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Devant l’école du petit village de Yahidne, il y a des balançoires blanches et mauves, des pneus pour s’amuser, des dessins d’animaux, des jeux ici et là pour divertir les écoliers… mais en regardant attentivement, il y a aussi un trou dans le sol au coin du bâtiment; un abri rustique creusé par les Russes pour y installer leur mitrailleuse.
Crédit photo: Noovo Info
Car il n’y a plus d’élèves à cette école depuis près d’un an. Les derniers jeunes à s’être retrouvés entre ses murs y sont restés enfermés pendant près d’un mois au sous-sol de l’établissement avec près de 370 autres voisins et amis.
En mars 2022, le village tout entier a été pris en otage par l’armée du Kremlin; tous des civils, tous sans histoire, 70 enfants, un bébé de deux mois. Un supplice qui aura duré 25 jours.
Crédit photo: Noovo Info
Ils ont (sur)vécu dans des conditions inhumaines, avec à peine assez d’espace pour bouger leurs jambes. Plongés dans le noir quasi total, peu de nourriture et un peu d’eau - au bon vouloir de leurs geôliers. Des seaux étaient déposés dans le coin de la pièce en guise de toilettes.
À l’intérieur, même un an plus tard, l’odeur de moisissures et de pourriture s’imprègne dans nos narines. La scène est horrifiante et semble figée dans le temps. Sur un mur, les noms de 16 citoyens du village: six exécutés par les Russes et 10 morts par suffocation ou par manque de soins.
Crédit photo: Noovo Info
«Il a fallu transporter le corps des victimes par-dessus la tête des enfants», se souvient Valeriy Polhui, enfermé avec sa famille dans la plus grande pièce, où 136 civils étaient retenus captifs.
Crédit photo: Noovo Info
Il se souvient des douleurs à l’estomac causé par le manque de nourriture, de ses jambes endolories, des enfants qui dormaient sur des planches de bois, pendant que certains adultes tentaient de trouver le sommeil en demeurant debout.
«Par moment, les soldats laissaient quelques personnes sortir pour cuisiner ou aller aux toilettes sur le terrain devant l’école. […] Une fois, nous sommes sortis et ils ont commencé à nous tirer dessus. En panique, nous avons couru vers l’école pour nous protéger», dit-il avec un air de dégoût au visage.
Crédit photo: Noovo info
«Ce qu’on a vécu ici, c’est de la torture. […] Nous étions forcés de regarder nos amis mourir sans pouvoir réagir», ajoute Valeriy.
Lorsqu’ils ont voulu enterrer les corps de certains de leurs camarades, des soldats ont de nouveau ouvert le feu dans leur direction. Pour survivre, certains se sont jetés tête première dans la tombe fraîchement creusée.
Son père, Ivan, était aussi du nombre. Lui aussi est traumatisé par les événements. Il a accepté de retourner dans le sous-sol de l'école avec nous, car – pour lui – le «monde entier doit savoir ce qu’il s’est passé».
«Nous ne savions même plus si c’était le jour ou la nuit, ni la date, se rappelle-t-il. Certains soldats s’amusaient à donner des grenades aux enfants pour nous faire peur.»
«Nous n’avons jamais compris pourquoi ils nous ont retenus captifs.»
À Yahidne, des enquêtes pour crime de guerre ont été déclenchées. Elles font partie des quelque 70 000 dossiers présentement à l’étude par le procureur général de l’Ukraine. C’est près de 200 cas par jour en un an. Moins d’une trentaine de soldats ont été reconnus coupables en ce moment, plusieurs ont été condamnés en leur absence.
Un crime de guerre, c'est quoi? Selon le Statut de Rome, un crime de guerre est une violation des droits de la guerre. C’est un ensemble de gestes graves posés par les partis impliqués dans le conflit, tels que des attaques dirigées contre des civils, la torture, des traitements inhumains ou encore de bombarder des villages qui n’ont aucun objectif militaire.
Malgré les appels à la création d’un tribunal spécial international par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et la poursuite de dizaines de milliers d’enquêtes, les victimes de Yahidne, elles, n’y croient pas.
Crédit photo: Noovo info
«Je ne pense pas que tout ça va changer quelque chose pour nous. En Russie, les hommes qui nous ont fait ça sont considérés comme des héros. Ils ne seront jamais jugés», croit Ivan, avec fermeté.
«Ils ne seront jamais jugés tant et aussi longtemps que la Russie existera. […] Sans la justice, tout ce qu’il me reste, c’est de la haine», ajoute son fils, Valeryi.
Les habitants de Yahidne guérissent donc leur plaie une journée à la fois, mais leur prison trône toujours au cœur de la ville, comme un gigantesque rappel de l’horreur qu’ils ont vécu. Jamais les élèves n’y retourneront. Les traumatismes sont trop profonds. L’administration du village songe tout de même à en faire un musée de la guerre pour s'assurer de ne jamais oublier ces 25 jours en enfer.
Crédit photo: Noovo info
Voyez le reportage de Louis-Philippe Bourdeau dans la vidéo.