Début du contenu principal.
«Au revoir madame Grand-mère.»
Dimanche, en fin de journée, nous avons appris avec tristesse le décès de la comédienne Kim Yaroshevskaya à l’âge de 101 ans. Une comédienne qui a fait nombre de choses dans sa carrière, mais qui a surtout marqué l’imaginaire de plusieurs générations d’enfants grâce à ces deux personnages télévisuels très populaires, Fanfreluche et Grand-mère dans Passe-Partout. Pour ma part, je suis un enfant de Passe-Partout. J’étais en plein le public cible quand l’émission a débuté en 1977.
Lorsqu’une personnalité publique qu’on aime et apprécie décède, on est touché. Parfois même bouleversé parce que, pour une raison ou pour une autre, cette personnalité a une résonance dans notre vie, notre parcours. Mais je pense sincèrement que ça nous touche encore plus quand c’est quelqu’un qui a fait partie de note enfance ou de notre adolescence.
Peut-être parce que c’est le moment où on est de petite éponge qui absorbe tout autour de lui. Peut-être parce que c’est le moment où notre personnalité se forge et qu’on découvre petit à petit qui on est. Peut-être aussi parce qu’à certains moments précis de notre vie qui commence, ces personnages apaisent nos peurs de petite personne. Probablement aussi parce qu’elles nous font rire et nous amusent.
À l’âge adulte, quand on repense à ces personnages, ils nous replongent dans la nostalgie de notre enfance et des bons moments que nous avons passés. Cela dit, je ne suis pas un spécialiste de la psychologie humaine, mais j’ai vraiment tendance à penser que lorsqu’une personnalité connue qui a habité notre enfance quitte vers le ciel, le pincement au cœur est peu plus fort.
En apprenant la nouvelle du décès de madame Grand-mère, j’ai un souvenir de l’école primaire qui m’est rapidement revenu en tête. J’avais 7 ou 8 ans. À l’époque, la maîtresse (oui, c’est comme ça qu’on l’appelait au primaire alors que professeur, c’était pour ceux au secondaire. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas) écrivait au tableau avec une craie blanche qui déposait une poudre blanche sur ses vêtements, on buvait un berlingot de lait chaque matin parce que l’allergie au lactose n’avait pas encore été inventée et on jouait au ballon-chasseur sans casque de protection parce qu’on avait la tête dure.
Et lorsqu’on avait bien écrit en lettres attachées dans notre cahier de français, la maîtresse léchait le derrière d’une petite étoile brillante et la collait dans le coin en haut de la page. Ça voulait dire qu’on avait bien performé. La joie d’avoir une peu de salive professorale comme prix.
Et là, une fois par semaine, juste un peu avant 10 heures du matin, la maîtresse allait dans le coin de la classe, prenait la grosse télévision qui était installée sur un perchoir à roulette et roulait le mastodonte à la fine pointe de la technologie de 1978 jusqu’au centre de la pièce devant nous tous.
Pas besoin de plus que ça pour faire grimper notre excitation dans le plafond. Un rush de sucre sans sucre. Parce qu’on savait ce qui s’en venait. Ça voulait dire qu’on allait écouter un épisode de Passe-Partout. Et pas sur YouTube (ça n’existait même pas.). Non, on regardait la diffusion du matin sur la chaîne Télé-Québec. Dès que le générique commençait, tout le monde se fermait la trappe. Même les p’tits pas fins dans le fond de la classe nous donnaient un break de leurs blagues stupides.
Moi, je tripais sur Passe-Carreau parce que j’aimais sa coupe de cheveux et son costume était plus flash que celui des deux autres. Et je la trouvais moins chialeuse que Passe-Partout. Quand Grand-mère était là, j’aimais beaucoup ça parce qu’elle avait un chat le fun et qu’elle racontait toujours de belles histoires. Souvent pour consoler Passe-Partout qui était débarqué dans sa cuisine pour se plaindre de quelque chose.
Grand-mère parlait doucement. Elle était tout le temps calme et souriante. Elle était zen avant même que ce soit tendance. Ça m’épatait et ça me surprenait. Parce que moi, j’avais deux grands-mères très actives. Tout le temps en train de faire quelque chose. Oui, elle aurait pu me raconter une histoire, mais ça aurait été en continuant à faire une tourtière ou étendre le linge sa corde.
Alors que quand Grand-mère s’adressait à nous directement à la caméra, on écoutait. On trouvait ça doux et gentil. Ça nous réchauffait le cœur. Je pense même que les tits pas fins dans le fond de la classe avaient une émotion. Quand elle réconfortait Passe-Partout, c’est nous autres aussi qu’elle réconfortait. Même si j’avais deux grands-mères très aimantes et très attentionnées, une de plus, c’était le fun. Une grand-mère back-up.
C’est fou de penser que Kim Yaroshevskaya, avec Fanfreluche et Grand-mère, a eu autant d’impacts, petits et grands, dans plein de vies d’enfants. C’est vrai que la télé, ça ne change pas le monde, mais quelquefois, ça fait une belle différence.
Au revoir madame Grand-mère.
Pour recevoir toutes les chroniques d'Alex Perron, abonnez-vous à notre infolettre, Les débatteurs du samedi.