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Un infirmier dit qu'il ne savait pas dans quoi il s'embarquait avant de quitter son pays d'origine.
Les infirmières étrangères recrutées au Québec dans le cadre d'un programme du gouvernement provincial ont rencontré des «obstacles majeurs» à leur arrivée, notamment le manque de logement, de places en garderie et de transport, selon un rapport interne.
Un programme de formation rigide, le choc culturel et la peur de l'échec ont causé un stress important chez les recrues, indique le rapport produit par le ministère de l'Immigration. Il suggère qu'elles n'étaient pas correctement informées des exigences du programme ni de la réalité de la vie au Québec.
L'initiative de 65 millions $, annoncée en 2022, vise à faire venir 1500 infirmières étrangères au Québec d'ici 2028 pour travailler dans les régions où sévit une grave pénurie d'infirmières. Les candidates reçoivent une formation dans des cégeps, financée par le gouvernement, et sont rémunérées 500 $ par semaine.
Toutefois, le rapport de novembre 2024 sur la première phase du programme, obtenu grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, dresse le portrait d'un projet mal organisé qui n'a pas préparé les infirmières étrangères à ce qui les attend lorsqu'elles ont quitté leur foyer pour venir au Canada.
«Rapidement lors du démarrage de la phase 1, des obstacles majeurs pour l’installation des participants ont été rencontrés», peut-on lire dans le rapport.
«Dans la majorité des régions, les participants au projet ont dû faire face à des enjeux qui ont complexifié leur intégration et qui ont pu avoir un impact négatif sur leur pleine participation à la formation d’appoint», est-il écrit.
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Un infirmier qui a parlé du programme à La Presse Canadienne a déclaré qu'il ne savait pas dans quoi il s'embarquait avant de quitter son pays d'origine, situé en Afrique, en juin 2023. Il a requis l'anonymat par crainte de représailles.
Il a indiqué que le gouvernement du Québec avait décrit le programme comme une «formation de mise au point» et qu'il ne s'attendait pas à la lourde charge de cours de plusieurs mois destinée à harmoniser l'expérience des infirmières étrangères avec les normes québécoises.
«On était traités comme des enfants. (…) La bonne information ne nous a pas été révélée», a déploré celui qui a obtenu son diplôme d'infirmier dans son pays d'origine en 2019.
Le rapport interne fait état de plusieurs problèmes d'installation des infirmières dans diverses régions du Québec, souvent éloignées des centres urbains. Trouver un logement abordable était un défi, surtout pour celles qui arrivaient avec jusqu'à cinq enfants. Le manque d'antécédents de crédit les désavantageait encore davantage, indique le rapport.
En Gaspésie, des unités modulaires ont finalement été construites pour loger certaines infirmières étrangères.
Le manque de places en garderie a contraint les conjoints de certaines recrues à rester à la maison pour s'occuper des enfants. De plus, plusieurs régions ne disposent pas d'un réseau de transport en commun performant, ce qui a obligé les infirmières à obtenir un permis de conduire québécois et à acheter une voiture, une dépense imprévue pour certaines.
«Ces enjeux (…) ont fait ressortir l’importance de présenter un portrait honnête des coûts et défis liés à la vie au Québec et dans la région de destination», est-il indiqué dans le rapport.
Le gouvernement a finalement dépensé environ 16 millions $ pour la première phase du programme, soit environ 77 000 $ pour chacune des 207 infirmières recrutées.
«Je ne comprends pas pourquoi ces enjeux n'ont pas été correctement pris en compte lors de l'élaboration de ce programme», a dénoncé le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Niemi.
Le rapport dévoile des difficultés liées au programme de formation lui-même, d'une durée de neuf à quatorze mois, soulignant que la pénurie de main-d'œuvre dans le système de santé rendait difficile la recherche d'enseignants et de superviseurs de stage.
Le document rapporte également que les étudiants ressentaient un stress intense face à la perspective de l'échec. Si les recrues échouent à un cours, elles sont expulsées du programme et perdent l'accès au soutien financier, y compris le travail à temps partiel comme aide-soignante inclus dans le programme. En théorie, elles peuvent se réinscrire, mais en attendant que les cours soient à nouveau offerts, elles ne sont pas autorisées à travailler, une situation qui peut durer des mois.
L'infirmier qui s'est entretenu avec La Presse Canadienne a échoué un stage du programme en juin 2024. Il a pu se réinscrire en janvier, mais entre-temps, il a dû emprunter de l'argent à des amis pour payer son loyer et faire l'épicerie.
Selon lui, les conséquences d'un échec n'avaient pas été clairement expliquées avant son arrivée. S'il avait su comment le programme fonctionnait avant de venir au Canada, il n'aurait pas quitté son pays.
«Je ne suis pas heureux, a-t-il confié. Au moins, (dans mon pays d'origine), j'avais ma famille — mes frères, mes sœurs. (…) Mais ce n'est pas le cas ici au Canada. Je n'ai pas d'argent à envoyer ou pour faire quelque chose, parce que l'argent que j'ai, c'est pour l'épicerie.»
En réponse à la demande d'accès à l'information, le gouvernement a également diffusé les rapports de chacun des cégeps ayant participé à la première phase du programme. Les documents détaillent une multitude de défis, notamment une lourde charge de travail et un programme de formation intensif que de nombreuses recrues ont trouvé insurmontable.
Les collèges ont constaté que de nombreuses infirmières étrangères ont vécu un choc culturel, et que certaines ont eu du mal à s'adapter au vocabulaire et à l'accent français parlés au Québec. Un cégep a noté que les discussions autour de l'avortement et de l'aide médicale à mourir «créaient des tensions émotionnelles et éthiques» chez certains étudiants.
«Le rythme académique soutenu et les grandes conséquences en cas d’échec ont fait vivre un grand stress aux étudiants», est-il mentionné dans le rapport.
Malgré les difficultés, la plupart des infirmières étrangères réussissent le programme de formation. Xavier Daffe-Bordeleau, porte-parole du ministère de l'Immigration, a indiqué qu'à la fin février, 867 personnes avaient réussi la «formation de remise à niveau», dont plus de 90 % des étudiants des deux premières phases.
La cinquième phase du programme est en cours, et le gouvernement espère atteindre son objectif de recruter 1500 infirmières d’ici 2028.
Le porte-parole du ministère a également dit que la plupart des étudiants des phases suivantes ont reçu une offre de logement avant leur arrivée au Canada.
«Forts de l’expérience acquise lors des cohortes précédentes, les efforts combinés à l’accompagnement des personnes dès l'étranger plusieurs mois avant leur arrivée ont permis de minimiser les embûches liées aux démarches d’installation», a souligné M. Daffe-Bordeleau dans un courriel.
Le cabinet du ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, n’a pas répondu aux demandes de commentaires.