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La mort de Karl Tremblay des Cowboys Fringants me touche au même titre que si je venais de perdre un proche. Quelqu’un de ma famille.
La mort de Karl Tremblay des Cowboys Fringants me touche au même titre que si je venais de perdre un proche. Quelqu’un de ma famille.
Il faut dire que, pour un ti-cul de Lanaudière de mon âge qui a déménagé dans un appartement frette, sur la rue Cuvillier, dans Hochelaga, pour aller au Cégep du Vieux en 1999, y’a tout un tas de références personnelles dans les chansons des Cowboys Fringants.
Dans ces années-là, j’étais toujours cassé et il est arrivé souvent que je sois le «chum Rémi» qui devait 50 — ou 500 piasses — à un chum de brosse. J’avais le sentiment que les chansons étaient écrites spécialement pour moi. Je réalise aujourd’hui qu’on était huit millions à avoir ce sentiment.
Dans notre coin, on a connu les Cowboys bien avant Break syndical. Pis on s’est mis à capoter quand le groupe est devenu hyper connu dans la foulée de ce disque. On était fiers que le Québec en entier, même nos parents, se mette à tripper sur «notre» groupe.
La tournée Attache ta tuque, il y a plus de vingt ans, a donné des shows endiablés où on thrashait sur des reels de violon et des chansons à répondre ; nous autres, les habitués du grunge et du punk. On survolait la foule en body surfing en suant à grosses gouttes. On était beaux, jeunes et immortels.
En chantant «Sur les Plaines d’Abraham, l’armée trinquait à l’eau-de-vie ; Et tout en bas de la falaise, les Anglais prenaient fusils», sur Mon Pays, on s’est mis à rêver qu’ils viennent donner un show sur les Plaines. Ce qu’ils ont fait quelques mois plus tard, à l’été 2003. Dans des dizaines de milliers de personnes, j’ai affronté le thrash déchaîné jusqu’au tout premier rang. À la fin de la soirée, la chemise hawaïenne que ma blonde de l’époque m’avait donnée quelques semaines plus tôt était en lambeaux. Elle m’a fait la gueule, avant de partir un samedi soir, comme dans la toune, mais bon, c’était pas rien qu’à cause de ça.
En lisant les souvenirs que mes amis, et sans doute les vôtres, partagent en lien avec ce groupe mythique, on constate à quel point les gens de ma génération ont été marqués par ce groupe. Mais les Cowboys n’ont pas été que le groupe d’une génération. Oh non ! Nos parents, nos tantes et nos oncles se sont mis à aimer ça aussi. Pis ça ne nous a même pas dérangés que leur musique joue à la «radio commerciale». C’était la preuve que leur œuvre s’imposait par elle-même.
Dans la trentaine, nos enfants aussi se sont mis à tripper sur les Cowboys. Comme les Européens qui les ont découverts avec la magie du web et les ont accueillis en chantant leurs paroles, nos paroles, par cœur et à tue-tête, eux aussi. Car c’était tout le Québec qui était chanté par les Cowboys : le monde ordinaire, les jeunes dans la marge, les gars de shop, les mères monoparentales, les communautés culturelles. Leurs thèmes universels résonnaient partout dans le monde, dans notre parlure bien à nous.
Rendu à 40 ans, j’ai les larmes aux yeux en écrivant ce texte. Je ne peux pas croire que Karl est parti. Une partie de nous meurt avec lui. Karl, ton pays ne se trouve peut-être pas sur les cartes du monde. Mais il existe pour vrai et il est secoué par un grand sanglot au moment de mettre son drapeau en berne en ton honneur.
Si j’ai raté le dernier show des Cowboys Fringants sur les Plaines, l’été dernier, j’étais bien conscient qu’un immense coup de tonnerre venait de secouer le ciel de notre culture québécoise.
Peu après, je me suis retapé le disque double Attache ta tuque en prenant la route pour aller au cinéma, à Joliette, sous une pluie diluvienne.
Je l’ai écouté fort, en chantant toutes les tounes par cœur. Et j’avais les larmes aux yeux en pensant à la maladie de Karl, comme si c’était ma jeunesse qui se faisait gruger par l’estie de crabe.
En route sous une pluie diluvienne, je chantais Impala Blues à tue-tête dans le char. Et si cette toune a toujours été triste, elle l’était encore plus en connaissant l’état de Karl :
Mais, ce soir,
J’me rends compte que ma vie est comme un vieux char,
J’ai beau le recrinker,
Mais jamais je ne pars,
J’suis un peu trop rouillé
J’viens de m’en apercevoir
Je suis arrivé au cinéma à fleur de peau, dans un parking inondé et une ambiance de fin du monde. À la fin du film, je suis resté debout à regarder le générique, en ayant l’impression de voir défiler ma vie trop vite.
Comme une étoile filante.
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