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En Ukraine le déminage pourrait prendre des décennies. Le pays serait désormais l’endroit le plus miné au monde.
Chaque membre de notre équipe se suit l’un derrière l’autre, sur le côté de la rue. C’est un chemin emprunté régulièrement par les citoyens d’une bourgade, située en pleine campagne de l’Est ukrainien.
Nous marchons dans les pas de la personne qui se trouve devant nous. Si les terrains et les routes autour ont été déminés dans les dernières semaines, personne ici ne veut prendre de risque inutile. La mort a frappé bien trop souvent depuis un an.
Après quelques centaines de mètres, nous arrivons devant deux portes en fer rouillées, derrière lesquelles se trouve la maison de Oliya Hrycenko.
À notre accueil, son regard est triste, hanté par les souvenirs de son mari, mort en septembre dernier.
Crédit photo: Noovo Info
Six jours après la libération de leur village, Roman Hrycenko entre dans sa voiture pour aider des soldats à s’orienter dans le secteur. Oliya refuse de laisser son mari partir seule. Elle l’accompagne.
«La voiture est restée coincée derrière nous, se souvient-elle. Mon mari m’a dit de rester dans le véhicule et est allé les rejoindre.»
«Roman a finalement pris place dans leur voiture, et 50 mètres plus loin, j’ai entendu une énorme explosion.»
À ce moment de l’entrevue, Oliya reprend son souffle, regarde par la vitre de sa cuisine, et reprend.
«La voiture était scindée en deux. […] Une fois les secours arrivés, nous avons sorti trois personnes, mais ils étaient tous morts. Mon mari était l’un d’entre eux.»
Après quelques minutes d’échanges, la mère de trois enfants se lève, sort de la pièce un instant, puis revient silencieuse avec un portrait de son mari serré sur sa poitrine. Sur la photo, Roman à un air sérieux.
Crédit photo: Noovo Info
«Il était toujours souriant, un homme parfait», dit-elle, comme pour nous rassurer.
Selon les autorités de la ville, plus de 450 mines ont été retrouvées depuis le départ des forces russes quatre mois plus tôt.
Le plus récent décompte du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme fait état de cinq morts de civils causés par des mines depuis le 24 février 2022 en Ukraine.
«Nous estimons que les chiffres réels sont considérablement plus élevés», lit-on dans le plus récent rapport.
Les autorités d’Izium, une municipalité de l’oblast de Kharkiv, estiment qu’au moins 100 personnes ont été blessées par des mines dans les derniers mois.
DOSSIER | Noovo Info en Ukraine
«Il y a des mines partout sur notre territoire, sur les berges, dans les champs, et encore dans les zones résidentielles», explique le maire substitut d’Izium Volodymyr Matoskin.
Il y a quelques jours à peine, un adolescent a agrippé une mine au sol pour la glisser dans ses poches. En voulant montrer sa découverte à ses amis, l’engin a explosé. Sept jeunes ont été transférés en urgence à l’hôpital de Kharkiv.
«Nous déployons des efforts considérables pour informer et éduquer nos citoyens, mais sans l’aide de la communauté internationale, le déminage prendra des décennies», déplore le politicien.
Sur la route du retour, notre regard est attiré par un imposant entrepôt agricole entièrement détruit en octobre dernier.
Un de ses travailleurs, Aleksander, nous interpelle. Sur les 25 employés de l’entreprise, ils ne sont plus que deux à avoir un emploi depuis l’attaque, nous dit-il.
Et avec le printemps, ne reviendra pas l’espoir d’une vie normale. Les champs sont infestés de mines. Impossible de semer. Impossible de récolter.
Crédit photo: Noovo Info
«Le danger, nous le ressentons à cause des mines. Le danger est partout», assure le jeune travailleur, assis sur un petit tracteur bleu.
«Seules les multinationales agricoles peuvent se payer des démineurs privés pour assurer leur production», déplore-t-il.
Une injustice, une autre, pour ce pays autrefois connu comme le grenier de blé de la planète
Voyez le reportage de Louis-Philippe Bourdeau dans la vidéo.