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Santé
Chronique |

«J’ai fait une overdose en voulant essayer l’oxycodone»

Si Tristan a décidé de partager son histoire, c’est qu’il sait pertinemment qu’il n’est pas le seul à banaliser les médicaments vendus sur le marché noir sans prescription.

Tristan Racicot ne se doutait pas, en s’asseyant sur la chaise de son tatoueur, le 13 septembre dernier, qu’il manquerait y laisser sa peau.

Le jeune homme de 24 ans, qui n’en était pas à son premier BBQ en matière de tatouage, avait décidé, avant la séance, d’essayer de prendre un comprimé d’oxycodone, un puissant analgésique de la famille des opioïdes et délivré sous ordonnance.

Je le précise tout de suite, pour ceux qui se posent la question : Tristan n’est pas une personne qui consomme. Joint au téléphone, il me précise qu’il boit peu et qu’il n’a pas l’habitude de prendre de la drogue. « Si j’ai fumé cinq fois du pot dans ma vie, c’est beau. »

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Néanmoins, il prend ce qui aurait pu être la pire décision de sa vie en se procurant de l’oxycodone auprès d’une connaissance. « J’ai environ 50 heures de tatouage sur tout mon corps pis je n’avais rien pris jusqu’à présent. Il me restait du travail sur un bras et j’avais l’intention de tatouer ma jambe cet hiver. J’avais entendu dire par des amis qui sont tatoués de la tête aux pieds que si tu prenais une pilule d’oxycodone avant d’y aller, tu restais lucide, mais que tu ne ressentais aucunement la douleur. J’ai voulu essayer, par curiosité. J’ai été très naïf. » C’est un euphémisme.

Quand je lui demande si, au moment d’avaler la pilule obtenue sans prescription, il était au courant de la crise des opioïdes ou du fait qu’il peut y avoir plusieurs substances dangereuses à l’intérieur des médicaments vendus sur le marché noir, il me répond par l’affirmative. « Comme un peu tout le monde, je sais que dans n’importe quelle drogue, il peut y avoir toutes sortes d’affaires. Sauf que je me suis dit que c’était mon ami qui m’avait vendu ça, alors ça ne pouvait pas me faire du mal. J’étais vraiment dans l’idée que ça arrive juste aux autres. »

« J’ai été très inconscient »

L’autre, c’était lui. Tristan Racicot a avalé seulement le quart du comprimé que lui avait vendu « son ami » avant de se rendre à sa séance. « Je voulais faire un test avant d’y retourner pour ma jambe. » Assis sur la chaise de son tatoueur, il commence, au bout d’un certain temps, à feeler bizarre. « Je me sentais ankylosé, engourdi de partout, un peu endormi, mais à ce moment, j’étais encore là. » Le jeune homme ne veut pas alerter personne et se dit, en son for intérieur, que ce qu’il ressent est peut-être normal, que ça doit être ça, l’effet de l’oxycodone.

Le temps continue de filer, à un moment donné, le jeune homme veut utiliser les toilettes. « J’ai commencé à voir que j’étais vraiment gelé. C’est arrivé d’un coup. J’avais de la misère à marcher et, dès que je me levais, j’avais vraiment mal au cœur. Je n’ai même pas été capable de faire pipi et j’ai essayé de vomir, mais c’était juste de l’eau. » Encore une fois, Tristan ne veut pas inquiéter personne. Il se tait, même si son tatoueur s’enquiert à plusieurs reprises de son état.

Tristan s’endort sur la chaise. « Comme ça m’arrivait souvent de fermer les yeux pendant une séance, le tatoueur n’a pas tant été alerté. En plus, 90 % du monde qui vont se faire tatouer longtemps prennent de quoi. Soit ils fument du pot ou ils boivent. » 

Cette affirmation me laisse perplexe. Après avoir jasé avec Tristan Racicot, je décide de passer un coup de fil à Mikey Rose, propriétaire de Savy Barbershop, un commerce où on fait du tatouage et des coupes de cheveux. Il semble très surpris.

