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Chaque fois qu’un gouvernement serre la ceinture, ce sont les personnes les plus marginalisées de la société qui écopent.
En devenant le chef du Parti libéral du Canada vendredi dernier, Mark Carney a donné le ton avec l’annonce de son cabinet ministériel.
Alors que nous sommes en plein mois des femmes, le nouveau premier ministre a aboli Femmes et Égalité des Genres Canada alors que sa ministre, Marci Ien, était à New York à la 69e session de la Commission de la condition de la femme de l’ONU.
Le ministère de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes en situation de handicap est également passé à la trappe. Sans surprise, cette décision a provoqué une levée de boucliers unanime chez les organisations féministes du pays en plus de susciter une vive inquiétude.
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Créé en 2018 par le gouvernement de Justin Trudeau, le ministère Femmes et Égalité des Genres Canada avait pour mission de promouvoir et protéger les droits des femmes, des filles, de la jeunesse et des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. Forte des décennies de mobilisations de femmes à l’échelle du pays, Femmes et Égalité des Genres Canada avait notamment adopté l’analyse différenciée selon les sexes plus (ADS+).
L’ADS+ est une manière de voir comment les politiques publiques ont un impact différencié sur les hommes et les femmes. Le «Plus» y ajoute la composante intersectionnelle, en mettant en lumière les inégalités entre les femmes. Par exemple, les femmes blanches sont historiquement les grandes gagnantes des mesures de discrimination positive à l’embauche, contrairement aux femmes racisées.
En outre, en période d’austérité, les gouvernements coupent généralement en santé et en éducation, deux secteurs où les femmes sont surreprésentées comme travailleuses. Même si l’objectif de base n’est pas de faire mal de façon intentionnelle aux femmes, chaque fois qu’un gouvernement décide de se serrer la ceinture, ce sont les personnes les plus marginalisées de la société qui écopent.
En voyant le mandat de Femmes et Égalité des Genres Canada être morcelé au sein d’autres ministères, Mark Carney envoie un message fort dès les premières heures de son arrivée : les droits des femmes ne sont pas une priorité pour lui.
Pendant que plusieurs se confortent dans ce réflexe vieux comme le monde voulant que «le Canada ne soit pas aussi inégalitaire que les États-Unis », le scénario dystopique qui se déploie sous nos yeux dans l’Amérique de Donald Trump devrait tous nous faire frissonner.
Le New York Times a récemment publié une liste de mots dorénavant découragés par les agences fédérales américaines. Dans cette liste, on retrouve «crise climatique», «justice sociale», «intersectionnalité» et «inégalité».
Récemment, la scientifique en chef de la Nasa, Katherine Calvin, a été licenciée il y a quelques jours à peine dans la foulée de coupures drastiques de l’administration Trump.
Le Département de l’Éducation sous l’égide de Linda McMahon, dont l’objectif avoué est de se mettre elle-même au chômage, rase tout sur son passage en remerciant près de la moitié de son personnel.
Lorsque des établissements comme l’Université York à Toronto décident de suspendre l’admission à des programmes comme celui d’études féministes et de genre, il faut s’alarmer et surtout agir. Lorsque des universités demandent à leurs départements de ne plus se positionner sur des sujets dits polarisants, c’est une véritable guerre contre les sciences sociales. Je n’aime pas le fait qu’on me qualifie de «courageuse», alors que je ne fais que faire mon travail.
C’est Nelson Mandela qui avait dit que l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. Il n’est donc pas anodin que ce démantèlement en règle des droits et libertés civiles commence par la fondation de toute société saine et démocratique.
Il serait temps de lancer un avis de disparition pour savoir où sont les démocrates ainsi que les vaillants chevaliers de la liberté d’expression et de la liberté académique.
Par leur silence assourdissant face à cette hécatombe gravissime, ils ne font que confirmer de quel côté de l’Histoire ils ont choisi de se ranger : celui du maintien de leurs privilèges à tout prix plutôt que la liberté et l’égalité pour tous.
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