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Celle qui aurait pu avoir un procès à huis clos a décidé de parler à visage découvert pour aider d’autres victimes.
C’est un procès, l’un des plus importants depuis plusieurs années, qui sème l’émoi, en France et à l’international depuis le début du mois.
Sur le banc des accusés à Avignon se trouve Dominique Pélicot, 71 ans, ainsi qu’une cinquantaine de coaccusés qui seront jugés devant la cour criminelle de Vaucluse d’ici décembre prochain pour «viol avec circonstances aggravantes». On leur reproche d’avoir agressé sexuellement la même femme — Gisèle Pélicot, âgée aussi de 71 ans, qui s’avère être l’ex-conjointe de Dominique Pélicot. Celle qui aurait pu avoir un procès à huis clos a décidé de parler à visage découvert pour aider d’autres victimes.
Gisèle Pélicot n’a aucun souvenir des faits en cause. Celle qui a été mariée pendant une cinquantaine d’années à Dominique Pélicot aurait été droguée à son insu par son ex-mari. Ce dernier aurait invité des étrangers en ligne à agresser sexuellement Madame sur une période d’une dizaine d’années à leur domicile familial. Tous les accusés sont issus de la même région que l’ancien couple. On comprend donc qu’il n’a pas fallu chercher très loin pour que des hommes décident de répondre «présent» à cette scabreuse invitation.
C’est la quantité de preuves trouvées — soit une centaine de vidéos et de nombreuses images explicites — qui ont permis aux policiers d’informer Gisèle de la raison de sa fatigue chronique et de ses douleurs gynécologiques, pour lesquelles elle a cherché des réponses en vain pendant plusieurs années.
Le profil des autres accusés en étonne plus d’un, certains médias parlant même d’une « énigme ». Outre le fait qu’ils soient âgés de 26 à 73 ans, ces hommes sont soit électriciens, pompiers, chauffeurs routiers, informaticiens, militaires, retraités ou sans-emploi. Des «monsieurs ordinaires» ou des «bons pères de famille» comme le dirait l’autrice et militante féministe française Rose Lamy. Or, c’est cette surprise généralisée qui irrite de nombreuses personnes qui luttent contre les violences sexuelles, sept ans après le raz-de-marée #metoo.
Il est aussi dangereux d’ériger celles qui parlent au statut de sainte. Plusieurs commentateurs ont souligné le «courage», la «noblesse», la «force» et la «dignité» de Gisèle Pélicot. La louanger parce qu’elle se tient «la tête haute et le dos droit».
D’une part, c’est placer beaucoup de poids et d’attentes, sur les épaules d’une seule personne. Sans rien enlever à la principale intéressée qui se retrouve dans une véritable tempête médiatique que je ne souhaite à quiconque, il y a lieu de remettre en question l’emploi de ces termes et de ce qu’ils sous-entendent.
Devrait-on aussi avoir de l’empathie pour les victimes qui ne sont pas «fortes»? Celles qui ne «survivent» pas aux violences sexuelles? Qui sont en colère et qui osent l’exprimer à voix haute? Qu’en est-il des victimes de violences sexuelles qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas parler ou de celles qui ne dénoncent pas à la police ?
Il ne devrait jamais y avoir de hiérarchisation sur le baromètre du courage et la manière de l’incarner. Nous sommes toutes méritantes de bienveillance, de soutien, d’amour véritable et de compassion.
Ce procès ramène dans le débat public l’idée de faire entrer la notion de consentement dans le droit pénal français (c’est le cas au Canada). Changer des lois envoie toujours un certain message à la population. Or, il nous faut voir beaucoup plus loin. Le consentement est une notion juridique qui est beaucoup plus complexe à articuler de manière concrète et organique en contexte intime.
Au Canada et au Québec, cela ne fait pas des années, mais bien plusieurs décennies que la qualité des cours d’éducation à la sexualité en milieu scolaire demeure un enjeu préoccupant. Comme l’ont habilement souligné onze jeunes de 17 ans dans Le Devoir au début du mois à propos du nouveau programme de Culture et de citoyenneté québécoise qui a été développé sans eux: «Votre appréhension, voire votre honte à aborder un sujet [la sexualité] aussi central à notre développement, n’est pas la nôtre.»
Ce procès nous prouve qu’il faut s’éloigner des cas jugés « exceptionnels ». Dépasser le scandale et l’étonnement, pour questionner les systèmes, les discours et les pratiques qui produisent ces violences et notre rôle au sein de ces systèmes, discours et pratiques.
C’est sans parler des nombreux angles morts de cette conversation : l’inceste, les stéréotypes racistes ou le fait que des hommes peuvent aussi vivre des violences sexuelles. Bien entendu, ce ne sont pas tous les hommes qui agressent. Or, ils sont surreprésentés parmi ceux qui commettent ces violences.
Dans Not That Bad, l’autrice et essayiste américaine Roxane Gay pose des questions fondamentales qui nous offrent une piste de réflexion: «Qu’est-ce que cela signifie de vivre dans une culture où il ne s’agit pas de si, mais de quand une femme vivra une forme de violence sexuelle? Qu’est-ce que cela signifie pour les hommes de naviguer dans une telle culture qu’ils y soient indifférents, qu’ils travaillent pour la transformer ou qu’ils y contribuent de manière significative ou marginale?»
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