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On réalise bien que c’est la culture sportive au complet qui est sérieusement gangrénée. Et la gangrène pogne bien avant de se rendre dans les catégories «élites» de ces disciplines.
«Plus vite, paresseuse.»
«Si tu perdais du poids, ce serait plus facile.»
«C’est parce que t’es lâche.»
«Fais pas ta moumoune.»
Ce sont des phrases que l’on entend encore trop souvent dans les cours de danse, de gymnastique, de patin artistique, de nage synchronisée, de cheerleading, de basketball ou de volleyball, si je me fie aux nombreux parents qui m’entourent.
Des parents qui, déçus par les performances sportives de leur progéniture, tiennent parfois aussi ce genre de discours envers leurs propres enfants, en pensant les motiver ou les casser.
J’ai hâte qu’on arrête de faire semblant qu’une révolution a eu lieu au sein des différentes disciplines sportives. Parce que, même si les choses changent tranquillement, on est encore loin de la coupe aux lèvres.
Voyez le passage de Geneviève Pettersen au bulletin Noovo Le Fil 17 dans la vidéo qui accompagne ce texte.
C’est vrai que depuis la sortie de documentaires comme Team USA, en 2020, une prise de conscience a frappé la planète sport. Pour ceux qui ne l’ont pas encore visionné, ça raconte comment des gymnastes ont subi des agressions sexuelles aux mains de Larry Nassar, le médecin de la fédération américaine. Un médecin qui prétendait vouloir les amener plus loin dans leur discipline. Ça raconte aussi comment la fédération a fermé les yeux. Pourquoi? Pour gagner.
Plus près de nous, le documentaire Pression, de mon ancienne collègue Marie-Christine Noël, a levé le voile sur les abus psychologiques, mais aussi physiques, dont ont été victimes plusieurs patineuses artistiques faisant partie de l’élite canadienne. Pensons aussi au scandale entourant Natation Canada, qui fait l’objet d’un recours collectif de la part d’anciennes nageuses qui disent avoir été victimes d’abus psychologiques et sexuels, de négligence et de discrimination raciale.
Tout le monde est secoué par les histoires épouvantables d’abus au sein de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Encore hier, on apprenait dans La Presse qu’un jeune joueur de hockey, sans doute futur espoir de la Ligue nationale, avait renoncé à son sport à cause d’actes horribles vécus lorsqu’il jouait pour les Saguenéens de Chicoutimi, au milieu des années 90.
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Ces gestes-là sont horribles et c’est facile, je trouve, de mettre ces abus sur le dos de la masculinité toxique et du boy’s club, même si ces concepts ne sont pas étrangers à ces dérives, il faut bien l’avouer.
Sauf que si on fait un pas en arrière et qu’on se met à regarder tout ça, si on se met à penser aux différents scandales qui ont touché la gymnastique, le ski alpin, le patin de vitesse, le basketball et même la boxe ces dernières années, on réalise bien que c’est la culture sportive au complet qui est sérieusement gangrénée. Et la gangrène pogne bien avant de se rendre dans les catégories «élites» de ces disciplines. En fait, dès que les futurs petits athlètes sont en âge de chausser leurs bottes de ski, la table est mise.
J’ai écouté la série Cheer, sur Netflix. On peut y suivre le quotidien de l’équipe de cheerleading du Navarro College. La série a connu un succès planétaire. Pourtant, à chaque épisode, on peut être témoin de l’emprise qu’a l’entraîneuse Monica Aldama sur son équipe. Parce que oui, c’est «son» équipe, et elle est prête à tout pour remporter le championnat annuel, quitte à ce que plusieurs athlètes se cassent des membres ou soient en dépression nerveuse. Je n’en suis pas encore revenue qu’on se soit gavé de ça en ne pensant pas deux secondes qu’il y avait de jeunes adolescentes qui passaient un sale quart d’heure.
«Pourquoi endurent-elles ça?», est la question que je me suis posée tout le long. J’en suis venue à la conclusion qu’à la manière de certaines joueuses de basket de l’école secondaire Saint-Laurent, faire partie de l’équipe était souvent la seule façon d’avoir accès plus tard à des bourses d’études et de faire carrière dans les meilleures équipes américaines. Alors, elles endurent, elles se ferment la trappe. Les parents aussi. C’est leur seule chance d’accéder à une autre classe sociale, dans bien des cas.
Je reviens au hockey. Je pense que si on en parle autant, c’est parce que c’est notre sport national. Ça touche notre identité. C’est bien parce que ça attire l’attention sur les systèmes d’abus dans le sport, des systèmes qui existent depuis trop longtemps et qui se mettent en place dès la petite enfance des athlètes.
Je me rappelle avoir voulu faire du ballet. J’étais comme toutes les petites filles. J’écoutais des films de princesses et je voulais porter un tutu rose nanane. Ma mère m’a donc inscrite à des cours de danse. Le souvenir du premier (et de mon dernier cours) est encore très vivide.
