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«Une voie rapide vers l'extrême droite.»
Février tirera bientôt sa révérence, mais l’année est déjà longue. Alors que la fin du premier mois de la présidence Trump approche, il est difficile d’imaginer ce que seront les quatre prochaines années. Cela étant dit, le simple fait de se demander si nous sommes dans une dystopie constitue un privilège. Beaucoup de gens n’ont pas le luxe de s’imaginer ce qu’est l’enfer, car ils le vivent déjà sur terre.
De ce côté-ci de la frontière, on s’apprête à couronner le remplaçant de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada. Des élections pourraient donc avoir lieu aussitôt qu’en mars prochain. Déjà, le nom de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada, flotte et il en ressort comme le grand vainqueur. Or, tout le monde le sait : en politique, quelques mois sont une éternité dans laquelle tout peut basculer en une fraction de seconde, au moment où l’on s’y attend le moins.
Au cours des derniers mois du mandat de Justin Trudeau, le parti conservateur de Pierre Poilievre était en tête des intentions de vote au Canada. Or, la venue de Mark Carney semble brouiller les cartes. La preuve est que le chef conservateur concentre ses énergies à attaquer Carney, qui n’est pourtant pas seul dans cette course à la direction du PLC.
Selon plusieurs observateurs, l’écart qui s’était creusé entre les libéraux et les conservateurs s’est réduit. Cela étant dit, peu importe celui qui se retrouvera à la tête du pays, le trumpisme — dont les effets perdureront bien au-delà des quatre prochaines années — fait des émules un peu partout dans le monde incluant ici. Il n’y a qu’à regarder plusieurs déclarations passées de Pierre Poilievre pour le croire.
Aussitôt dit, aussitôt fait. À coups de décrets présidentiels annoncés en grande pompe, Donald Trump met à exécution son plan, Project 2025. Ce vaste chantier est chapeauté par The Heritage Foundation, une organisation très proche du parti républicain et l’un des think tanks en politiques publiques les plus influents aux États-Unis. Project 2025 érode le peu de démocratie américaine qu’il reste pour créer une nation basée sur des idéaux d’extrême droite. Cela signifie plus concrètement : déporter des personnes immigrantes, semer le doute sur les changements climatiques, anéantir la liberté de presse, la liberté d’expression et la liberté académique, accroître la surveillance en ligne de la population américaine et prendre les enfants trans comme épouvantail.
Il y a quelques jours à peine, toute référence aux personnes trans a été retirée du monument de Stonewall, symbole des émeutes du même nom de 1969 et des droits des personnes LGBTQ+ aux États-Unis. En outre, des attaques en règle contre les initiatives en équité-diversité-inclusion nous ramènent des décennies en arrière. Plusieurs de mes collègues universitaires qui effectuent de la recherche aux États-Unis en sciences sociales se demandent actuellement si elles devront quitter le pays en raison de la nature et des thématiques de leur travail intellectuel.
Ce que plusieurs appellent la « guerre au wokisme » en est plutôt une contre la justice et l’égalité pour les personnes minorisées, comme le rappelait Volker Türk, Haut Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies, en mars 2024.
Il y a quelques semaines, Pierre Poilievre a accordé une longue entrevue au balado de Jordan B. Peterson, titrée Canada’s Next Prime Minister. Peterson est un psychologue, auteur et universitaire canadien à la retraite de l’Université de Toronto, qui fut réprimandé par l’Ordre professionnel des psychologues de l’Ontario en 2022 pour ses propos contraires à l’éthique dans l’espace public, notamment contre les personnes de la diversité sexuelle et de genre.
En 2022, Poilievre a affirmé sur la plateforme X que le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) était devenu une institution « woke », avide de pouvoir, qui se devait d’être domptée. Il a aussi affirmé que la gouvernance responsable sur le plan environnemental et les initiatives en matière d’équité, de diversité et d’inclusion sont « bonnes pour la poubelle ». Dans plusieurs conférences de presse, le chef conservateur a fait de la taxe carbone son cheval de bataille par des slogans tels que Axe The Tax et Carbon Tax Carney. Il se dit contre la « culture de l’annulation », affirme vouloir resserrer le contrôle des frontières par les Forces armées canadiennes. En outre, les politiques et lois en matière d’immigration pourraient connaître des changements profonds qui n’augurent rien de bon pour les étudiants internationaux et les travailleurs temporaires.
Certes, Donald Trump représente le paroxysme de la démagogie et de la démesure. Ses déclarations choquent et soulèvent les passions. Or, les manifestations du populisme les moins spectaculaires, plus insidieuses peuvent être tout aussi dangereuses, sinon davantage.
La semaine dernière, Salomé Saqué, une journaliste française, fut invitée à s’exprimer pour le segment Droit dans les yeux, du magazine littéraire La Grande Librairie. Saqué, comme plusieurs autres, fait office de Cassandre contemporaine. Elle sonne l’alarme depuis fort longtemps face aux dangers de l’extrême droite en France. Même si ces avertissements n’ont pas été entendus, elle nous a appelés à résister pendant que nous pouvons encore le faire. De ne pas se demander de quel côté de l’Histoire nous aurions été à une autre époque, mais plutôt de choisir de quel côté nous voulons l’être aujourd’hui :
« Tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude. La démocratie ne meurt que si on la laisse mourir. »
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