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Partager un souper avec cinq inconnus dans un restaurant un mercredi soir. c’est la proposition de Timeleft.
Partager un souper avec cinq inconnus dans un restaurant choisi pour nous un mercredi soir. C’est en gros la proposition de Timeleft, une application de rencontre qui se présente comme un «antidote contre la solitude des grandes villes». Noovo Info a testé le concept.
Présente dans une quarantaine de villes en Europe, l’application vient tout juste de débarquer à Montréal et a accompagné son lancement d’une vaste offensive publicitaire sur les réseaux sociaux.
Timeleft indique faire la confection des groupes à l’aide d’un «algorithme». Pour lui permettre de mieux nous connaître, nous devons répondre à une série de questions dans l’app: préférez-vous écouter du rock ou du rap? La réussite académique est-elle importante pour vous? Aimez-vous consommer des drogues récréatives avec des amis? Quelle importance accordez-vous à la spiritualité? Et ainsi de suite…
À 24 heures du souper du mercredi, on reçoit quelques informations de base sur son groupe: la nationalité des gens à table, leur signe astrologique, leur domaine de travail et c’est tout. L’adresse du restaurant n’est envoyée que le matin même, accompagnée d’un numéro de table à fournir à l’accueil pour repérer son groupe.
Je me suis présenté trois petites minutes avant l’heure établie et j’étais le premier arrivé de mon groupe. Je dois avouer que j’étais un peu fébrile à l’idée que cinq inconnus viennent me rejoindre, un peu le sentiment qu’on ressent avant une première date, quand on ne sait pas si le courant va bien passer avec l’autre personne.
Le concept de Timeleft vise à briser la solitude, qui est devenue au fil du temps une véritable crise de santé publique chez les jeunes. La journaliste et enseignante Karine Côté-Andreetti a étudié en long et en large le sujet de l’amitié dans son essai Ports d’attache. Elle m’a rappelé qu’être bien entouré, ça peut avoir des avantages insoupçonnés.
«Le fait de se sentir seul ou non, c'est le meilleur indicateur de longévité avant même les habitudes de vie. Donc, c'est vraiment super important sur la santé cardio-vasculaire, sur les rémissions de cancers et évidemment aussi ça a beaucoup d'impact sur la démocratie, donc sur l'ouverture, sur la tolérance», explique-t-elle.
En effet, la solitude serait aussi nuisible pour la santé que fumer jusqu'à 12 cigarettes par jour, selon le médecin en chef américain.
Je n’ai heureusement pas à patienter seul à ma table trop longtemps ce soir-là. Rapidement, une fille d’environ mon âge vient me rejoindre. D’origine colombienne, elle est établie à Montréal depuis huit ans et est artiste. Puis, petit à petit, d’autres personnes se joignent à nous: un coach de basket, un étudiant en administration, une chargée de projet dans le domaine des arts et une professionnelle du domaine des technologies.
L’âge semble un critère assez important pour «l’algorithme» quand vient le temps de faire ses matchs, car bien que l’application s’adresse à tous, les gens de mon groupe avaient tous entre 24 et 27 ans. Parmi mes comparses, nous étions trois à être nés au Québec (dont moi) ainsi qu’un Français, une Libanaise et une Colombienne.
Tous étaient toutefois établis à Montréal depuis quelques années et avaient donc déjà un certain réseau dans la métropole. Contrairement à ce que j’aurais pu penser, personne de mon groupe ne participait à Timeleft pour se faire des amis à tout prix.
Pourquoi étaient-ils là, alors? La question est revenue à quelques reprises au cours du souper. Comme moi, les gens étaient d’abord intrigués par le concept. D’autres voulaient rencontrer de nouvelles personnes avec des horizons différents des leurs pour varier leurs perspectives ou tout simplement passer une belle soirée en découvrant un nouveau restaurant.
La discussion de notre groupe a plutôt bien coulé, malgré quelques moments plus creux, et la plupart des gens semblaient apprécier leur soirée. Nous avons eu recours à un petit jeu de questions offert par l’application qui permet d’apprendre à se connaître et à stimuler la discussion.
Au cours du souper, nous avons échangé sur la vie de tous et chacun, mais avons aussi divergé la discussion vers des sujets de société dont on ne discute normalement pas au premier abord avec des inconnus: religion, cancel culture et droits LGBTQ+ ont notamment trouvé leur place à notre table au cours de discussions franches et toujours respectueuses.
À la fin du souper, trois participants ont accepté de me donner leurs impressions à la caméra lorsque je leur ai mentionné mon intérêt à faire un reportage à ce sujet.
Il faut préciser que le service de l’application Timeleft est payant, il faut débourser 22$ pour réserver une place dans l’un des soupers et ce montant exclut les dépenses liées au souper lui-même. Des abonnements sont également disponibles.
On m’a demandé mon budget lors de mon inscription ($, $$ ou $$$), j’ai opté pour l’option intermédiaire et j’estime que le prix du restaurant était en effet à ce niveau. Je n’ai pris qu’un plat principal et un cocktail alcoolisé et je m’en suis tiré pour 52$, taxes et pourboire inclus.
En sortant du restaurant, tout le groupe s’ajoute sur les réseaux sociaux pour garder contact sans vraiment savoir quand et si nous nous reverrons.
Selon Karine Côté-Andreetti, les relations amicales sont le seul type de relation qui peut survivre à une très longue période sans contact.
«Des études ont démontré que lorsqu'on parlait à certaines personnes de leurs amitiés, elles allaient parler avec vraiment beaucoup d'enthousiasme d’une personne qu'elles affectionnent vraiment beaucoup. Puis, on réalisait qu'elles n'avaient pas parlé à cette personne-là depuis peut-être deux ans.»
«Cette relation-là, vraiment, reste dans le temps», conclut-elle.
Le temps nous dira si je vais revoir mes nouveaux «amis» de Timeleft dans deux ans, mais une chose est sûre, j’ai passé une belle soirée.