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«La situation est rendue clairement... incontrôlable», a lancé Ariane Orjikh, biologiste et directrice générale de Memphrémagog Conservation.
Le lac Memphrémagog et le lac Massawippi: deux joyaux en Estrie, les deux aux prises avec un problème important de moules zébrées. L’état de la situation est toutefois bien différent d’un lac à l’autre. L’organisme Bleu Massawippi a encore espoir de contrôler la prolifération de cette espèce exotique envahissante, par contre, chez Memphrémagog Conservation, l’espoir fait place à la résignation.
Ariane Orjikh est biologiste et directrice générale chez Memphrémagog Conservation. Si l’organisme a déjà fait des plongées dans les années passées pour tenter de contrôler la prolifération de la moule zébrée, ce n’est pas le cas cet été.
«La situation est rendue clairement... incontrôlable», a lancé Ariane Orjikh, biologiste et directrice générale de Memphrémagog Conservation. «Nous, on plongeait davantage pour caractériser la situation.»
«On plongeait aussi pour mobiliser des plongeurs, des bénévoles, pour les sensibiliser. On espérait, je vous avoue, pouvoir contrôler la situation, mais dès le départ, quand on a découvert la présence de moules zébrées, avec du cinq moules par m2, on voit maintenant que la situation était déjà trop grave pour être contrôlée» a-t-elle expliqué.
Le lac Memphrémagog va maintenant prendre «un autre type d’équilibre», selon la biologiste.
«C’est un animal qui filtre beaucoup l’eau, donc il va y avoir une augmentation de la transparence de l’eau, qu’on constate déjà dans la baie de Magog, donc les plantes vont pouvoir envahir dans des endroits de plus en plus profonds. La moule zébrée peut aussi boucher des frayères à poissons, par exemple des frayères à touladis», a-t-elle cité à titre d'exemple.
Si la santé du lac inquiète, les baigneurs devraient aussi s’inquiéter à moyen terme de la présence grandissante de coquilles de moules zébrées sur les plages, selon la directrice générale de l’organisme.
La forte présence de moules zébrées sur les installations de filtration de l’eau au lac Memphrémagog aura aussi d’importants impacts économiques pour les villes qui s’y approvisionnent selon Mme Orjikh. Ces villes devront trouver des moyens efficaces de nettoyer les conduites d’eau.
Vu l’ampleur de la situation au lac Memphrémagog, Ariane Orjikh et son équipe ont choisi de mener la bataille différemment, à défaut de plonger cet été pour tenter de contrôler la prolifération. Vendredi dernier, Memphrémagog Conservation a convié plusieurs autres organismes et leurs dirigeants à venir plonger dans le lac et à observer par eux-mêmes un fond de lac infesté.
«Maintenant, ce qu’on fait, c’est de sensibiliser les autres plans d’eau à la situation. De constater par eux-mêmes l’urgence d’agir, parce que quand un plan d’eau a de la moule zébrée, après ça, on ne voit que ça dans le fond du lac. Ce sont des tapis de moules zébrées », a-t-elle dit.
Quel message souhaite-t-elle qu’elles retiennent? «Que ce n’est pas pour rien qu’on demande aux gens de laver leurs embarcations. C’est la seule façon que la moule zébrée rentre dans un plan d’eau, ou d’autres espèces envahissantes», a-t-elle répondu.
Des représentantes des organismes de protection du lac Brome, du lac Brompton et du lac O’Malley ont participé à la journée.
«C’est assez impressionnant de voir toutes les roches qui sortent de l’eau, note Michèle Lafond, de l’Association pour la protection de l'environnement du lac O'Malley. Elles sont presque toutes infestées de moules zébrées. On est venues ici, moi et une collègue du conseil d’administration, pour voir de visu c’est quoi une moule zébrée. On a vu beaucoup de photos, mais on n’avait pas vu des vraies moules. On peut apprivoiser cette nouvelle menace» explique-t-elle.
Ariane Orjikh interpelle également le gouvernement provincial, alors que de très nombreux lacs au Québec ne sont toujours pas équipés de stations de lavage de bateaux. Elle estime que le Québec pourrait s'inspirer de l'Alberta pour mettre en place un programme provincial «solide» afin de prévenir la prolifération de cette espèce envahissante dans d'autres plans d'eau.
«Il y a d’autres façons de faire, comme en Alberta, de mettre des stations de lavage des bateaux sur le bord des autoroutes, donc les stations sont gérées par la province. On ne demande pas aux municipalités, aux associations de lac de faire des demandes de subventions, de faire des projets. C’est quand même assez fastidieux de s’occuper d’une station de lavage, d’avoir des employés, on le sait avec la pénurie de main-d’œuvre», a-t-elle soutenu.
Le son de cloche est beaucoup plus positif chez Bleu Massawippi, dont les dirigeants et plongeurs tentent encore de freiner la prolifération de la moule zébrée avec de l’arrachage manuel.
«Au lac Massawippi, on est en début de colonisation, explique Vincent Lemieux, biologiste et coordonnateur scientifique de l’organisme. «C’est le moment d’essayer des choses avant que ça devienne ingérable.»
Contrairement au lac Memphrémagog, tout indique que la situation a possiblement été découverte à temps.
Vendredi dernier, alors que les plongeurs entamaient une sortie sous l’eau, le biologiste a rapporté que près de 28 000 moules zébrées avaient été récoltées au fond du lac depuis le début des plongées en 2023. Pour l’ensemble de la saison, en 2022, un peu plus de 18 000 moules avaient été arrachées.
Il ne faut toutefois pas voir ces données comme une progression de la présence de l’espèce, selon M. Lemieux.
«Il faut dire que cette année, on a 500 heures sous l’eau [...] Les quelques données suggèrent que c’est stable pour le moment», a-t-il expliqué. La mobilisation pour contrôler la présence de moules zébrées au lac Massawippi a de quoi impressionner. Jusqu’à présent, 27 plongeurs, dont 13 bénévoles ont sillonné le fond du lac cet été et ce printemps.
«On a aussi des plongeurs contractuels et on a aussi l’équipe de l’Aquarium du Québec, qui est venue nous aider une semaine ce printemps et qui va revenir à l’automne, sans frais pour nous. Donc on les remercie», a poursuivi M. Lemieux.
L’organisme, qui bénéficie de soutien financier fédéral, provincial et municipal pour mener sa mission, collabore aussi avec les riverains du lac.
Environ 90 dispositifs ont été déployés au bout des quais qui se trouvent sur les rives et permettent de surveiller la présence de moules zébrées dans les différents secteurs. Jusqu’ici, rappelle Vincent Lemieux, la moule zébrée est concentrée dans le secteur nord du lac.
«La population est bien mobilisée et on est extrêmement contents de ça. On en a besoin», a conclu le biologiste.
Voyez le reportage de Guillaume Cotnoir-Lacroix dans la vidéo qui accompagne ce texte.