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Société

Renforcer Radio-Canada pour soutenir l'information locale, selon deux études

Entre 2008 et 2024, 101 médias locaux ont fermé leurs portes et 37 autres ont réduit leurs activités au Québec.

L'édifice de la Maison de Radio-Canada à Montréal, le mercredi 29 janvier 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Christinne Muschi
L'édifice de la Maison de Radio-Canada à Montréal, le mercredi 29 janvier 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Christinne Muschi
Frédéric Lacroix-Couture
Frédéric Lacroix-Couture / La Presse canadienne

Deux nouveaux rapports mettent en lumière les pertes subies depuis plusieurs années dans le secteur des médias de l'information au Québec et au Canada. Selon leurs auteurs, l'une des principales solutions pour freiner cette crise passe par un meilleur financement et une «expansion» de CBC/Radio-Canada.

Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) et l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publient chacun, jeudi, une étude qui montre un recul de la couverture de l'actualité locale au pays.

Entre 2008 et 2024, 101 médias locaux ont fermé leurs portes et 37 autres ont réduit leurs activités au Québec. Le nombre de journalistes est en perte de vitesse dans la province, pendant que celui des professionnels des relations publiques, de la publicité et du marketing a explosé, d'après l'IRIS.

Au recensement de 2021, on y dénombrait 3370 artisans de l'information, ce qui représente une diminution de 12 % par rapport à 2016. Les effectifs du milieu des relations publiques et de la publicité ont, pour leur part, bondi de 345 % sur la même période, dépassant les 30 000 postes.

 

Cet écart sur le plan de la main-d'oeuvre entre les relations publiques et le journalisme «est de plus en plus défavorable aux journalistes», souligne en entrevue l'un des auteurs de l'analyse de l'IRIS, Guillaume Hébert.

«Avec ça, il y a un risque. C'est qu'on se retrouve avec de plus en plus d'intervenants dans l'espace public qui ne sont pas là pour produire de l'information équilibrée ou qui vise une forme d'objectivité, mais qui servent un intérêt politique ou un intérêt commercial. Ça peut être nuisible à la démocratie», évoque le chercheur.

Les régions des Laurentides et de Lanaudière ont été particulièrement touchées par cette réduction du nombre de journalistes, avec une baisse de plus de 30 % entre 2006 et 2016, indique l'IRIS.

De son côté, la recherche du CCPA révèle que le Canada a perdu 11 % de ses médias écrits d’information locale et 9 % de ses médias radiotélédiffusés privés depuis 2008.

Gatineau est la deuxième région au pays ayant connu la plus forte perte, après Vaughan en Ontario. La capitale de l'Outaouais a vu «des baisses de service ou la fermeture pure et simple de plusieurs de ses médias écrits locaux», mentionnent les deux coauteurs de l'étude.

Mais les secteurs affichant une privation d'information locale la plus marquée au Canada sont les banlieues des grandes agglomérations, comme Toronto, Montréal et Vancouver. La croissance de leur population est loin de suivre le même rythme que la couverture de l'information locale, qui «a même diminué», soutient le CCPA.

«Bon nombre de ces zones suburbaines comptent un demi-million d’habitants ou plus, qui se retrouvent en privation d’information alors qu’il y aurait beaucoup d’actualités locales à couvrir, indépendamment de ce qui se passe dans les grands centres urbains.»
-Coauteurs de l'étude

Un enjeu de financement

Tout ce portrait sombre s'explique en bonne partie par l'effritement du modèle de financement par la publicité sur lequel reposent la plupart des médias privés d'information, pointent les deux analyses. Les revenus publicitaires sont en chute libre, accaparés maintenant par les géants du web.

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Le numérique prenait en 2020 près de 60 % des parts de marché des revenus publicitaires au Québec. Au Canada, en 2023, Alphabet (Google, YouTube), Meta (Facebook, Instagram) et Amazon récoltaient plus des deux tiers des 22 milliards $ annuels que représente l’ensemble du marché publicitaire canadien, avance l'IRIS.

CBC/Radio-Canada a aussi vu son financement réduit au fil des ans, évoque l'institut, qui parle de plusieurs décennies «de coupes», en plus de revenus publicitaires aussi en baisse.

«Le financement public a diminué de 30 % depuis 40 ans (...) qui s'est produit par secousse un peu dans différentes phases de moments d'austérité», affirme M. Hébert.

Le rôle de Radio-Canada

Pourtant, s'il comptait sur un meilleur financement de l'État, le diffuseur public pourrait venir combler le besoin de couverture de l'actualité locale «qui s'est ouvert avec l'effondrement du modèle d'affaires des médias privés», soutient M. Hébert.

«Le diffuseur public pourrait élargir sa mission de façon à s'assurer que les gens qui vivent dans des régions, des localités qui sont mal couvertes par l'information puissent désormais» être mieux desservies, affirme-t-il.

Le CCPA plaide aussi pour «l’expansion des médias publics comme CBC/Radio-Canada» afin de favoriser le journalisme local.

«Dans les agglomérations où il y a moins de deux médias locaux pour 100 000 habitants, les diffuseurs publics constituent un important pare-feu et fournissent en moyenne le quart des médias d’information», soutient-on dans l'étude.

Elle souligne d'ailleurs que le rapport de l'ex-ministre de Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, sur l'avenir de CBC/Radio-Canada, publié en février dernier, appelle à la nécessité d'élargir le rôle de la société d'État dans l’information locale et régionale.

Pour rétablir et stabiliser le financement de Radio-Canada, l'IRIS recommande d'octroyer les crédits budgétaires de manière «plus stable», soit aux cinq ans. Et que ce financement public corresponde à un seuil plancher de 50 $ par habitant, se comparant à la moyenne des pays de l'OCDE.

L'institut propose également d'accroître l'autonomie du conseil d'administration, notamment en ayant le pouvoir de choisir la présidence de la société d'État, plutôt que ce soit le gouvernement.

L'IRIS rejette par ailleurs «l'idée selon laquelle le financement étatique des diffuseurs publics influence leur contenu et diminue leur capacité critique». Se basant sur de la recherche, il mentionne que «lorsqu’ils bénéficient d’un degré élevé d’autonomie politique comme c’est le cas au Canada (...), les médias publics et les médias privés subventionnés ne sont pas moins critiques que les autres à l’égard du gouvernement».

Le CCPA suggère aussi de soutenir davantage la transition numérique du journalisme écrit d’information locale.

Frédéric Lacroix-Couture
Frédéric Lacroix-Couture / La Presse canadienne