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Pourquoi revenir à la maison lorsqu'il n'y a plus de maison?
Pourquoi revenir à la maison lorsqu'il n'y a plus de maison? C'est sans doute la question que se pose Oleksandra Verovkina.
La femme de 36 ans avait déjà rêvé de venir au Canada lorsque les forces séparatistes russes s'étaient emparées de la région du Donbass où elle habitait. Elle a abandonné cette idée en 2020 lorsque son mari Oleksi et elle ont acheté un appartement relativement neuf à Irpin, une ville située en banlieue de Kyiv. C'était leur première propriété.
«Quand nous nous sommes installés à Irpin, je suis tombée amoureuse de la ville. C'était merveilleux, se souvient-elle. On pouvait y ressentir un esprit communautaire.»
Mais la famille n'y vit plus.
Au petit matin du 24 février 2022, Oleksandra a été réveillée par la sonnerie de son téléphone. Émergeant de son sommeil, elle a entendu des explosions au loin.
«Quand nous nous sommes réveillés, on a commencé à entendre les bombes, les combats, les hélicoptères», raconte-t-elle.
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C'étaient les Russes. Venant du Belarus, des blindés se dirigeaient vers Kyiv. Les bombardiers ont frappé le pays dès les premières heures de l'invasion.
L'appel venait de son frère. Il lui demandait ce qu'elle avait l'intention de faire. Elle ne le savait pas.
Son mari et elle ont quitté la maison en emportant quelques produits de première nécessité: articles de toilette, quelques vêtements, des jouets et des livres pour leur fils Danylo. Le chandail préféré d'Oleksandra était dans la laveuse. Elle l'a laissé là.
Tous deux savaient que le voyage serait long. Ils ont précipité leur départ quand ils ont entendu des bombes s'abattre sur un hôtel non loin de chez eux.
«Nous avons eu peur», reconnaît Oleksandra. Son mari lui a dit se s'en aller à 19h, ce soir-là, direction Khmelnytskyï, dans le sud-ouest de l'Ukraine, là où habite la compagne de son frère. Un trajet de 12 heures dans la circulation lourde.
Avant de partir, la femme est revenue rapidement à l'intérieur du logement pour sortir les vidanges. Elle ne voulait pas que son domicile pue au retour.
Elle n'a même pas jeté un dernier regard lorsque la famille s'est mise en route.
Un an plus tard, l'odeur des pins se mêle à celle du métal brûlé et des cendres. Le toit est disparu. Des débris jonchent le sol.
Pendant le mois suivant, la famille Oleksandra est demeurée chez la compagne de son frère. Six personnes se sont entassées dans un deux-pièces. La nuit, après la fin de l'alerte aérienne, elle s'endormait dans le corridor en compagnie de son fils, le plus loin possible d'une fenêtre.
Comme les troupes russes ont occupé Irpin, le retour à la maison était impossible.
Mais Oleksandra n'était pas alors prête à quitter l'Ukraine. Les hommes âgés de 18 à 60 ans devant demeure au pays en vertu de la loi martiale, elle ne voulait pas partir sans son mari.
«Je pensais qu'il valût mieux que nous restions en famille», dit-elle.
Toutefois, dès qu'Oleksi eut appris que les réfugiés ukrainiens étaient admissibles à un visa temporaire canadien d'une durée de trois ans, il s'est débrouillé pour obtenir les formulaires de demande.
Oleksandra a rempli le formulaire dès le premier jour du programme. Elle a reçu l'approbation immédiate des autorités canadiennes pour son fils et elle. Moins d'une semaine plus tard, tous deux ont pris la direction de la Roumanie.
Et le 26 mars 2022, elle a appris que son appartement tant-aimé à Irpin n'existait plus. Il avait été détruit par un incendie.
Et même si l'armée ukrainienne est parvenue à libérer la ville, Oleksandra était confortée dans sa décision de s'enfuir du pays.
«Nous n'avons plus rien en Ukraine», se désole-t-elle.
Aujourd'hui, elle loue une maison à Ottawa. Elle y habite avec son fils, ses parents et un ami. Oleksi est demeuré à Kyiv où il compte trouver un emploi avant de rejoindre sa famille au Canada.
Tous deux se parlent deux fois par jour.
Même si Oleksandra accepte ce qui s'est passé, elle a toujours un pincement au cœur lorsqu'elle voit ce que son appartement est devenu.
«Ça semble horrible, dit-elle calmement en regardant des photographies et des vidéos récemment prises à Irpin par La Presse Canadienne. Je voudrais pleurer en regardant cela. Les gens ont travaillé fort pour acheter ces appartements. Et vlan! Tout est disparu.»
Les travaux de reconstruction ont commencé à Irpin, mais dans le quartier où Oleksandra vivait, les immeubles semblent condamnés de façon irrémédiable. Et les signes de la violence qui a frappé la ville l'an dernier, demeurent bien visibles, notamment les cratères créés par les bombes.
Oleksandra s'ennuie parfois de son ancienne vie. Parfois, ce sont les petites choses qui lui manquent le plus, comme son douillet chandail avec un logo de la NASA, celui qu'elle a oublié dans sa lessive.
Elle n'arrive pas à imaginer son retour pour le moment. Elle craint que l'endroit soit dangereux pour son fils, une retombée de la guerre.
La jeune femme est en train de refaire sa vie à Ottawa.
«Je me sens comme une Canadienne», lance-t-elle. Elle croit que son fils et elle peuvent s'ajuster à leur nouvel environnement sûr.