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Alors que la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ne voient pas d’inconvénients à utiliser le masque anti-crachat conjointement avec le poivre de Cayenne, cette combinaison est considérée comme dangereuse dans plusieurs autres corps de police en Amérique.
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Dans un document diffusé par la SQ dans le contexte de la pandémie, le service de police encourage ses agents à utiliser le poivre de Cayenne et le masque anti-crachat. «Si le poivre de Cayenne est utilisé, dans la mesure du possible, le masque anti-crachat doit être porté par le suspect pour réduire davantage les risques [de contamination]», peut-on lire.
Pendant ce temps, à la police de Gatineau, on interdit aux policiers d’utiliser masque et poivre en même temps. On avance que cela est trop dangereux pour le suspect. «Dans un cas où une personne est contaminée au poivre de Cayenne, on demande à nos policiers de ne pas utiliser le masque anti-crachat», affirme sa porte-parole, Andrée East.
L’ex-policier au SPVM, Michael Arruda, est devenu accidentellement un expert sur le masque anti-crachat. Lorsqu’il était policier, il agissait à titre de conseiller pour les personnes en crise. Il a vu les risques d’utiliser le masque sans formation. Pour lui, il est clair que de l’utiliser en même temps que du poivre de Cayenne est une grave erreur.
«La personne qui se fait poivrer, elle veut cracher, sortir le poivre de Cayenne de sa bouche. Elle a le sentiment qu’elle manque d’air. Le masque anti-crachat peut donner le même sentiment. Si on met les deux ensemble, imaginez-vous les effets incroyables que ça peut avoir au niveau psychologique ou physique», décrit M. Arruda.
Le masque anti-crachat ne devrait pas non plus être utilisé sur des personnes en crise ou qui ont des problèmes de santé mentale, selon un autre ancien policier qui offre des formations pour cet outil.
«Un policier met le masque sur la tête d’une personne en crise, mais ça peut faire exactement le contraire et alimenter sa crise», affirme John Peters, ex-policier et président de l'Institut de prévention des décès en détention.
Le masque a été associé de près ou de loin à des dizaines de décès au cours des dernières années, un peu partout dans le monde. «Un suspect peut s’étouffer avec le masque, il peut accidentellement avaler le masque ou vomir et s’étouffer, car le masque est trop serré. Ce sont toutes des possibilités», affirme M. Peters, qui réclame davantage de formation pour les agents qui utilisent cet outil.
En 2020, Bruno-Pierre Harvey est arrêté dans un état de crise à Québec. Un masque anti-crachat est utilisé. La victime dit avoir de la difficulté à respirer et décède par la suite.
«Mon garçon est décédé lors d’une arrestation policière. Les policiers lui ont mis une cagoule, comme ça, sur la tête. On l’entend crier qu’il ne respire plus. Il ne faut pas mettre ça sur la tête d’une personne en crise», affirme son père, Bruno Harvey.
Le rapport du coroner conclut à un arrêt cardio-respiratoire et le décès attribuable à une surdose de cocaïne. Mais la famille a fait appel à différents experts et a mené une contre-expertise. Elle arrive à une conclusion différente et n’exclut pas une mauvaise utilisation du masque.
«La même cagoule circule encore et elle est encore utilisée. Là, on a le cas à la prison de Bordeaux. On fait ces démarches-là, car on ne veut pas que ça arrive encore, affirme M. Harvey. À défaut d’offrir une formation adéquate à tous les policiers qui utilisent le masque anti-crachat, il souhaite que le produit soit retiré du marché. L'affaire est devant les tribunaux.
La Sûreté du Québec suggérait l’utilisation du masque anti-crachat dans un manuel de protection à la COVID-19, en 2021. Pourtant, selon tous les experts consultés, aucune preuve scientifique ne conclut à l’efficacité de cet outil pour se protéger du virus. Un des fabricants du masque a même admis qu’il est inefficace: «Notre produit ne bloque pas les aérosols et ne protège aucunement de la Covid», écrivait Spit Guard Pro en juin 2020, dans un échange avec la police de Londres.
De son côté, la police de Gatineau affirme que le masque est notamment utile pour se protéger du VIH lorsqu’un suspect crache sur ses agents. Encore une fois, la science semble contredire cette affirmation. «Le risque de transmettre de VIH par crachat est nul, pas morsure négligeable», selon des chercheurs qui ont signé une étude en 2018. La santé publique américaine, la CDC, abonde dans le même sens: il n'y a aucun cas documenté de transmission du VIH par crachat, car le VIH ne se transmet pas par la salive.
