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Un coroner québécois recommande aux autorités de réaliser dans les plus brefs délais une analyse de la faisabilité d'abaisser le seuil limite d'alcool dans le sang des automobilistes de 0,08 mg/100 mL à 0,05 mg/100 mL.
Québec n'a pas mis de temps à rejeter la recommandation d'un coroner d'abaisser le seuil limite d'alcool dans le sang des automobilistes.
Dans un rapport rendu public mardi, le coroner Yvon Garneau recommande aux autorités de réaliser dans les plus brefs délais une analyse de la faisabilité d'abaisser le seuil limite d'alcool dans le sang des automobilistes de 0,08 mg/100 ml à 0,05 mg/100 ml et d'amender le Code de la sécurité routière en conséquence.
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Il y souligne notamment que le Québec est la seule province au Canada «à être anachronique avec une limite de 0,08 mg par 100 ml de sang. Pourtant, la preuve est faite quant à la diminution des accidents mortels depuis l'instauration d'une limite inférieure à 0,05 ailleurs au Canada et dans le monde». La limite est effectivement de 0,05 dans toutes les provinces canadiennes sauf en Saskatchewan, où elle est fixée à 0,04.
Voyez l'entrevue de Jean-Simon Bui avec le coroner Yvon Garneau dans la vidéo liée à l'article.
Dans un bref courriel envoyé à La Presse Canadienne, le cabinet de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, n'a toutefois laissé aucun doute sur le sort qui sera réservé à cette recommandation: «Une révision de la limite d'alcool permise au volant n'est pas envisagée par notre gouvernement», écrit-on.
Rejoint par téléphone, Me Garneau s'est d'abord montré prudent, disant vouloir attendre les explications de la ministre Guilbault. Mais lorsqu'interrogé sur les raisons de la résistance des gouvernements successifs à abaisser la limite à 0,05 - en 2010, le gouvernement Charest avait également rejeté l'idée - Yvon Garneau exprime moins de réserves. «Je ne peux pas répondre à ça, je ne le comprends pas moi-même. Ils ont leurs réponses, ils ont leurs arguments, mais je ne les ai pas vus dans les derniers mois ou même dans la dernière année.»
Il rappelle que lui et d'autres coroners ont déjà fait cette recommandation, tout comme l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Est-il découragé de voir ses recommandations ignorées à nouveau? «Pas du tout. On a toujours espoir. C'est en martelant, en répétant qu'on finit par l'avoir», affirme-t-il avec conviction, faisant valoir qu'«il a fallu des blessés, des décès et plusieurs rapports de coroners», avant que le port de la ceinture de sécurité ne devienne obligatoire.
Coïncidence, il venait tout juste d'avoir une formation avec des chimistes toxicologues judiciaires lorsque nous l'avons rejoint. «Oui, il y a une différence entre ,08 et ,05. Les analyses sanguines nous démontrent qu'à ,05, c'est là que débute le changement de jugement dans l'esprit humain lors de la conduite automobile. Donc, si ça commence à ,05, ça continue après ça à ,07, ,08, etc.»
La recommandation de réduire la limite venait conclure son rapport sur le décès de Stéphanie Houle, 46 ans, décédée en octobre 2021 à Drummondville alors qu'elle était passagère d'un véhicule conduit par un individu en état d'ébriété.
Le conducteur, Benoit Janvier, 38 ans, avait un taux d'alcoolémie d'environ deux fois la limite permise. Il avait perdu le contrôle de son véhicule qui avait fait une sortie de route suivie de plusieurs tonneaux avant de percuter un arbre. Il roulait alors à 128 km/h dans une zone de 50 km/h, selon le rapport.
Stéphanie Houle est décédée sur le coup et Benoît Janvier, qui avait survécu, a été condamné en août dernier à une peine exemplaire de quatre ans et demi de pénitencier après avoir reconnu sa culpabilité à des accusations de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort et de conduite dangereuse ayant causé la mort. Sa peine est assortie d'une interdiction de conduire durant cinq ans après sa libération.
«J'ai accueilli ce verdict avec soulagement, tant pour la famille que pour la société en général», révèle Me Garneau. Il note qu'on a souvent reproché aux tribunaux leur clémence face aux conducteurs en état d'ébriété, mais cette fois, «voilà qu'au Québec, un juge a décidé de monter la barre de façon à donner un exemple», se réjouit-il.
Le rapport du coroner souligne également qu'un ami de Benoit Janvier avait déclaré aux policiers qu'il avait été témoin, quelques heures plus tôt, de la consommation de boisson forte de celui-ci et que, lors d'une balade en après-midi au centre-ville, Benoit Janvier allait vite, faisait du drift et qu'il «était sur la brosse».
Le coroner Garneau recommande donc également au ministère, à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) et à l'organisme Éduc'alcool, de coordonner leurs efforts afin de mettre en place des activités de sensibilisation visant à rappeler au public l'importance de signaler aux policiers les conducteurs ayant ou semblant avoir les facultés affaiblies par l'alcool ou une drogue.
«Comment se fait-il qu'en 2023, on puisse réagir ainsi, c'est-à-dire ne pas réagir en voyant un individu prendre son véhicule manifestement en état d'ébriété? J'espère que ça va faire réfléchir des gens pour qu'à l'avenir, si on assiste à un tel événement, qu'on prenne le téléphone et qu'on fasse le 9-1-1. Il n'y a pas de danger de poursuite quand on fait ça. On essaie de protéger la vie humaine», conclut-il.