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On fait quoi, d’ordinaire, dans un monde injuste? On se révolte.
Lors d’une émission radio de 2023, je soulève la probabilité prochaine d’une pétarade collective aux É.-U. Après les éclats de rire bon enfant, on me regarde d’un air ahuri, style merlan frit.
— Ben voyons! T’es pas sérieux?
— Tous les indicateurs sont au rouge, pourtant.
— Ben voyons, pas les É.-U. On s’énervait solide, pendant le premier mandat de Trump, et au final, rien de bien grave n’est arrivé.
— A-t-on déjà vu un président sortant, ayant perdu lors des élections, lancer une émeute contre le Capitole?
— C’est grave, c’est sûr, mais de là à prédire une guerre civile…
Deux ans après l'entrevue en question, je confesse ceci : si je souhaitais mon hypothèse (inutilement) apocalyptique et farfelue, celle-ci gagne maintenant, dans mon humble coco, quotidiennement du terrain. Et pas seulement parce que Trump lui-même banalise, au gré de ses humeurs, le concept même.
Plutôt parce que, d’abord, l’histoire des dix dernières années enseigne qu’aucun obstacle ne résiste au char d’assaut de l’absurdité. Qui, en 2014, prédisait — sans rire — la première victoire de Donald? Qui aurait parié qu’il s'extirperait, sans égratignure, des 91 chefs d’accusation criminelle portés contre lui? Qui annonçait le sérieux de ses plans d’annexion du Panama, Groenland et Canada? Qui voyait venir une guerre tarifaire impliquant des… pingouins? Un changement de paradigme absolu et complet, bref, assassinant morale, décence et rationnel.
Ensuite, parce que l’esprit vengeur et conquérant trumpiste n’a d’égal la propension au mensonge pathologique du principal intéressé. Désorganisés lors de son premier mandat, son entourage et lui-même éviteront une deuxième ronde d’amateurisme. Pour ce faire, donc, la confection du Project 2025, plan de match parfaitement fasciste prévoyant le musellement ou mise à mal de tout contre-pouvoir institutionnel. Il s’agira, dès l’accession à la Maison-Blanche, d’en appliquer les moindres contours avec une discipline dictatoriale (dans tous les sens du terme). On remplacera les compétents par des béni-oui-oui aux postes pourtant névralgiques, côté forces, enquêtes et répressions (FBI, CIA, Défense, Renseignement national, Sécurité intérieure, etc.), et idem pour les procureurs fédéraux osant tenir tête au Grand Boubou et ses sbires.
Enfin, parce que les conséquences délétères et catastrophiques de ce qui précède sont déjà visibles à l’œil nu: effondrement des contrepoids, déportations inconstitutionnelles, exclusion des minorités sexuelles, raciales et religieuses, mise au ban de la dissidence et explosion stratosphérique des fractures socio-économiques avec, en filigrane, un système de justice s’effondrant chaque jour davantage.
Et on fait quoi, d’ordinaire, dans un monde injuste? On se révolte. Initialement de façon pacifique, comme ce week-end. Plus de 1400 manifestations à travers le pays, dans absolument chacun des 50 États. Des millions de participants refusant la fascisation du régime, rejetant l’oligarchie trumpiste et ses iniquités. D’une mirifique beauté. De la résistance, enfin.
Sauf que cette dernière, tristement, se veut bien fragile. Suffit de constater, à cet égard, l’empirisme des récentes semaines: déportations vers le goulag salvadorien et autres, arrestations masquées et en civil des macaques du ICE, emprisonnements arbitraires de touristes ou militants pro-Palestine, annulation de conférences universitaires et violations assumées d’ordonnances judiciaires.
En bref, pour qu’une résistance porte ses fruits, encore faut-il qu’elle puisse s’opérer dans un cadre constitutionnel respecté des autorités. Il en va, bien entendu, de la démocratie. Dans le cas contraire, la seule dissidence possible résidera donc, par définition, à même la violence.
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Selon la professeure Barbara Walters — autrice de How Civil Wars Start and How to Stop The Them — la prochaine guerre civile aux É.-U. se pointe aux horizons, les deux principales conditions à son avènement étant déjà réunies: 1) une anocratie, soit une démocratie affaiblie par la perte des contre-pouvoirs classiques; 2) l’exclusion identitaire: «aucun président républicain des 50 dernières années n’a présenté une plateforme autant raciste, glorifiant l’Homme blanc évangéliste au détriment de tout le reste.»
Difficile, là-dessus aussi, de s’obstiner avec Walters.
Alors quoi? Quel espoir? Que la force du nombre se manifeste, comme ce week-end, avant que l’autoritarisme ne prenne officiellement le dessus. Une course contre la montre, en quelque sorte.
Inquiétant, sachant la pétarade à portée de main, l’Oncle Sam regorgeant d’ailleurs de beaux guns: 120,5 pour chaque 100 habitants.
Comme le disait Victor Hugo: dans une guerre civile, la victoire même est une défaite.
C’est à se demander si les É.-U. et l’Occident n’ont pas déjà, en plus d’un sens, perdu.
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