J’entre dans la classe, la professeure me dit d’aller m’installer avec les autres. Elle critique mes collants. Ce ne sont pas les bons. Je suis très gênée, mais je me dis qu’avec ma mère, on ira en acheter d’autres pour le cours suivant. Puis, la prof nous dit de nous lever. Elle passe nos corps en revue. À ma hauteur, elle s’arrête. Je n’ai pas assez l’ossature fine pour me rendre très loin. «T’as de bonnes cuisses, aussi.» Moi, je suis juste une petite fille qui a écouté Anastasia et qui veut apprendre à faire l’arabesque. Je ne pense pas du tout, à ce stade, aux grands ballets canadiens. Et pourtant, d’emblée, on me dit que mon corps est un échec. J’ai raconté ça à ma mère, et je ne suis plus jamais retournée danser. Je ne voulais plus y aller.
Ce n’est pas grand-chose, ce qui m’est arrivé, mais ç’a été assez pour me dégoûter de cette discipline pour la vie. Alors, quand ma plus vieille a voulu faire de la gymnastique, j’étais très hésitante. J’en avais entendu, des histoires d’horreur. Mais elle voulait tellement faire des pirouettes que je l’ai inscrite. Elle était bonne, la petite maudite. Et son ossature était assez fine (je dis ça avec ironie).
Un moment donné, c’était un dimanche, je m’en souviens, sa prof vient me voir pour me dire que mon enfant a un talent naturel et me demande si je souhaitais lui faire faire de la gymnastique compétitive. «Ça implique quoi?», je demande. Il s’agissait de faire quatre cours par semaine. Et ça venait avec des frais de chorégraphe, de costume, alléluia. Elle avait 6 ans. Je trouvais ça énorme. J’ai décliné. La prof m’a dit qu’elle ne comprenait pas mon hésitation, que ma fille avait un réel talent et que c’était plate de laisser aller ça. «Laisser aller quoi, exactement?». Ma question est restée en suspens.
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Rendus au spectacle de fin d’année, tous les parents ont reçu l’horaire de la journée. Les petites devaient arriver le matin, maquillées et coiffées comme des reines de beauté et attendre leur tour. Le spectacle de ma fille, d’une durée de cinq minutes, était à 14h. Ça faisait donc cinq heures d’attente, sur les lignes de côté, à regarder les autres gymnastes exécuter leur routine. Les petites n’avaient pas le droit de manger. C’était pour ne pas briser leur maquillage.
À un moment donné, il devait être environ 13h, une des compagnes de ma fille s’est mise à pleurer. Elle voulait voir sa mère, mais les parents n’avaient pas le droit de descendre dans l’aire de compétition. L’entraîneuse est venue. Je pensais que c’était pour consoler l’enfant, mais non. Elle l’a rabrouée comme si elle était sur le bord de gâcher sa chance d’aller performer aux Jeux olympiques. À la fin du spectacle, j’ai ramassé ma fille et je lui ai demandé si elle avait aimé ça. «Non.» Elle n’a plus fait de gymnastique. Pas parce qu’elle n’aimait pas ça, parce qu’elle avait détesté tout ce qui venait «autour».
C’est sur cet «autour» qu’on doit travailler. Comment ça se fait qu’on dise encore à de petites filles de perdre du poids, de se maquiller, de se tenir droites à tout prix et de se priver de nourriture pour gagner des championnats? On prétend, au sein des différentes fédérations, que les choses ont changé. Mais ce n’est pas vrai tant que ça.
On ne dit plus les choses de façon aussi directes, c’est vrai. On prend des détours parce qu’on ne veut pas avoir de problème ou parce qu’on ne sait pas faire autrement. Ç’a toujours été comme ça. Et plusieurs fédérations ont eu d’excellents résultats avec ces méthodes.
Si des histoires comme celles de ces joueurs de hockey ou de ces nageuses ont pu se dérouler dans les plus hautes sphères du sport amateur, c’est parce que ce type d’agissement a lieu depuis longtemps. Ça se passe dans les cours de ballet et de patin, où on dit à de petites filles de 7 ans d’endurer douleurs et privations pour exceller dans leur sport. On casse les enfants dès le départ afin d’en faire de bons petits soldats athlètes qui feront la fierté de leurs entraîneurs.
Alors, quand j’entends des gens qui avouent ne pas comprendre pourquoi les adultes présents dans l’autobus des Saguenéens n’ont rien fait quand des vétérans ont sommé de jeunes joueurs de l’équipe de se masturber devant tout le monde, ça me laisse perplexe. Ces adultes-là laissent faire parce que pour eux, ça fait partie de la game. Et depuis LONGTEMPS. Ça fait partie du sport, de l’esprit d’équipe. Ça fait même partie des façons de faire pour gagner. Comme ça fait partie du jeu d’affamer des nageuses et de les détruire psychologiquement pour le bien de l’équipe. On doit casser les athlètes, anéantir tout libre arbitre, tout égo, afin de les façonner pour la victoire. C’est con han?
Toute cette souffrance, tous ces abus, pour que des pays, des fédérations ou des écoles s’en mettent plein les poches et puissent accrocher des banderoles et des médailles sur des murs que personne ne regarde jamais vraiment, sauf quand on en fait une série sur Netflix.