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Économie
Chronique |

Arrière-goût pour Pizza Salvatoré

Une fois l’erreur commise, que faire?

J’ai beaucoup de respect pour le travail des entrepreneurs, particulièrement pour les repreneurs. Non seulement ils permettent à des fleurons locaux ou nationaux de demeurer sous propriété québécoise, mais ils assurent aussi la transmission et la pérennité de notre culture entrepreneuriale. Je le répète, j’ai donc un a priori favorable envers les repreneurs, comme les cinq enfants de la troisième génération Abbatiello, qui ont repris les rênes de l’entreprise familiale en 2018.

D’ailleurs, leur succès dans l’expansion de l’entreprise est impressionnant. De 13 restaurants au moment du rachat, la fratrie Abbatiello a fait passer l’entreprise à 100 établissements en 2023. Désormais, les frères et sœurs Abbatiello visent 500 franchises d’ici 2029.

En parallèle, ils ont lancé de nouvelles franchises dans le domaine du poulet et de la crème glacée, tout en amorçant une incursion dans l’immobilier. Clairement, la fibre entrepreneuriale se transmet. Mais être bon en affaires ne signifie pas être bon en tout, surtout en matière de communication sur des enjeux sociétaux. Guillaume Abbatiello, co-président de Salvatore, vient de l’apprendre à ses dépens.

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Alors que l’entreprise mise sur une présence « authentique » et directe sur les réseaux sociaux comme pierre angulaire de sa stratégie marketing, une vidéo critiquant ouvertement le milieu culturel québécois a été publiée samedi soir sur le TikTok de l’entrepreneur. Dans cette vidéo, Guillaume Abbatiello tient des propos très durs envers ce secteur :

«Pourquoi ça ne fonctionne pas? Est-ce parce que le contenu qu’on fait, c’est de la marde? Pourquoi nos musées sont vides? Pourquoi nos salles de théâtre sont vides? Ils reçoivent déjà des millions, et des millions, et des millions, et des millions. Il n’y a personne qui s’intéresse à ce qu’ils font, eux. La seule chose qu’ils disent, c’est: “On n’a pas assez d’argent, donnez-nous plus d’argent.”»

Cette sortie a suscité de nombreuses réactions dans le milieu artistique, de Guy A. Lepage à Kim Lévesque-Lizotte, en passant par Mathieu Lacombe et Louis Morissette. Au-delà de l’homme d’affaires lui-même, c’est aussi la marque Pizzeria Salvatore et, par ricochet, l’ensemble des franchisés qui se retrouvent éclaboussés par la controverse.

Ce n’est pas la première fois qu’un entrepreneur déclenche une tempête en donnant son opinion sur des enjeux de société. Cette situation soulève plusieurs questions : est-il judicieux de commenter tous les sujets sur ses plateformes sociales? Comment une entreprise peut-elle se sortir d’une telle crise ? Voici quelques pistes de réflexion.

Rester dans sa zone de crédibilité

Je comprends l’attrait d’une stratégie basée sur l’authenticité des propriétaires d’une entreprise, mettant en avant leur quotidien et les coulisses de leur parcours. Cette approche a d’ailleurs prouvé son efficacité et s’est révélée particulièrement réussie pour la famille Abbatiello. Dans sa vidéo, Guillaume Abbatiello mentionne atteindre 83 millions de visionnements par mois, ce qui est considérable.

Cependant, plus on est visible, plus les risques sont élevés. Lorsque les porte-parole d’une entreprise s’expriment sur des sujets qu’ils maîtrisent mal, en attaquant la crédibilité d’un secteur entier, le retour de flamme est inévitable. C’est là la première erreur de M. Abbatiello : publier une vidéo dans laquelle il critique violemment les artistes et les institutions culturelles en généralisant leur situation sans réelle connaissance du milieu.

Le problème ici n’est pas d’avoir un avis, mais de l’exprimer de manière irréfléchie et virulente sur une plateforme publique. Sans lien entre son secteur d’activité et le milieu culturel ni expertise en la matière, son opinion manque de crédibilité.

Ne pas oublier ce que l’on représente

Certains diront qu’il a « bien le droit de penser ce qu’il veut », et ils ont raison. Mais lorsqu’on est l’un des visages publics d’une marque, nos propos dépassent le cadre de l’opinion personnelle.

En s’exprimant de la sorte, Guillaume Abbatiello ne parlait pas seulement en son nom, mais en celui de son entreprise. Or, cette dernière s’adresse à une clientèle variée, qui inclut des artistes et des travailleurs du milieu culturel. Critiquer publiquement ses propres clients est une erreur stratégique qui peut nuire aux affaires et ternir l’image de marque.

Être un porte-parole implique une grande responsabilité : celle d’incarner l’entreprise et d’en véhiculer les valeurs. En oubliant cela, on s’expose à des conséquences commerciales potentiellement importantes, autant pour soi que pour ses franchisés.

Réparer avec humilité

Une fois l’erreur commise, que faire?

D’abord, s’excuser. Pas pour avoir exprimé une opinion, mais pour avoir blessé des gens, en propageant des faussetés et en portant un jugement sur un milieu sans réelle connaissance du sujet. Ensuite, il faut démontrer une volonté de mieux s’informer avant de prendre position publiquement et revoir sa stratégie de communication afin d’éviter de répéter la même erreur.

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Côté entreprise, il est possible de se dissocier des propos tenus, mais cela ne suffit pas. Il faut également assurer une prise de conscience quant à la gravité de la situation et prendre des mesures concrètes pour éviter que cela ne se reproduise. Parmi les solutions envisageables :

●       Ajuster sa politique éditoriale afin de mieux encadrer les sujets abordés sur les réseaux sociaux.

●       Délimiter clairement les thématiques sur lesquelles l’entreprise souhaite prendre position.

●       Offrir une formation aux porte-parole pour qu’ils développent une meilleure compréhension des risques communicationnels.

Dans le doute… s’abstenir

Prendre position sur l’actualité pour générer de la visibilité est une tendance forte, mais aussi un exercice périlleux. Pour éviter les crises à répétition et préserver la réputation d’une entreprise, il est essentiel de se poser les bonnes questions avant de publier : par exemple, est-ce que ce sujet me concerne directement ? Est-ce que cela vaut vraiment la peine d’en parler ? Et les invités que je reçois à l’occasion dans mes micro-clips sur TikTok, partagent-ils les valeurs que je souhaite promouvoir et celles de mon entreprise ? Peuvent-ils nuire à mon image de marque ?

Et enfin, si le doute persiste, il vaut mieux s’abstenir. Aucun buzz médiatique ni des milliers de clics sur les réseaux sociaux ne valent une réputation ternie. Aucun.

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