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Le premier ministre est convaincu d'avoir fait le bon choix en invoquant la loi sur les mesures d'urgence. «Nous voyions des camions utilisés comme des armes potentielles; l’usage d’enfants comme boucliers humains.»
Dernier témoin de la Commission Rouleau, Justin Trudeau s’est dit «serein» d’avoir invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022 pour déloger le «convoi de la liberté» des rues d’Ottawa, parce que la menace envers la sécurité nationale le justifiait.
Dans le cadre de la dernière journée de cette commission d’enquête sur le recours à cette loi, le premier ministre a utilisé la définition de menace employée dans la législation.
«Nous devions déterminer si la situation menaçait la sécurité nationale, a-t-il expliqué. Si nous regardons la définition de menaces pour la sécurité du Canada dans la loi, on retrouve le point sur "les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger".»
Selon ses souvenirs des événements, ce seuil de menace avait été atteint à Ottawa, parce qu’il voyait «des camions utilisés comme des armes potentielles, l’usage d’enfants comme boucliers humains», de la résistance contre l’application des lois par les policiers et des «rumeurs de blocus» partout à travers le Canada.
«Il y avait de réelles menaces de violences et l’information que nous recevions nous laissait croire qu’il n’y aurait pas d’amélioration de la situation. […] Il fallait plus qu’un plan pour libérer la circulation; il fallait prévenir une escalade de la situation», a-t-il déclaré, écorchant un peu au passage les plans de contrôle de la situation évoqués par les autorités policières.
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Ceci dit, le premier ministre a confirmé que le seuil d'état d'urgence culminant à une crise nationale tel que défini Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n'avait pas été complètement atteint.
Le directeur du SCRS, David Vigneault, l'avait souligné dans son propre témoignage devant la Commission sur l'état d'urgence présidée par le juge Paul Rouleau. Il avait spécifié qu'il était convaincu qu'une «menace envers la sécurité du Canada» devait être interprétée différemment dans le contexte qui s'est vu et qu'il était d'accord avec le recours à la Loi sur les mesures d'urgence.
Dans un communiqué, l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a déclaré avoir vu dans le témoignage de M. Trudeau une admission que «le seuil requis pour invoquer la Loi sur les mesures d'urgence ne devrait pas être inférieur à celui utilisé par le (SCRS)».
Voyez le récapitulatif du journaliste Chris Nardi avec l'animatrice Sabrina Rivet au bulletin Noovo Le Fil 17 dans la vidéo.
«Le fait que le premier ministre l'ait admis aujourd'hui confirme que le seuil à partir duquel il est possible de restreindre sérieusement les libertés civiles au nom de l'ordre public est élevé. L'ACLC maintient que ce seuil n'avait pas été atteint», a-t-on plaidé.
Lorsque contre-interrogé par une avocate de l'ACLC, le premier ministre a indiqué qu'on lui avait parlé du plan la police d'Ottawa, au moment où il devait décidait d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence, mais qu'il ne l'avait pas vu de ses propres yeux. Les politiciens ne peuvent s'ingérer dans les décisions opérationnelles de corps policiers.
M. Trudeau a, plus tard, noté qu'il avait consulté le plan par après. Un avocat travaillant pour la Canadian Constitution Foundation venait de soutenir que le document comme tel ne pouvait pas être lu puisque noirci — ou caviardé — selon ce qui a été soumis devant la commission.
Une crainte entendue dans certaines critiques est que, maintenant que cette Loi sur les mesures d'urgence a été utilisée une fois, elle le soit à tout vent dans le futur. Mais Trudeau s’est défendu d’avoir eu recours à cette loi promulguée en 1988 sans raison valable et a décrit tout le soutien qu’il avait obtenu de son entourage politique dans les discussions qui ont mené au décret.
«C’était gros. Ça n’était jamais arrivé au Canada auparavant. Nous n’avons pas pris ce choix à la légère. Le système des services public en entier en était venu à la conclusion d’aller de l’avant. Ceci était essentiel à mes yeux», a-t-il témoigné.
Le premier ministre a précisé au passage que l'unanimité n'est pas légalement requise en pareille situation, mais que, dans ce cas, il y avait «un niveau de confort et de consensus». Il a ajouté que si une voix s'était objectée à la table du Groupe d'intervention en cas d'incident, il l'aurait prise en considération, martelant que cela n'a pas été le cas.
Il a spécifié que c'est au lendemain, le 14 février, que la décision définitive a été prise sur recommandation de la plus haute fonctionnaire, Janice Charette, soit peu de temps avant le moment de l'annonce.
