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Une autre catastrophe écologique guette l’Arctique en marge du réchauffement climatique.
Une autre catastrophe écologique guette l’Arctique en marge du réchauffement climatique.
Alors que les experts font état depuis longtemps de la menace posée par la libération de quantités massives de gaz à effet de serre – méthane et CO2 – qui vont s’échapper avec le dégel du pergélisol, une nouvelle étude démontre que des contaminants toxiques de toutes sortes, accumulés depuis des décennies sur des sites industriels dans le Grand Nord, sont également à risque de s’échapper.
L’étude de la revue Nature Communications, réalisée par des chercheurs de l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, à Bremerhaven, en Allemagne, recense des dizaines de milliers de sites industriels contaminés, dont environ 3600 dans les régions de pergélisol du Canada et de l’Alaska.
Il s’agit de sites d’exploration ou de forage pétrolier, de sites miniers et d’anciennes installations militaires, autant d’endroits où l’on a enfoui et entreposé au fil des décennies des déchets toxiques sous la prémisse que le pergélisol, présumément gelé en permanence, représentait une barrière sécuritaire et impénétrable. Or, la fonte du pergélisol, dont le nom signifie littéralement «sol gelé en permanence», représente une menace que l’on n’avait pas prévue à l’époque.
«Je ne suis pas du tout surpris que l’on nous dise que ces sites contaminés vont se dégrader à cause de la fonte du pergélisol», explique Christopher Burn, expert en pergélisol, changements climatiques et glaces terrestres au département de géographie de l’Université Carleton, à Ottawa.
«Ce qui me surprend le plus, c’est la cartographie, qui montre l’étendue des sites contaminés dans l’Arctique.
«Quand on regarde la carte, on voit un grand nombre de sites là où on pouvait s’y attendre, mais il y a aussi d’autres points partout indiquant qu’il y a eu de l’activité militaire ou industrielle ou minière. Quand on regarde la région canadienne de pergélisol, qui occupe tout le Nord canadien, il faut reconnaître qu’il y a très peu d’endroits où il n’y a pas de sites contaminés à l’échelle de cette carte. Il y en a partout», laisse tomber le professeur Burn.
Tabatha Rahman, doctorante en géographie à l’Université Laval qui se spécialise dans la géomorphologie du pergélisol, explique ce qui pointe à l’horizon d’un dégel, le pergélisol canadien étant composé non seulement de terre et de roche, mais aussi de beaucoup de glace.
«Quand le pergélisol est gelé, l'eau ne peut pas passer au travers, c'est comme une barrière à l'écoulement de l'eau dans le sol. Mais plus le climat se réchauffe, plus le pergélisol dégèle et l'eau s'écoule de plus en plus profondément dans le sol, amenant avec elle des contaminants, parfois dans des régions très lointaines», explique-t-elle.
«L'eau est un médium de transport incroyable. On retrouve des microplastiques jusqu'au Pôle Nord, à des milliers et des milliers de kilomètres des sources de plastique. Dans les régions où il y a de la contamination et où le pergélisol dégèle, l'écosystème est certainement à risque.»
De plus, dit Christopher Burn, le facteur temps s’ajoute à cette réalité.
«La majorité de ces sites sont près de rivières et de l’océan. Avec ce genre de contaminants, tout secteur qui est près de la source de contamination se retrouvera non seulement avec une concentration élevée, mais aussi persistante. On ne parle pas ici d’une année ou d’une saison de contamination. Une fois que ces contaminants entrent dans le réseau aquifère, ils sont là pour très longtemps. Et comme l’eau transporte tout sur de grandes distances, le problème va s’étendre», avertit-il.
Il n’y a donc, à terme, que deux possibilités: réparer ou vivre avec les erreurs d’un passé où les préoccupations environnementales étaient pratiquement inexistantes, rappelle le professeur Burn. «Dans les années 60 et 70, quand plusieurs de ces sites maintenant contaminés ont été créés, le consensus était que le pergélisol serait gelé en permanence, d’où son nom. Il n’était même pas envisagé que l’on aurait le genre de changements climatiques que l’on entrevoit maintenant dans les régions nordiques.»
L’argent a été un facteur déterminant derrière ces décisions, ajoute-t-il. «Il est beaucoup moins coûteux de tout enterrer sur place que de le sortir et c’était la pratique généralisée dans les années 60 et 70.Mais ces entreprises avaient des permis du gouvernement à l’époque», de sorte qu’il est difficile, légalement, de leur faire porter la responsabilité rétroactivement.
