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Société

Télétravail: des patrons trouvent les bureaux encore trop vides

Loin des yeux, loin de la culture d’entreprise? C’est du moins la principale préoccupation des employeurs.

Le brouillard s'étend sur l'horizon de Montréal, le mercredi 1er janvier 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes.
Le brouillard s'étend sur l'horizon de Montréal, le mercredi 1er janvier 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes.
Stéphane Rolland
Stéphane Rolland / La Presse canadienne

Les masques ont disparu et la vie a repris son cours normal, mais le quotidien au bureau ne sera peut-être plus jamais le même. Cinq ans après le début de la pandémie, le télétravail est maintenant tenu pour acquis par de nombreux professionnels. Certains employeurs se demandent toutefois si la vie de bureau n’en a pas trop souffert.

Plusieurs entreprises ont adopté un mode de travail hybride, mais n’ont pas d’exigences explicites sur la présence attendue au bureau ou ne confrontent pas les employés récalcitrants. L’écart s’est creusé entre les attentes des employeurs et des employés.

Cela peut créer «des points de tensions» dans certains milieux de travail, constate Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. «Des employés se disent: "Moi, je veux conserver quelque chose que je croyais acquis. C'est à moi que revient le droit de décider si j'ai besoin d'être là". L'employeur dit: "Non, c’est mon droit de gestion. C'est mon droit d'organiser le travail selon ce que je pense qui est le mieux pour l'organisation."»

 

Loin des yeux, loin de la culture d’entreprise? C’est du moins la principale préoccupation des employeurs par rapport au télétravail, selon ce qu’entend M. Leblanc dans le milieu des affaires. Les entreprises se préoccupent de l’effet de la distance sur le sentiment d’appartenance, sur la formation et le mentorat des plus jeunes. On craint de perdre ces interactions qui allument l’étincelle de la créativité.

Le président et chef de la direction d’iA Groupe financier, Denis Ricard, partage cette préoccupation. Lors d’une entrevue récente sur la stratégie de l’assureur de Québec, il avait mentionné qu’il s’inquiétait des conséquences du faible achalandage au siège social à Québec sur la cohésion des équipes. «Actuellement, je trouve que nos employés, ils sont un peu trop à la maison.»

Même si certains employés s’estimaient plus productifs à la maison, il soulignait que la présence au bureau est importante pour le mentorat, la cohésion d’équipe et l’innovation. «Actuellement, je suis au stade de faire passer ce message-là. Ça fait trois "townhall" (assemblée) que je fais dans les trois derniers mois, où je leur dis aux employés: "S'il vous plaît, faites un effort, revenez. On a des besoins d'organisation."»

L’argument de la culture d’entreprise est difficile à vendre auprès des employés, admet M. Leblanc. «C'est très difficile parce que c'est assez immatériel, mais dans les faits, un des grands éléments de productivité, c'est cette capacité de travailler de façon efficace en équipe et d'avoir des connaissances qui vont au-delà de notre métier immédiat, parce qu'on était en présence de collègues et de discussions qui nous touchaient moins directement.»

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La perte d’attrait du centre-ville de Montréal contribuerait aussi à la résistance des employés qui ne veulent plus s’y déplacer, croit M. Leblanc. Des personnes œuvrant pour des multinationales lui auraient fait remarquer que le mouvement de retour au bureau aurait été moins fort à Montréal que dans d’autres grandes villes nord-américaines.

Il cite la présence «d’une itinérance plus visible, parfois plus dérangeante», le sentiment d’insécurité, la difficulté de se déplacer, que ce soit en voiture ou dans le transport en commun.

«Dans les questions qu'on a posées aux employeurs, ça ressortait beaucoup en élément de réponse: c'est-à-dire que "j'ai de la difficulté à convaincre mes employés de venir parce qu'ils ne veulent pas se déplacer, pas parce qu'ils veulent travailler à la maison, mais parce que ça ne leur tente pas de venir au centre-ville". Ça, c'est peut-être un élément qui est propre à Montréal.»

M. Leblanc doit quitter ses fonctions à la Chambre ce printemps. Des rumeurs l’envoient comme candidat à la mairie de Montréal.

Repenser le modèle

En raison de la pénurie de main-d'œuvre, les employés ont eu le gros bout du bâton quant aux conditions de leur retour au bureau, souligne la directrice de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Manon Poirier.

Une augmentation du taux de chômage pourrait redonner plus de pouvoir aux employeurs, mais Mme Poirier croit qu'ils auraient tort d’en profiter pour imposer plus de temps en présentiel.

«Non, je ne recommanderais pas aux organisations, même si elles avaient beaucoup de candidats pour chaque poste, de ramener tous les gens au bureau, suggère-t-elle. Ça jouerait sur la motivation de leurs équipes. Ça, c'est clair. Au nom de quoi? Quand tes employés sont mobilisés, c'est bon pour la qualité du travail, l'innovation.»

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De manière générale, les craintes des employeurs sur l’effet du télétravail ne seraient pas nécessairement justifiées, selon Mme Poirier. Même en se déplaçant peu souvent au bureau, les employés peuvent avoir un fort sentiment d’appartenance à leur organisation, nuance-t-elle.

Elle cite des recherches qui démontrent que les travailleurs qui adhèrent le plus à la culture organisationnelle ne sont pas nécessairement ceux qui viennent le plus souvent au bureau. «Les gens les plus satisfaits, les plus heureux, ceux qui se sentent le plus soutenus, ce sont les gens qui travaillent une journée par semaine au bureau.»

Mme Poirier juge que le modèle hybride qui exige un nombre de jours fixes au bureau n’est pas nécessairement le meilleur. La politique de télétravail devrait plutôt se concentrer sur les moments où la présence au travail est utile.

La réponse peut changer selon la nature des tâches de chacun ou selon les moments clés dans l’exécution d’un projet. «Concrètement, dans ces organisations-là, on a regardé les tâches ou les activités qu'on estime avoir une valeur ajoutée à être faites en personne.»

Stéphane Rolland
Stéphane Rolland / La Presse canadienne