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La grève illimitée, qui a commencé le 23 novembre, touche particulièrement les femmes. Voici quelques-unes de leurs confidences.
La grève illimitée, qui a commencé le 23 novembre, touche particulièrement les femmes : elles représentent 80 % du personnel scolaire au Québec*. Elles se retrouvent à la rue, à piqueter, se serrant non seulement les coudes, mais aussi le portefeuille.
Je les vois sur la rue et je klaxonne. Je leur souris, leur envoie la main, baisse ma fenêtre pour leur lancer des mots d’encouragement. Mais lorsque je me retrouve à la prochaine intersection, arrêtée au feu rouge, je mords les lèvres : comment vont-elles ? Qu’est-ce qui se passe chez elles ? Comment entrevoient-elles les Fêtes ?
Privées de salaire et sans fond de grève, bien des enseignantes en arrachent. Il faut défaire cette idée préconçue de profs qui gagnent des salaires faramineux et qui profitent de vacances infinies…
La vérité, c’est que les enseignantes ne sont pas suffisamment payées. En fait, selon les données de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), elles gagnent en moyenne 16 000 $ de moins que leurs homologues canadiennes après 5 à 10 ans d’expérience.
Elles pigent dans leur argent personnel pour acheter du matériel pour leurs classes, des livres, du mobilier, des affiches, des jeux, des outils pédagogiques…
Face aux négociations qui traînent et aux journées de grève qui s’étirent, sans savoir quand et comment cela se règlement, je suis allée à la rencontre d’une dizaine d’entre elles, ces derniers jours. À noter que pour des questions de dignité et par craintes de jugements ou de représailles, elles m’ont demandé de témoigner sous le couvert de l’anonymat.
Voici quelques-unes de leurs confidences.
«J’ai repoussé tous les paiements hebdomadaires que je pouvais. J’ai pris un arrangement de paiement pour mon loyer de décembre, mon remboursement de prêt étudiant et pour mes assurances habitation. Cette semaine, je fais appel à un organisme pour recevoir une épicerie gratuite.» — Lydia, 38 ans, mère soloparentale de deux garçons de 4 et 8 ans, et enseignante en adaptation scolaire en Outaouais
«Je me rends dans les banques alimentaires. Ça me permet de sauver 200 à 250 $ par semaine et cet argent, je peux le mettre sur mes factures d’Hydro et d’internet. J’ai coupé sur les restaurants et les sorties, je n’achète plus de repas de type prêt-à-manger. C’est sûr que la situation ne fait qu’augmenter mon anxiété financière.» — Vanessa, 46 ans, mère de deux garçons de 14 et 18 ans, et enseignante au premier cycle depuis 23 ans sur la Rive-Nord de Montréal
«Mon conjoint travaille aussi dans le milieu scolaire donc nous sommes tous les deux en grève, sans salaire. Nos voisins nous ont donné un coup de main en nous offrant des cartes-cadeaux pour faire l’épicerie. Nous réduisons toutes les dépenses superflues et on limite nos déplacements. Ma fille aînée a commencé à travailler et elle souhaite nous aider financièrement… Je ne serai pas en mesure de mettre quoi que ce soit sous le sapin cette année.» — Julie, 45 ans, mère de deux filles de 14 et 16 ans, et enseignante au primaire depuis 22 ans, à Montréal
«J’ai besoin de nouvelles lunettes, de bottes et d’un manteau d’hiver, mais je vais attendre. Côté épicerie, je prends ce que j’ai de disponible dans mon garde-manger. Je cuisine simplement, avec des lentilles et du cannage de tomates, par exemple. Je trouve ça très difficile. Je suis célibataire donc j’assume seule les coûts. Ma mère est elle aussi prof donc elle peut m’aider… mais juste un peu !» — Eve, 34 ans, enseignante au préscolaire en classes d’accueil depuis dix ans à Montréal
«J’enseigne les arts à dix-huit groupes d’élèves dans cinq écoles différentes. Dans quatorze de ces groupes, c’est difficile : j’ai beaucoup de gestion de classe à faire. Je n’enseigne pas vraiment, je passe mon temps à faire la police. Je vois que cela affecte ma santé, mentale et physique. Je vis un stress financier énorme en ce moment et j’ai l’angoisse dans le tapis… mais je crois toujours à la nécessité de faire bouger les choses.» — Marie, 41 ans, mère de deux adolescents en garde partagée, et prof depuis 3 ans dans les Laurentides
«Mon conjoint a été amputé des deux pieds et d’une main il y a un an à la suite d’une septicémie. Il ne travaille pas donc c’est moi qui supporte financièrement ma famille. J’ai vu à travers les années la dégradation du système scolaire. La clientèle a changé : on négocie tous les jours avec des cas de détresse, de violence, avec des crises… La tâche administrative est lourde. En fin de compte, c’est la qualité de l’éducation qui se détériore.» — Annie, 48 ans, mère d’une fillette de dix ans, enseignante depuis 19 ans à Montréal
*Source : Banque de données des statistiques officielles sur le Québec (2023)