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Les renouvellements successifs de l’état d’urgence sanitaire depuis près de deux ans par le gouvernement de François Legault ont révélé des failles «gigantesques» dans la Loi sur la santé publique, selon des experts, qui estiment que l’esprit de la loi a été bafoué.
Décrété le 13 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire a été renouvelé pour la 101e fois cette semaine, sans que l’Assemblée nationale ne soit consultée une seule fois sur la question.
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Le mois dernier, la Cour d’appel du Québec a statué que ces renouvellements successifs respectaient l’article 119 de la Loi sur la santé publique. Celui-ci stipule que «l’état d’urgence sanitaire déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de 10 jours à l’expiration de laquelle il peut être renouvelé pour d’autres périodes maximales de 10 jours ou, avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, pour des périodes maximales de 30 jours».
L’avocat Stanislas Bricka avait demandé à la Cour en août 2020 de faire invalider les décrets gouvernementaux prolongeant l’état d’urgence sanitaire à répétition. Son principal argument est que le comportement du gouvernement Legault va à l’encontre de l’intention qu’avait le législateur en adoptant la Loi sur la santé publique.
Toutefois, dans leurs décisions, les juges de la Cour supérieure et de la Cour d’appel précisent que l’intention du législateur a beaucoup moins de poids dans la balance lorsque la formulation textuelle d’un article de loi est claire.
«Ce que la Cour d’appel dit, c’est que la lettre de la loi est respectée», résume Louis-Philippe Lampron, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval.
«Maintenant, la légalité du renouvellement, c’est une chose. La légitimité de procéder de la sorte, c’en est une autre», nuance-t-il, estimant que la façon de procéder du gouvernement comporte «des problèmes importants de légitimité politique».
Une position partagée par Stéphane Beaulac, professeur titulaire en droit constitutionnel à l’Université de Montréal et avocat-conseil chez Denton. Pour lui, il est clair que l’intention du législateur n’a jamais été de permettre autant de renouvellements successifs sans débats à l’Assemblée nationale.
«À mon humble avis, on n’a pas suffisamment mis l’accent sur l'esprit de la loi», souffle-t-il, s’inquiétant de cette «normalisation de l’état d’urgence sanitaire».
Même si le gouvernement était dans son plein droit en renouvelant l’état d’urgence sanitaire sans consulter l’Assemblée nationale, la pandémie a révélé des «failles gigantesques» dans la loi, selon Louis-Philippe Lampron.
«Les débats à l’Assemblée nationale sont mis carrément hors-jeu, déplore-t-il. Il y a tout un enjeu de transparence et de reddition de compte sur lequel il faudra se pencher.»
Les limites de la loi sont particulièrement frappantes parce que le gouvernement profite d’une majorité à l’Assemblée nationale, renchérit Stéphane Beaulac. «Dans le contexte d’un gouvernement majoritaire, il n’y a vraiment de façon de forcer le gouvernement à justifier [le maintien de l’état d’urgence], dit-il. Alors il continue.»
Le seul mécanisme dont dispose l’Assemblée nationale pour empêcher le gouvernement de renouveler l’urgence sanitaire réside dans l’article 122 de la Loi sur la santé publique. «L’Assemblée nationale peut, conformément à ses règles de procédure, désavouer par un vote la déclaration d’état d’urgence sanitaire et tout renouvellement», peut-on y lire.
La cheffe de l'opposition libérale Dominique Anglade réclame depuis des mois la fin de l'état d'urgence sanitaire. (Photo: Jacques Boissinot/La Presse canadienne)
Mais lorsque le gouvernement détient la majorité des sièges, une telle motion de désaveu n’a aucune chance d’être adoptée. La cheffe de l’opposition officielle Dominique Anglade a d’ailleurs fait l’exercice en novembre dernier. Malgré l’appui des deux autres partis d’opposition, sa motion invitant l’Assemblée nationale à désavouer le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire a été rejetée.
Pour Louis-Philippe Lampron, c’est l’une des dispositions de la loi qui devront être revisitées. Selon lui, la loi fédérale sur les mesures d’urgence pourrait servir d’inspiration pour réformer la législation provinciale.
Une telle réforme n’empêcherait pas un gouvernement majoritaire de faire ce que bon lui semble, concède-t-il, mais «il y aurait plus de travail à faire, plus de transparence dans les motifs qui sont invoqués pour renouveler l’état d’urgence sanitaire, parce qu’on donnerait davantage de temps de glace aux partis d’opposition».