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Il y a quelque chose de sain dans cette crise interne qui secoue actuellement le parti.
Il y a quelque chose de sain dans cette crise interne qui secoue actuellement Québec solidaire.
À LIRE ÉGALEMENT | Une autre lettre ouverte chez Québec solidaire, cette fois en appui à GND
Catherine Dorion a quitté la vie politique en 2022 avec plusieurs cicatrices. Elle a relaté son bref passage dans l’enceinte de Québec solidaire dans Les têtes brûlées. Emilise Lessard-Therrien a claqué la porte de son rôle de co-porte-parole féminine après seulement quelques mois en poste évoquant un épuisement face à un manque d’écoute. Dans la foulée, un comité féministe a dénoncé le « muselage des femmes » au sein de QS.
Je pense aussi à Ève Torres, première femme voilée à être candidate à une élection dans cette province, elle qui avait décidé de porter la couleur orange pour ce faire. C’est sans parler du blâme que la formation politique avait adopté contre son collectif antiraciste en 2021.
Ces derniers jours, une lettre ouverte a été signée par une quarantaine de personnes ayant gravité au sein de QS. Cette missive est une charge frontale contre le leadership de Gabriel Nadeau-Dubois. Ce dernier estime qu’il faut miser sur une «gauche pragmatique». Plus encore, les vétérans et co-fondateurs du parti, Françoise David et Amir Khadir, ont également des perspectives qui ne se rejoignent pas en tout point sur ce que cela signifie.
Visiblement, un abcès vient d’être crevé, et pour le mieux.
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Je ne suis pas au cœur de cyclone médiatique, mais cela fait longtemps que je souhaite voir un débat à cœur ouvert et large sur les contradictions qui existent au sein d’espaces où l’on dit œuvrer pour le bien commun, bien au-delà de QS.
Lorsque j’enseigne à l’université, l’une des premières choses que je dis à mes étudiant·es est que les safe spaces n’existent pas. Les rapports de pouvoir sont à l’œuvre partout, même dans les espaces dits progressistes féministes-antiracistes-intersectionnels et j’en passe. Ce sont mes vingt années d’expérience (oui, mon implication pour la justice sociale a commencé tôt) comme bénévole, stagiaire et travailleuse sociale qui me permettent d’affirmer cela.
Mon ultime responsabilité comme pédagogue est d’être le «pare-choc» de ces inconforts, mais sans promettre de les éliminer complètement. Dans un tel contexte, promettre la sécurité absolue est une posture naïve ou carrément malhonnête.
Quand on nous promet soutien et bienveillance, on tombe de haut lorsque c’est le contraire qui se produit. C’est une double trahison. Comme lorsque des victimes d’agressions sexuelles dénoncent et sont mal reçues alors qu’elles avaient été encouragées à parler.
Au cours des vingt dernières années, j’ai gravité dans des espaces où le fait d’être silencieux est condamné, car systématiquement perçu comme étant lâche.
Pourtant, les silences ne sont pas toujours vides.
Ils peuvent être pleins.
Pleins parce qu’on prend le temps de réfléchir au lieu de se positionner de manière précipitée (et performative) comme l’exige de plus en plus nos sociétés au rythme effréné.
Dans la cacophonie ambiante de nos vies où nous sommes saturés d’informations à toute heure du jour et de la nuit, parfois, le silence peut être sagesse et courage.
Lorsque j’étais au cégep, j’écrivais des chroniques société pour le journal étudiant. Un jour, j’ai voulu écrire sur le phénomène des femmes qui gravitent dans l’industrie du sexe. Comme je n’y connaissais rien, je suis allée parler à des expertes du milieu communautaire.
À mes questions sincères, accompagnée de mon petit calepin aux pages blanches, on me répondra que «ne pas avoir de camp, c’est choisir un camp». Je ne réalisais pas à l’époque que je mettais le pied dans l’un des sujets les plus explosifs du milieu, car touchant au contrôle du corps des femmes.
Je résume à gros traits, mais essentiellement, pour les unes, les femmes dans l’industrie du sexe sont exploitées par le système prostitutionnel, système qui se doit d’être aboli. Pour les autres, les travailleuses du sexe ont une agentivité et méritent dignité pour leur métier; cela passe par le fait de ne pas les criminaliser.
Pour moi, l’agentivité et l’exploitation ne sont pas des choses absolues. Dans les contraintes du quotidien qui pèsent sur nous en raison des systèmes d’oppression, nous faisons des microchoix, au jour le jour.
Au-delà des textes de loi, je pars toujours des mots qu’une personne utilise pour décrire sa propre expérience. J’ai toujours eu en aversion les «tout ou rien», surtout lorsqu’on parle d’êtres humains. Je ne suis pas certaine que la politique partisane permet ce type de nuances.
Lorsque j’étais plus jeune, j’avais pris part à une formation féministe pour la première fois. Dans l’un des ateliers, j’ai levé la main pour poser une question. Je n’y connaissais rien, mais je voulais apprendre. Nous étions là pour ça, après tout.
La formatrice a répondu à ma question avec un ton sec. Par son attitude, j’ai compris que j’avais posé la « mauvaise question ». Complètement aveuglée par ses privilèges de race et de classe, elle ne réalisait pas qu’elle parlait à une jeune adulte noire qui ne provient pas d’un milieu universitaire. Lorsque j’ai relevé ma main pour comprendre où j’avais erré, elle m’a ignorée.
J’ai croisé le regard de la personne assise à ma droite et j’ai vu que nous avions compris la même chose: la formatrice ne voulait plus que je prenne la parole.
Certains diraient que j’ai été victime de «censure». Je dirais plutôt qu’il s’agissait de mauvaise pédagogie. Malheureusement, il y a beaucoup d’universitaires qui semblent oublier qu’ils ne sont pas sortis des entrailles de leur mère en criant «intersectionnalité» le poing levé.
Il y a beaucoup à dire sur la professionnalisation des mouvements sociaux. Lorsque le discours féministe ou antiraciste fraye son chemin — et à juste titre — dans les universités ou les institutions politiques, cela soulève des enjeux éthiques, moraux et politiques.
Pourquoi certaines personnes — même issues de groupes minorisés — sont-elles les seules à être autorisées à pénétrer dans les coulisses du pouvoir ?
À QS tout comme ailleurs, les femmes et les personnes noires considérées comme les porte-étendards légitimes de luttes collectives doivent réfléchir à cela, et ce, avec humilité et transparence.
Ultimement, la crise qui secoue QS fait écho à la manière dont les États-Unis et le Canada gèrent la question palestinienne, qualifiée de « cas d’école de génocide » par un nombre grandissant d’experts en droit international.
Les appuis aux libéraux de Justin Trudeau et aux démocrates de Joe Biden ont fondu comme neige au soleil depuis plusieurs mois en raison de leur appui à l’État d’Israël. Plusieurs de leurs électeurs progressistes ont vécu une désillusion face à des promesses non tenues. Ces partis étaient pourtant présentés comme des alternatives viables à la droite.
Ainsi, peut-on changer un système de l’intérieur? Où sommes-nous condamnés à le reproduire ailleurs? Une chose est sûre, à la lumière de tout ceci, ce qu’on comprend c’est que le pragmatisme des uns n’est pas toujours le pragmatisme des autres.
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