Daniel Fortier, professeur de géographie à l'Université de Montréal et directeur du Géocryolab, un laboratoire d'études de la géomorphologie et de géotechnique des régions froides, note que l’âge de plusieurs sites vient compliquer la donne.
«Il y a de vieux contaminants, des choses qu'on ne produit plus aujourd'hui, comme par exemple de l'essence avec du plomb, qu'on peut retrouver à certains endroits dans l’Arctique, où il y avait ce qu'on appelle des ‘fuel cache’, des bidons d'essence à certains endroits pour le ravitaillement militaire et civil», dit-il.
«On a des rejets miniers, par exemple ce qu'on appelle des 'sumps'. Ce sont des boues et des fluides de forage qui sont à l'intérieur du pergélisol dans les Territoires du Nord-Ouest, qui vont causer le problème définitivement. On a aussi, évidemment, tous les villages arctiques qui sont alimentés en électricité par des génératrices au diesel, donc on a plusieurs endroits où on entrepose à la fois du diesel, du kérosène, de l'essence et différents autres produits de la sorte», explique le professeur Fortier.
Du côté militaire, on parle notamment des anciens sites d’installations radar de la ligne DEW (Distant Early Warning, la ligne de radars devant prévenir rapidement d’attaques de missile provenant de Russie), mais il y a de l’espoir de ce côté, souligne Christopher Burn. «Plusieurs des sites DEW ont été abandonnés, mais il y a eu du nettoyage. Sauf que ça s’est avéré très coûteux parce que sur plusieurs de ces sites, on avait enterré beaucoup de BPC et d’autres contaminants qui ne peuvent rester enfouis. Évidemment, si ces matériaux se libèrent dans l’environnement avec la fonte du pergélisol, ce sera un grave problème. Le nettoyage de la ligne DEW est un programme très coûteux, mais il se poursuit toujours.»
Les pires sites contaminés sont issus du secteur minier et sont situés dans le Nord-Ouest, souligne M. Burn, qui place en haut de la liste la mine de plomb et de zinc Cyprus Anvil à Faro, au Yukon. «La compagnie a quitté les lieux en 1998 sans jamais avoir obtenu d’approbation de fermeture ou fourni un plan de restauration», déplore-t-il.
L’autre cas qu’il pointe est presque surréaliste, raconte le chercheur, alors que l’on a décidé de geler de nouveau le pergélisol dégelé à la mine d’or Giant à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. «Ils ont décidé que le problème est perpétuel parce qu’ils ont enseveli du trioxyde d’arsenic sous forme de poussière et ils veulent que ce soit gelé et que ça reste gelé. Ils ont donc décidé d’installer une centrale énergétique sur place pour maintenir le sol gelé. C’est extrêmement coûteux. Mais ce serait encore plus coûteux et dangereux de le sortir et de le transporter dans le Sud pour être traité.»
Le Québec, lui, s’en tire plutôt bien, affirme Daniel Fortier. «On en a moins au Québec que dans le nord-ouest du Canada», décrit-il. D’une part, il n’y a pas eu d’activité importante d’exploration pétrolière et de forage et l’industrie minière est assez récente pour avoir été soumise à des normes plus sévères qu’il y a 50 ou 60 ans. «Ce qui se passe au niveau minier actuellement au Québec, c'est bien suivi et ç’a été bien installé.»
Christopher Burn, confirme. «Au Québec, il y a moins de problèmes. La mine Raglan, par exemple, est en opération maintenant. Il y aura certainement des problèmes à long terme, comme dans toute activité minière nordique, mais il y a maintenant des provisions en vertu desquelles les entreprises doivent verser une caution permettant à ceux qui hériteront du site - normalement le gouvernement - d’avoir le financement requis pour sécuriser le site.»
Par contre, le Nord québécois n’échappera pas à une éventuelle dispersion de contaminants qui fuiront dans les plans d’eau avec le dégel du pergélisol. Ce dégel, avertit Christopher Burn, viendra plus tôt que tard. «D’une part, nous ne pensions pas que les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pourraient avoir un impact aussi massif sur le climat, comme on a dû le constater au cours des 50 dernières années. D’autre part, nous n’avions pas compris jusqu’à quel point les changements climatiques seraient amplifiés dans les régions polaires. Cette amplification, on l’observe maintenant, mais il a fallu 50 années de données pour nous convaincre que ce que nous voyons est vrai, plutôt que de n’être qu’une simple variation du climat associée aux fluctuations de fond.»