« Dans les endroits sérieux, ils vont refuser de te tatouer s’ils soupçonnent que tu es sous l’influence de l’alcool ou de la drogue. Mes clients vont utiliser des crèmes ou des vaporisateurs analgésiques, mais jamais on ne travaillerait sur des clients intoxiqués. Après, si la personne ne nous dit rien et que ça ne paraît pas, on n’est pas non plus des devins. »

Revenons à Tristan. C’est la fin de l’après-midi et son état se dégrade de plus en plus. Ayant terminé son travail, le tatoueur peine à le réveiller de sa torpeur. « J’étais vraiment knocked-out. Je me suis levée, mais j’avais de la misère à parler et à ouvrir mes yeux. » Incapable de marcher, il tente de s’agripper aux chaises et à la table. Inquiet, il demande à ses parents de venir le chercher.  

Le trou noir

« Je leur ai dit ce que j’avais pris, parce que je commençais à me dire que j’allais peut-être avoir besoin de soins. J’essayais de me concentrer et de parler, mais j’étais complètement parti. Arrivé chez ses parents, la mère du jeune homme constate qu’il a des difficultés respiratoires majeures. Elle appelle l’ambulance. Tristan précise qu’à partir là, c’est le trou noir. Il ne se souvient plus de rien. 

Pour me raconter une histoire ou si vous voulez témoigner de quelque chose qui vous tient à cœur, écrivez-moi un courriel : genevieve.pettersen@bellmedia.ca

Les paramédicaux conduisent le jeune homme à l’hôpital Pierre-Boucher. En tout, il passera environ 1 h 30 en salle de réanimation. « Ils m’ont plogué de partout. Mon pouls était très bas. Je respirais quatre à cinq fois seulement par minute. Ma mère, qui ne pouvait pas entrer, pouvait m’apercevoir quand le personnel ouvrait les portes de la salle de réanimation. Paraît qu’ils étaient une douzaine après moi. »

Est-ce que Tristan a eu peur de mourir ? Pendant qu’il était à l’hôpital, il affirme n’avoir pas eu conscience de la gravité de la situation. « Je n’étais même pas capable d’ouvrir les yeux jusqu’au moment où on m’a injecté de la naloxone », un médicament qui renverse temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes. Malgré ça, le cœur du jeune homme bat encore difficilement. Il doit recevoir de l’oxygène et demeurer sous surveillance pour la nuit.

« Au moment de me donner mon congé, le médecin m’a expliqué que si j’étais resté chez nous, mon cœur aurait battu tellement lentement qu’il se serait arrêté. » Je rappelle que Tristan n’a pris que le quart du comprimé d’oxycodone contrefait. « Si j’avais pris la moitié, ils m’ont dit que je serais sûrement mort. »

Les prises de sang ont plus tard révélé que la pilule consommée par Tristan contenait trois sortes d’opioïdes : de l’oxycodone, du fentanyl et de la morphine. À ce sujet, un membre du personnel hospitalier lui a expliqué que les pilules achetées sur le marché noir sont très instables et qu’elles ne sont souvent pas bien mélangées.

Autrement dit, si Tristan avait pris une autre partie du comprimé, ça aurait pu être totalement différent. « C’est comme faire un gâteau et juste le mélanger un peu. Il peut y avoir plus de farine quelque part, plus d’œufs à un autre endroit, sauf que là, ce sont des ingrédients qui peuvent te tuer. C’est là que j’ai compris que ma mauvaise décision aurait pu me coûter la vie. »

Si Tristan a décidé de partager son histoire, c’est qu’il sait pertinemment qu’il n’est pas le seul à banaliser les médicaments vendus sur le marché noir sans prescription. « On se dit voyons ce sont des vrais médicaments vendus dans les pharmacies, mais non. Le monde qui va te dire de prendre ça, même eux, même si c’est tes amis, ils ne savent même pas ce qu’il y a dans la pilule. » 

Il enchaîne : « Je me trouve chanceux de sortir de ça sans aucune séquelle et d’être encore ici. J’ai réalisé que non, ces histoires-là n’arrivent pas qu’aux autres. La vie peut basculer en une seconde. »

Tristan Racicot invite à la prudence. « Ne soyez pas gêné d’aviser les services d’urgences si vous ne vous sentez pas bien et si pensez qu’un de vos proches ne va pas bien après avoir consommé de la drogue. Ça peut sauver une vie, ou la vôtre. »

Tristan était fâché contre sa mère lorsqu’elle a décidé d’appeler une ambulance. La vigilance de ses proches lui a pourtant sauvé la vie. Le médecin lui a répété souvent. Si Tristan était demeuré chez lui, le 13 septembre dernier, il serait, à 24 ans, décédé d’une surdose d’opioïdes. « J’aurais fait partie des statistiques. »