«Je me suis demandé, au moment de la signature du décret: qu’est-ce qui se produit si je ne signe pas?» a raconté le premier ministre.
«Qu'arriverait-il si je décidais d’attendre quelques jours supplémentaires, pour voir si nous avions vraiment besoin de le faire? Et si des gens avaient été blessés pendant cette courte période?» a-t-il continué.
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Le premier ministre a aussi eu à répondre à des critiques de membres et sympathisants du mouvement de protestation, une avocate avançant qu'il avait qualifié les personnes non vaccinées contre la COVID-19 de racistes et misogynes.
Il s'est défendu de les avoir insultés en leur affublant de pareilles étiquettes. «J'ai souligné qu'il y a une différence entre ceux qui hésitent à se faire vacciner pour toute une panoplie de raisons et ceux qui répandent délibérément de la désinformation», a-t-il répondu.
La commission, présidée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau, se penche sur le fondement de la décision du gouvernement Trudeau d'invoquer cette loi de dernier recours, en février dernier, pour mettre fin aux manifestations qui ont paralysé le centre-ville d'Ottawa.
Des participants et sympathisants du «convoi de la liberté» ont aussi bloqué le pont Ambassador reliant Windsor, en Ontario, à Détroit, dans l'État américain du Michigan, mais la voie a pu être libérée par une opération policière avant que les pouvoirs exceptionnels d'urgence soient décrétés par le fédéral.
Tout au long de la semaine, une brochette de ministres ont tour à tour défendu l'emploi de cette pièce législative pour une première fois dans l'histoire du pays, mais les avis juridiques sous-tendant la décision n'ont pas été divulgués.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a notamment fait jeudi un lien direct entre la sécurité économique et celle de tout le Canada, au sens plus large. Les dispositions d'urgence ont permis de geler environ 280 comptes bancaires dans un effort pour fermer le robinet au financement du «convoi de la liberté».
De hauts conseillers de M. Trudeau, comme sa cheffe de cabinet Katie Telford, ont aussi témoigné.
Le juge Rouleau doit remettre son rapport final au plus tard le 6 février prochain, conformément à des dispositions incluses dans la Loi sur les mesures d'urgence. Cette commission d'enquête a aussi été déclenchée puisqu'elle est légalement requise, de même qu'un examen parlementaire aussi en cours.
Les déclarations du premier ministre Trudeau:
9h39 | «On s'attendait un peu à ce genre de rhétorique des manifestants.»
9h41 | «On a pu consulter les Canadiens directement sur les mesures qu’on voulait amener pour la santé publique, spécifiquement les mesures de vaccination pour embarquer dans un train et un avion, ou travailler dans la fonction publique. C’était important que les Canadiens se prononcent sur ce dossier. C’était tout à fait approprié qu’on ait des débats robustes à travers le pays sur ces enjeux. C’est ce qui s’est passé pendant la campagne électorale. Ce que mon équipe a vu, c’était un niveau de frustration ou d’agression, ou d’intensité d’émotion par rapport à ce que nous proposions, qui était pire que tout ce qu’on avait vu dans d’autres campagnes électorales.»
9h46 | «Ça a perturbé la communauté d’une façon différente qu’on voit dans une manifestation habituellement, de l’intimidation jusqu’à l’histoire de gens qui ont perturbé les activités d’une banque alimentaire.»
9h50 | «Nous ne voulions pas provoquer, mais nous devions être fermes. Nous devions nous assurer de soutenir et protéger les gens qui vivent dans la ville, sans inciter de réaction qui aggraverait la situation.»
9h55 | «Il y avait des attentes que le gouvernement fédéral fasse cesser cette manifestation. Nous expliquions que ce n’était pas notre responsabilité, mais bien celle de la police d’Ottawa, parce que c’était leur juridiction.»
10h02 | «Nous avons une démocratie robuste et les manifestations servent aux Canadiens pour passer leurs messages. Mais il y a une différence entre une manifestation et l’occupation potentiellement dangereuse.»
10h06 | «Le deuxième week-end, nous espérions une diminution d’activité; au lieu, on a vu une augmentation. Le départ espéré de manifestants ne se matérialisait pas, on sentait que l’occupation continuait. Les citoyens d’Ottawa étaient très fâchés d’avoir à vivre un autre week-end de la sorte.»
10h16 | «Oui, il y avait un peu de frustration [en ce qui concernait l’inaction de Doug Ford, premier ministre ontarien].»
