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Santé

PL83: les médecins voulant être au privé avant son adoption devront revenir au public

«Il va y avoir un exode de médecins qui vont être encouragés par ce projet de loi-là à sortir du système public.»

Un médecin des urgences consulte un document pendant qu'il soigne des patients aux urgences de l'hôpital Humber River, à Toronto, le mardi 25 janvier 2022.
Un médecin des urgences consulte un document pendant qu'il soigne des patients aux urgences de l'hôpital Humber River, à Toronto, le mardi 25 janvier 2022.
Katrine Desautels
Katrine Desautels

Le projet de loi 83 de Christian Dubé, qui vise à freiner l'exode des médecins vers le privé, pourrait faire l'effet contraire, selon la Fédération des médecins de pratique privée du Québec (FMPPQ). Le Dr Pascal-André Vendittoli, président de la fédération, craint qu'encore plus de médecins désertent le secteur public. 

«Je connais beaucoup de collègues qui m'ont appelé, qui m'ont consulté et qui m'ont dit: ''avec ce qui se passe en ce moment, je dois prendre une décision'' et la majorité des médecins vont choisir de soigner. [...] Ils vont dire ''devant un risque que je ne puisse pas sortir dans le futur du système public, j'aime mieux le faire maintenant"», a déclaré en entrevue Dr Vendittoli. 

«Il va y avoir un exode de médecins qui vont être encouragés par ce projet de loi-là à sortir du système public ou à aller travailler dans une autre province ou un autre pays», a-t-il ajouté. 

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a présenté la semaine dernière plusieurs amendements au projet de loi 83. Il a entre autres proposé que les médecins obtiennent au préalable une autorisation de Santé Québec pour se désaffilier de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

Si le PL83 était adopté avec les modifications proposées, les médecins qui se seraient tournés vers le privé entre le dépôt des amendements (1er avril 2025) et l'entrée en vigueur de la loi devraient automatiquement retourner travailler dans le régime public. L'objectif de cette mesure était justement d'éviter qu'il y ait une ruée de médecins qui demandent à se désaffilier de la RAMQ.

M. Dubé affirme qu'environ 150 médecins font présentement un va-et-vient entre le privé et le public simplement en informant la RAMQ de leur intention. Le ministre voudrait que Santé Québec évalue la pertinence de chaque demande selon certains critères. Par exemple, qu'il ne manque pas de médecin dans les établissements publics de la région du médecin qui fait une demande pour se désaffilier.

Selon le président de la FMPPQ, ce n'est pas la bonne façon d'améliorer l'accès aux soins. «Les chirurgiens sont sous-utilisés dans le système de santé québécois. Le fait de rendre plus complexes les entrées va avoir un effet négatif. Les chirurgiens vont devoir choisir de rester au public totalement ou d'aller au privé totalement», expose Dr Vendittoli. Il pense qu'une bonne partie des médecins choisiront le secteur privé. 

Il suggère au gouvernement de commencer par se concentrer à améliorer le système de santé public «pour que les patients n'aient pas besoin d'aller chercher une alternative au privé». 

«J'ai travaillé pendant 20 ans dans le système public. Si j'avais pu opérer, soigner mes patients dans le système public de façon adéquate, jamais je ne serais partie en privé pour soigner mes patients», témoigne-t-il. 

Opinions divergentes 

Le projet de loi 83 crée un clivage au sein des organisations. D'un côté, le Collège des médecins voudrait carrément que le statut de médecin non participant au régime public soit aboli; de l'autre, la FMPPQ et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ne croient pas que le PL83 améliorera l'accès aux soins. 

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) trouve les amendements proposés par M. Dubé insuffisants. Il réclame qu'un «encadrement professionnel et juridique plus rigoureux» du privé soit mis en place, alors que plus de 800 médecins œuvrent au privé au Québec contre quelques dizaines dans le reste du Canada. «Nous aurions souhaité que le gouvernement aille plus loin et interdise la valse des médecins entre le public et le privé, car cela contribue à la pénurie de personnel dans le réseau public», écrivait le CMQ sur Bluesky, la semaine dernière. 

La FMSQ a un tout autre son de cloche. Elle a commenté sur Bluesky que le PL83 avait l'air d'avoir été «écrit sur un coin de table» et qu'il ratait «complètement la cible». 

La FMPPQ est d'avis que les critères d'évaluation pour autoriser une désaffiliation de la RAMQ sont «administratifs et subjectifs». Elle estime aussi que cela porte atteinte à la liberté professionnelle des médecins et au libre choix des patients. «Il faut permettre à un médecin de pouvoir soigner des patients au public ou au privé. La décision du lieu où vont s'effectuer les soins appartient au patient», commente Dr Vendittoli.

Lorsqu'on lui demande si cela ne risque pas de créer un système de santé à deux vitesses, où les plus riches peuvent se permettre de meilleurs soins plus rapidement, Dr Vendittoli répond que la facture doit revenir au gouvernement. «Que les patients soient obligés de payer la totalité des soins quand ils vont au privé parce que le régime de santé public ne leur offre pas les soins adéquats, c'est une injustice réelle», dit-il. 

M. Dubé a fait savoir que des ententes ont été conclues avec des cliniques privées pour que les patients continuent de se faire soigner plus rapidement et gratuitement. Dr Vendittoli déplore toutefois que cet engagement ne fasse pas partie d'un règlement ou d'une loi. 

Katrine Desautels
Katrine Desautels