des domaines dans lesquels leur travail pourrait franchir la frontière entre «influence» et «ingérence» étrangère.

Le sous-ministre des Affaires étrangères David Morrison a souligné dans une entrevue à La Presse Canadienne qu'il y avait une différence entre «l'influence», ce qu'exige le travail d'un diplomate à l'étranger, et «l'ingérence» dans les affaires d'un État hôte. 

«L'enquête publique et la couverture médiatique qui en a été faite ont peut-être créé une certaine incertitude, a déclaré M. Morrison. Les diplomates avaient des questions légitimes quant à la ligne de démarcation au Canada, et nous avons essayé d'être très clairs à ce sujet.»

Les libéraux ont mis en place l'an dernier une commission d'enquête sur l'ingérence étrangère à la suite de reportages et de pressions exercées par les partis d'opposition. Le rapport final doit être publié d'ici la fin janvier. 

À VOIR AUSSI | Allégement de la TPS : un défi logistique pour les entreprises québécoises

Un rapport initial publié en mai concluait que l'ingérence étrangère de la Chine, de l'Inde, de la Russie ou d'autres pays n'avait pas eu d'incidence sur les résultats globaux des élections générales de 2019 et 2021. La présidente de la commission, la juge Marie-Josée Hogue, a estimé qu'il était possible, mais pas certain, que les résultats dans un petit nombre de circonscriptions aient été influencés par de l'ingérence étrangère.

Dans son entrevue mardi, le sous-ministre Morrison a souligné que «les Canadiens peuvent avoir une confiance absolue dans l'intégrité de nos deux dernières élections générales».

Lors de son témoignage devant la commission Hogue, en octobre dernier, M. Morrison avait mentionné qu'il prévoyait d'informer les diplomates de cet enjeu, et il a tenu cette séance d'information le 21 novembre.

Avant chacune des trois dernières élections fédérales, Affaires mondiales Canada envoyait une «note circulaire», essentiellement un avis officiel à toutes les missions diplomatiques accréditées, soulignant qu'Ottawa s'attendait à ce qu'elles n'appuient ni ne financent aucun parti ou groupe politique.

Lors de la séance d'information du 21 novembre, M. Morrison a déclaré aux diplomates étrangers qu'ils pouvaient publiquement appuyer ou s'opposer à une politique du gouvernement canadien, mais qu'ils ne pouvaient pas diffuser de désinformation pour discréditer un parti ou «miner la confiance du public» dans la démocratie canadienne.

«Ingérence clandestine»

Un diaporama partagé lors de la séance d'information indique que les inquiétudes concernant l'ingérence depuis 2021 «vont au-delà des élections» et que le «contexte géopolitique tendu (…) accroît les vulnérabilités» du Canada, qui compte de nombreuses communautés culturelles. 

Le diaporama encourage un «engagement ouvert» avec des Canadiens et des responsables, comme l'organisation d'événements ou la prise de position sur les priorités nationales du Canada. 

Mais il précise qu'il est interdit d'exercer une «ingérence clandestine», comme influencer une course à l'investiture ou mener une campagne de désinformation en ligne, tout comme «les comportements clandestins, trompeurs ou menaçants». 

Il serait également inacceptable de «dissimuler l'implication d'États étrangers dans des activités», de financer des candidats directement ou par le biais de contributions en nature, ou de «tromper des Canadiens pour les manipuler». 

Larisa Galadza, à la Direction générale des cyberactivités, des technologies critiques et de la résilience démocratique au ministère, a déclaré aux diplomates étrangers qu'une plus grande sensibilisation du public à l'ingérence montre clairement qu'il est important d'éviter même la perception de franchir la ligne. 

Les notes de son discours, fournies par M. Morrison, indiquent que le Canada «intensifie ses efforts pour établir des attentes». 

«Cette séance d’information montre à quel point nous prenons cette question au sérieux», indiquait Mme Galadza. Elle soulignait que «chercher à contrôler ou à influencer indûment les membres d’une communauté de la diaspora» est inacceptable et que les immigrants ont le droit de critiquer ouvertement leur pays d’origine. 

Ses notes indiquent que les diplomates peuvent faire pression sur un député, mais ne peuvent pas «transmettre des menaces ou offrir des récompenses en échange de son soutien». Et toutes ces activités, disait-elle, sont tout aussi inacceptables si elles sont menées par l’intermédiaire de «mandataires». 

Diplomatie de cocktail

M. Morrison souligne qu’une telle communication est nécessaire, car les grandes conventions internationales régissant le rôle des diplomates s'appliquent partout, mais ne sont pas toujours comprises de la même façon, certains pays croyant que tout est permis tant qu'on ne tourne pas autour d'une boîte de scrutin. 

«Nous avons clairement indiqué qu'après avoir donné un avertissement raisonnable, si des diplomates accrédités adoptaient le type de comportement que nous avons décrit comme étant 'hors limites', ils pouvaient s'attendre à avoir de nos nouvelles», indique M. Morrison.

Affaires mondiales Canada ne surveille pas le comportement des diplomates étrangers au Canada, mais les équipes régionales du ministère sont en contact fréquent avec les missions diplomatiques, et les responsables de la sécurité alertent le ministère chaque fois qu'une activité est jugée préoccupante. 

M. Morrison explique que son ministère utilise une gamme d'approches pour faire comprendre aux États étrangers le point de vue du Canada sur une activité jugée «acceptable». Bien qu'une convocation officielle devant la ministre attire l'attention des médias, le ministère peut également convoquer un ambassadeur pour rencontrer un fonctionnaire, et même la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, selon la gravité de la situation. 

Affaires mondiales Canada peut expulser des diplomates ou fermer des ambassades à l'étranger, mais il peut également essayer de faire valoir son point de vue lors d'une conversation informelle lors d'un cocktail. «L’essence de la diplomatie est de communiquer constamment et cela se produit très souvent dans les cercles diplomatiques lors d’événements sociaux et de dîners», a-t-il rappelé.

En prévision des prochaines élections fédérales, M. Morrison est surtout préoccupé par des États hostiles qui utilisent l’intelligence artificielle dans leurs attaques. Il s’inquiète particulièrement de l'hypertrucage, ces vidéos et images générées numériquement qui peuvent facilement tromper les citoyens.

Dylan Robertson
Dylan Robertson / La Presse canadienne