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De l'avis de la chercheuse Eve-Lyne Couturier, les programmes sont plutôt conçus pour «mettre un pansement» sur la plaie, plutôt que de réellement corriger les inégalités.
Le 17 octobre marquait la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté. Si les États développés se disent engagés dans cette lutte, comme le Canada avec sa Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, des experts remettent en doute la véritable ambition des gouvernements.
Dans un communiqué de presse publié pour souligner l'événement, le premier ministre Justin Trudeau mentionne que son gouvernement a «aidé à sortir des millions de Canadiens de la pauvreté» et qu'il vise toujours à «mettre fin à la pauvreté».
De l'avis de la chercheuse Eve-Lyne Couturier, associée à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), les programmes sont plutôt conçus pour «mettre un pansement» sur la plaie, plutôt que de réellement corriger les inégalités.
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«Quand on réussit à atteindre nos objectifs, on ne parle pas de sortir les gens de la pauvreté, on parle d'éviter l'indigence aux gens», observe la diplômée en science politique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) qui travaille notamment sur les enjeux d'inégalités de revenus.
Elle donne en exemple la mesure choisie par le Canada et le Québec pour mesurer la pauvreté. Alors que sur la scène internationale, on utilise la mesure du faible revenu qui correspond à 60 % du revenu médian, les gouvernements préfèrent, ici, se baser sur la mesure du panier de consommation et le revenu nécessaire pour se le procurer.
«Ce n'est pas avoir un grand appartement qui nous permet d'avoir une pièce pour un bureau, dans un quartier central accessible au transport en commun et aux services de proximité. Ce n'est pas d'avoir la possibilité d'acheter des vêtements neufs de qualité, c'est acheter le strict minimum pour répondre à ses besoins», résume-t-elle.
Professeur au département de sociologie de l'UQAM, Jean-Marc Fontan croit lui aussi que les politiques actuelles cherchent plutôt à offrir une pauvreté «sécuritaire» permettant de sortir tout juste les gens de «la grande misère» afin qu'ils deviennent des consommateurs à petite échelle et contribuent à l'économie de marché.
«On les rend passifs puisqu'ils sont dépendants d'un revenu qui leur vient de façon providentielle de l'État, décrit-il. On s'assure d'avoir le minimum acceptable pour que les gens ne se rebellent pas et qu'on soit plus dans la cohésion que dans le défi».
Les deux experts s'entendent pour dire que le seul moyen de réellement éliminer la pauvreté de nos sociétés consisterait en une refonte de nos systèmes économiques et politiques.
«Ils ne sont pas construits sur l'égalitarisme, ils sont construits sur l'inégalitarisme», mentionne le professeur Fontan. Il ajoute qu'en créant de la richesse d'un côté, on crée inévitablement de la pauvreté de l'autre.
«Soit c'est de la pauvreté proche de nous, sur l'espace québécois, ou alors c'est de la pauvreté que l'on génère à l'extérieur de l'espace québécois, mais somme toute la création de la richesse et la création de pauvreté, ce sont les deux faces de la même pièce de monnaie», explique-t-il.
Eve-Lyne Couturier voit d'ailleurs dans cette journée internationale d'élimination de la pauvreté une occasion idéale de prendre conscience du fait que notre niveau de vie se fait sur le dos de populations exploitées ou d'États dont les ressources sont pillées.
«Si l'on réussit à avoir du fast-fashion, une économie basée sur l'électronique, un environnement sain parce qu'on déplace nos déchets, c'est parce qu'on exploite d'autres gens», rappelle la chercheuse.
Malgré les constats sombres, les deux experts interrogés par La Presse Canadienne continuent de croire qu'il est possible d'envisager une société sans grande pauvreté. Tout en reconnaissant que l'humanité n'a pas réussi à atteindre cet «idéal démocratique depuis deux millénaires», le professeur Fontan estime qu'on pourrait y arriver en y mettant des efforts à la hauteur.
Pour Eve-Lyne Couturier, il faut d'abord revoir les objectifs des programmes publics pour viser au minimum l'atteinte d'un revenu viable et d'une vie décente. Elle ajoute qu'il faut aussi procéder à un changement dans l'échelle de valeurs à travers la société.
«On a l'air d'admirer beaucoup les personnes qui sont très riches comme Elon Musk ou Jeff Bezos. Ce sont des personnes présentées comme des exemples de succès, mais de quel succès on parle si cela est bâti sur des travailleurs dans des entrepôts qui ont des conditions de travail exécrables?» déplore-t-elle.
De l'avis de M. Fontan, l'action à petite échelle peut également avoir un certain impact et cette journée internationale peut servir de motivation. Il y voit une invitation, chaque année, à réfléchir aux gestes posés autour de soi de manière personnelle, institutionnelle ou entrepreneuriale afin d'aider à sa manière à réduire les inégalités.