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Les Jeux olympiques de Paris battent leur plein et plusieurs controverses font la manchette ces jours-ci.
Les Jeux olympiques de Paris battent leur plein et plusieurs controverses font la manchette ces jours-ci. La plus récente implique deux boxeuses, respectivement algérienne, et taïwanaise, Imane Khelif et Lin Yu Ting, dont les performances exceptionnelles dans leur discipline leur ont valu une suspicion autour de leur genre.
Cyberharcèlement, discours haineux et théories farfelues selon lesquelles elles ne seraient pas de « véritables » femmes. Ces attaques ont par ailleurs été dénoncées par le président du Comité international olympique, Thomas Bach.
Cette controverse fait écho à des accusations qu’a subies Serena Williams tout au long de sa carrière. Celle qui est considérée comme la meilleure joueuse de tennis de tous les temps a été maintes fois accusée d’être « née homme ». Un peu comme si son excellence dans son domaine ne pouvait pas être due à son travail et à son talent.
Dans la même veine, l’athlète sud-africaine Caster Semenya a été au centre d’un scandale international il y a plusieurs années en raison de son taux naturel de testostérone (aussi appelé hyperandrogénie), jugé trop « élevé » pour pouvoir prendre part à la compétition contre ses rivales. En juillet 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs donné gain de cause à Semenya pour les impacts moraux et discriminatoires de cette violation fort intrusive de sa vie privée.
L’éléphant dans la pièce est d’une évidence ici. « Étrangement », je repense au nageur Michael Phelps, l’athlète olympique le plus décoré de tous les temps. Phelps est né avec des particularités génétiques et physiques qui l’avantagent dans son sport. Un fait qui a été fort célébré et encensé sans que cela ne fasse broncher les observateurs de la même manière.
Nombre d’athlètes féminines et racisées voient leur morphologie passée au crible du voyeurisme. Cela prend racine dans des dynamiques racistes, misogynes et transphobes qui marchent ensemble, main dans la main.
À la fin des années 1990, la chercheuse nigériane et professeure de sociologie à l’Université Stony Brook aux États-Unis, Oyèrónkẹ Oyěwùmí a publié The Invention of Women — Making An African Sense of Western Gender Discourse. On y apprend, entre autres, que les catégories de genre binaires sont loin d’être universelles. La spécialiste explique que dans les sociétés yoruba, communautés d’Afrique de l’Ouest, c’est l’âge qui était le marqueur de hiérarchisation plutôt que le genre à l’époque précoloniale. La construction de la catégorie « femme » est l’une des manières dont l’Europe blanche a voulu asseoir son projet de domination par l’imposition du patriarcat sur des communautés où les femmes avaient un statut très respectable.
Dans la même veine, l’auteur d’origine camerounaise Fabrice Nguena qui a récemment publié au Québec Afroqueer, déconstruit cette idée voulant que l’homosexualité soit « un truc de Blancs ». Nguena argue qu’il y a toujours eu des variations dans le genre et son expression. Plutôt, c’est cette binarité de genre imposée sur de nombreuses sociétés africaines qui est une importation occidentale plutôt que l’inverse.
Au cours des années 1960, plusieurs organisations sportives mondiales ont instauré des « tests de féminité », tant gynécologiques, chromosomiques qu’hormonaux. Ces tests ont eu des impacts délétères envers toutes les hyperandrogènes ou dont les organes génitaux n’étaient pas facilement identifiables selon les catégories « femme » ou « homme ».
Dans Sporting Gender — The History, Science, and Stories of Transgender and Intersex Athletes, la scientifique et athlète Joanna Harper, nous invite à une grande prudence face à cette idée voulant que les femmes trans aient un avantage physique systématique sur les femmes cisgenres (celles dont l’identité de genre correspond au genre qui leur a été assigné à la naissance). Dans les faits, les choses sont beaucoup plus compliquées, aléatoires et nuancées. L’experte et professeure universitaire — qui est elle-même une femme trans ayant compétitionné en athlétisme, estime, à la lumière des connaissances, qu’il n’est pas déraisonnable de laisser les athlètes trans participer dans les mêmes catégories que les athlètes cisgenres.
La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, mise en scène par l’acteur français Thomas Jolly, avec une belle liberté créative et artistique, a reçu l’étiquette de « défilé woke » par de nombreux réactionnaires de France et d’ailleurs. Certes, on peut avoir apprécié cette cérémonie enlevante où notre Céline nationale a effectué son grand retour avec un courage aussi profond que bouleversant. On peut aussi avoir souri en coin devant le véritable pied de nez d’Aya Nakamura à ses détracteurs : « j’ferais mieux d’aller choisir mon vocabulaire pour te plaire dans la langue de Molière », elle qui a revisité son répertoire et celui de Charles Aznavour devant l’Académie française, rien de moins.
Ceci étant dit, cette appréciation de la cérémonie n’est pas incompatible avec un regard critique sur un spectacle aux couleurs de la « liberté, égalité, fraternité » qui a aussi le ton d’un festival de wokewashing.
Les athlètes musulmanes françaises portant le voile ont été interdites de participation aux Jeux olympiques par leur pays, une décision vivement décriée par des organisations internationales de droits de la personne, la France étant le seul pays au monde à avoir mis de l’avant une telle mesure. À l’opposé, Steven ven de Velde, ce néerlandais de 29 ans et joueur de beach-volley a pu représenter son pays alors qu’il a été reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement une personne mineure en 2016.
Les réalités de ces femmes sportives scrutées à la loupe pour être mieux discréditées sont indissociables du contexte plus large de montée de la transphobie dans de nombreux pays. La transphobie, le racisme et la misogynie se trouvent sur un même continuum. Même des femmes cisgenres se font « transinvestiguer » pour mieux être disqualifiées face à des réussites légitimes. Aux Jeux olympiques de la « bonne manière d’être une femme », peu importe ce qu’elles font ou disent, les femmes racisées ne sortent que rarement victorieuses.