«On croyait que ça pouvait nous protéger, mais non. Pour les policiers, ça donne un faux sentiment de sécurité. On pense que ça empêche d’attraper des maladies et que le virus ne passe pas à travers», note Michael Arruda.
Le SPVM ne permet qu’à un nombre restreint de policiers d’utiliser le masque anti-crachat. Les agents de ces unités choisies doivent aussi obligatoirement suivre une formation spécifique sur cet outil.
À Québec et à Gatineau, on n’offre pas de formations aux agents. Et ceux-ci n’auront pas été formés lors de leur passage à l’École nationale de police: il n’y aucune formation offerte sur le masque, confirme l’institution d’apprentissage policier.
Alors que plusieurs corps de police affirment que le masque anti-crachat est un simple outil de protection pour leurs agents, des experts affirment que c’est beaucoup plus: cet outil constitue un usage de la force.
«Le masque anti-crachat est utilisé par certains comme une paire de gants en plastique. Pourtant, ça n’a pas les mêmes effets», souligne Michael Arruda. Tout en précisant qu’il n’est pas opposé à l'utilisation du masque en soi, il qualifie l’absence de règles claires au Québec de «frustrante».
Le ministère de la Sécurité publique du Québec, qui encadre l’utilisation de la force par les policiers et agents correctionnels, est-il de cet avis?
Le Ministère a refusé de répondre à la question. De plus, Québec n’a pas souhaité dire s’il imposait des normes d’utilisation pour le masque anti-crachat. Est-ce que les agents correctionnels se font former sur ses risques ou le déconseille-t-on sur les personnes ayant des troubles mentaux? Le Ministère a aussi préféré rester muet sur ces questions.
Le masque anti-crachat a été impliqué dans plusieurs incidents au cours des dernières années.
En 2020, Daniel Prude, un citoyen de l'État de New York, est arrêté en état de crise. Les policiers lui placent alors un masque anti-crachat sur la tête, tout en le maintenant au sol. Il est mort d'asphyxie après 2 minutes et 15 secondes, a conclu l'enquête.
En 2018, Dujuan Armstrong est mort avec un masque anti-crachat sur la tête dans sa cellule de prison, à Santa Rita, en Californie. Les agents lui ont placé un masque anti-crachat sur la tête en plus de lui mettre une camisole de force, après avoir constaté qu’il avait un comportement anormal. Quelques minutes plus tard, il a été découvert mort, lui aussi en raison d'un manque d'air.
En 2016, en Ontario, Soleiman Faqiri est mort portant un masque anti-crachat, en se faisant asperger de poivre de Cayenne et en étant plaqué par un agent correctionnel sur le ventre, lors d'un épisode de schizophrénie en prison.
En 2015, Michael Marshall est arrêté par la police de Denver, l'itinérant ayant des problèmes de santé mentale a été arrêté pour une entrée par effraction. Lors d'un épisode psychotique, où il a commencé à vomir, les policiers ont utilisé le masque anti-crachat pour ne pas être éclaboussés. L’itinérant est mort dans son vomi, le masque sur la tête.
En 2016, à Halifax, Corey Rogers, 41 ans, est décédé par suffocation avec un masque anti-crachat sur la tête. L'homme était intoxiqué et il a été laissé seul dans une cellule de prison pendant une longue période de temps. Un rapport dévastateur conclut que la police de Halifax n'a pas offert la formation nécessaire à ses officiers pour utiliser les masques anti-crachat.
En 2004, Kevin Bledsor a été arrêté dans l'État de Washington. Pour le maîtriser, les agents l'ont aspergé de poivre de Cayenne. Il a ensuite été placé à l'arrière d'une voiture de police, sur le ventre, avec un masque anti-crachat sur la tête. Il est mort quelques instants plus tard, pendant que les policiers interrogeaient des témoins. Sa famille a obtenu de la police 1,6 million de dollars américains lors d'une entente hors cour.
En 2001, Tony Marcel Lee est arrêté à Fairfax, en Virginie. Il est suspecté d'avoir conduit sous l'influence de l'alcool. Les policiers lui mettent un masque anti-crachat sur la tête et le transportent au poste de police. Mais en route à bord de l'auto patrouille, il est malade et vomit. Selon des documents judiciaires, il est mort asphyxié en avalant son vomi, le masque anti-crachat empêchant le liquide de s’écouler hors de sa bouche.