10h18 | «Le problème, c’est que la police provinciale aurait pu prendre des mesures plus fortes. S’ils sentaient qu’ils manquaient d’outils, nous leur disions que nous pouvions leur donner des ressources.»
10h21 | «Ça ne pouvait plus continuer. Cela durait depuis trop longtemps. On sentait que la police locale ne pouvait plus contrôler la situation.»
10h38 | «Quand nous regardions toutes les options, oui, le recours à la Loi sur les mesures d’urgence trottait dans nos esprits. Nous avions dépoussiéré ce recours avec la pandémie. [...] Nous trouvions qu’il y avait plusieurs autres choses à faire avant d’y avoir recours. [...] La Loi sur les mesures d’urgence ne fait rien en soi, mais cela nous permet de prendre des mesures spéciales et temporaires pour traiter une situation. [...] Avant d’avoir recours à cette loi, la question était de savoir quels outils nous pouvions utiliser par l’entremise de ce recours que nous ne pouvions pas utiliser autrement.»
10h42 | «Oui, on devait mettre fin aux occupations illégales, mais il fallait aussi garder les manifestants à distance jusqu’à ce que la situation se calme. […] On a discuté de toutes nos options et il semblait plutôt mal clair que la situation était devenue si urgente qu’on devait agir, et que l’outil qu’on avait pour agir, c’était la Loi sur les mesures d’urgence.»
10h47 | «Nous devions déterminer si la situation menaçait la sécurité nationale. Si nous regardons la définition de menaces pour la sécurité du Canada dans la loi, on retrouve le point sur "les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger".»
10h53 | «Nous voyions des camions utilisés comme des armes potentielles; l’usage d’enfants comme boucliers humains; nous ne savions pas ce qu’il y avait dans les camions; nous avions des inquiétudes sur des armes volées à Peterborough en Ontario; l’application des lois par les policiers rencontrait de la résistance. […] Il y avait des couches de danger qui surgissaient. […] Nous voyions des contre-manifestations, des grand-mères qui tentaient d’empêcher des gens de rejoindre le "convoi de la liberté". Il y avait de réelles menaces de violences et l’information que nous recevions nous laissait croire qu’il n’y aurait pas d’amélioration de la situation. Nous entendions des rumeurs de blocus [partout à travers le Canada].»
10h56 | «Il fallait plus qu’un plan pour libérer la circulation; il fallait prévenir une escalade de la situation.»
11h02 | «Je n’avais pas besoin de l’unanimité pour déterminer si nous allions de l’avant, mais il y avait un consensus autour de la table pour le faire. Avec le cabinet des ministres, le 13 février [2022], nous avons présenté les conditions pour activer la loi et parlé longuement des outils qui permettraient de, nous l’espérions, mettre fin à cette situation, des outils auxquels nous n’aurions pas eu accès autrement. Tous les ministres qui voulaient parler l’ont fait et nous sommes sortis avec un consensus. Nous n’avons pas décidé d’invoquer la loi, mais j’ai pu entendre un niveau de confort pour procéder avec les prochaines étapes vers l’invocation de la loi.»
11h06 |«[Le 14 février 2022], j’ai entendu les premiers ministres provinciaux sur cette situation qui les affectait tous. À la fin de cette rencontre, j’ai contacté les leaders de l’opposition et les ai consultés sur ce que j’étais sur le point de faire, leur ai demandé leur soutien, puis je me suis préparé pour une annonce cet après-midi-là.»
11h12 | «Si quelqu’un, quelque part, m’avait dit que je n’avais pas besoin d’outils pour forcer les camionneurs à quitter, si quelqu’un m’avait convaincu que d’autres lois auraient été suffisantes pour répondre à cette urgence, nous n’aurions pas atteint le seuil de menace à la sécurité nationale nécessaire à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.»
11h22 | «C’était gros. Ça n’était jamais arrivé au Canada auparavant. Nous n’avons pas pris ce choix à la légère. Le système des services publics en entier en était venu à la conclusion d’aller de l’avant. Ceci était essentiel à mes yeux. Je me suis demandé, au moment de la signature : qu’est-ce qui se produit si je ne signe pas? Si je décidais d’attendre quelques jours supplémentaires, pour voir si nous avions vraiment besoin de le faire? Et si des gens avaient été blessés pendant cette courte période? […] La responsabilité d’un premier ministre est de prendre des décisions difficiles. L’avis du cabinet des ministres et du système de services publics était de poser un geste pour préserver la sécurité des Canadiens. Je suis absolument serein et sûr d’avoir pris la bonne décision.»
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Avec de l'information de La Presse canadienne