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Il n'y a «aucune preuve» qu'il y a des traîtres au Parlement, a-t-on conclu aussi dans le rapport final.
Le gouvernement fédéral peut changer, d’ici aux prochaines élections, la façon dont il s’attaque aux menaces d’ingérence étrangère, en s'assurant, notamment, d'éviter d'être submergé de rapports confidentiels auxquels aucune suite n’est donnée en temps opportun.
Dans son rapport final de la Commission sur l'ingérence étrangère, la juge Marie-Josée Hogue blâme, en particulier, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRC).
Son partage d’information «parfois problématique» à l’intérieur de l’appareil gouvernemental contribue, ultimement, à faire d’Ottawa un «mauvais communicateur» auprès du public, tranche la commissaire dans le volumineux document déposé mardi.
«Très imparfait même puisque certains rapports ne se sont tout simplement jamais rendus là où ils devaient se rendre sans qu'on puisse comprendre exactement pourquoi», a-t-elle déclaré en clôturant 18 mois de travaux.
L’une des «failles» identifiées par la commissaire Hogue découle de l’absence, au sein du SCRS, «d’un système uniforme pour déterminer ce qu’il pense être le niveau d’importance» à accorder à un rapport de renseignement ou un autre.
Elle note en outre que plusieurs témoins entendus ont demandé plus de concision dans les rapports, qui se doivent d'être rédigés de façon moins technique.
De plus, la fiabilité, ou non, des éléments d’information colligés par le SCRS auprès de ses sources n’est pas assez clairement exposée dans les documents, estime la juge.
«La pratique actuelle, qui consiste à répéter la même longue liste de mises en garde générales dans chaque rapport, rend ces avertissements trop faciles à ignorer avec le temps», écrit la commissaire.
Les recommandations de la juge sont rendues publiques en pleine course à la direction au Parti libéral du Canada (PLC), et possiblement à quelques semaines d’une élection générale au pays.
Dans le communiqué accompagnant son rapport, la commission d'enquête signale que «plusieurs (recommandations) ne nécessitent pas de changement législatif et pourraient être mises en place avant les prochaines élections fédérales».
Comme dans son rapport préliminaire publié en mai dernier, Mme Hogue affirme que les activités d’ingérence menées par la Chine n’ont pas eu d’incidence sur les résultats globaux des deux dernières élections générales au Canada, mais qu’elle ne peut exclure que cela ait eu un effet «sur le résultat d’une course à l’investiture ou sur le résultat d’une élection dans une circonscription donnée».
«Rien ne démontre que nos institutions aient été gravement affectées par une telle ingérence ou que des parlementaires soient redevables de leur élection à des entités étrangères, ajoute-t-elle. Bien que toute tentative d’ingérence soit troublante, je suis rassurée par l’impact minimal que de tels efforts ont eu jusqu’à présent.»
La juge revient aussi sur le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) ayant suscité un tollé puisqu'il notait que des élus aidaient «sciemment» ou «semi-sciemment» des États étrangers dans leurs efforts d’ingérence.
La juge évalue que «certaines conclusions» de ce rapport ayant fait coulé beaucoup d'encre étaient «plus définitives que ce que le renseignement sous-jacent pouvait soutenir».
«Si certains comportements peuvent être préoccupants, je n’ai pas vu de preuve indiquant la présence de "traîtres" au Parlement», écrit-elle, jugeant la consternation «injustifiée».
Mme Hogue insiste sur «les fragilités du renseignement» qui rendent «dangereux» de s’y fier sans réserve, et ce, «en particulier» lorsqu’il est question de suggérer des inconduites. «Le renseignement ne devrait jamais être traité, ou rapporté, comme s’il s’agissait de faits incontestables», écrit-elle.
Et à tous ceux – dont le chef de l’opposition Pierre Poilievre – qui ont par la suite appelé à ce que le gouvernement publie la liste des parlementaires soupçonnés de travailler dans l’intérêt d’un État étranger, Mme Hogue leur répond que le rapport classifié n’en contient pas.
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Or, les préoccupations concernant des parlementaires ont occupé beaucoup de place dans le discours public, mais «la menace que représente la désinformation sur la démocratie en général est encore plus sérieuse», tranche la commission.
Selon la juge, c’est en fait «la plus grande menace» à la démocratie canadienne.
Elle explique que les acteurs étrangers y ont recours «abondamment» et, en particulier, sur les médias sociaux. Or, les moyens pour la contrer «ne sont pas légion et sont très difficiles à mettre en œuvre».
Dans ses recommandations, elle suggère notamment que le gouvernement envisage d’exiger que les organes d’information et les médias sociaux étiquettent les contenus modifiés, et de contribuer au développement d’un outil public pour aider les citoyens à vérifier si le contenu numérique est fabriqué ou modifié.
La juge estime aussi que le gouvernement devrait soutenir les médias professionnels, y compris les médias locaux et en langue étrangère, tout en préservant leur indépendance et leur neutralité.
Dans son rapport final, la commissaire insiste à nouveau sur la nécessité, selon elle, que toutes les formations politiques se prémunissent des tentatives d’ingérence, en particulier pour les investitures et les courses à la direction.
«Le gouvernement devrait préparer un guide sur les meilleures pratiques contre l’ingérence étrangère, spécialement conçu pour les partis politiques et leurs processus, recommande-t-elle. Ce guide pourrait, par exemple, couvrir des sujets tels que les risques d’ingérence étrangère impliquant l’utilisation d’appareils personnels, l’interaction avec des fonctionnaires étrangers et les voyages à l’étranger.»
Dans la même veine, Mme Hogue tranche que «les dirigeants de tous les partis politiques (…) devraient être encouragés à voir la possibilité d’obtenir une autorisation de sécurité de niveau ‘’très secret’’», ce qui permet de consulter des informations sensibles sur la sécurité nationale en échange d’une promesse de garder celles-ci confidentielles pour toujours.
Le chef conservateur Pierre Poilievre est le seul actuel chef de parti fédéral à avoir refusé de se doter d’une telle cote de sécurité. La commissaire ne va toutefois pas jusqu’à recommander une «obligation» qui toucherait ce dernier. «Si un chef de parti ne dispose pas d’une autorisation de niveau ''Très secret'', il pourrait envisager de déléguer une partie de son autorité et de ses prérogatives à un représentant disposant d’une autorisation de sécurité», nuance la juge.